L’Art dans la peau de Spencer Lowell
On dit souvent qu’un tatouage raconte une histoire, une partie de sa vie. Spencer Lowell, artiste américain en résidence sur tara, en est couvert. S’il explique que ses tatouages n’ont pas vraiment de signification, ceux-ci révèlent tout de même certaines facettes de cet artiste hors du commun.
Les premiers tatouages à Los Angeles
C’est à Los Angeles, sa ville natale, que Spencer fait son premier tatouage à 18 ans : cinq étoiles sur le torse. Lorsqu’on lui demande pourquoi ce dessin, la réponse est lapidaire : « Il n’y a pas de raisons. Je voulais un tatouage et j’aime les étoiles ». La même année, il choisit un trèfle à quatre feuilles, sur le crane. Là encore, sans raison particulière, ne se considérant pas comme superstitieux. « Juste au cas où », glisse-t-il tout de même. « Parfois, j’ai une idée le matin, et je me la fait tatouer l’après-midi, je préfère ne pas prendre ça au sérieux. C’est une façon de ne pas me prendre trop au sérieux non plus : quand mon égo prend le dessus, mes tatouages me remettent les pieds sur terre ».
À l’époque, Spencer reste tout de même prudent. S’il choisit le crâne pour ce nouveau tatouage, c’est pour qu’il puisse le dissimuler si besoin. « Je ne savais pas encore ce que je voulais faire : je commençais tout juste à faire de la photo et j’aimais déjà ça, mais je n’étais pas sûr d’en faire mon métier ». Puis l’artiste change de point de vue, sur ses tatouages, mais surtout sur le sens de sa vie. « Avant, je me disais que ces tatouages resteraient pour toujours, mais j’ai pris conscience que rien n’est éternel. Un jour, mon corps ne sera plus là et mes tatouages disparaîtront avec lui ».
Un art de plus en plus présent
Spencer Lowell commence alors à multiplier les tatouages, sans s’en cacher. Sur le bras gauche, il fait inscrire une phrase tirée d’une chanson de John Lennon : Life is what happens when you’re busy making other plans (« La vie est ce qui survient lorsque l’on est occupé à faire d’autres projets »). Une façon pour lui de se rappeler que l’avenir n’est pas toujours entre ses mains. « Je fais juste partie du voyage, dit-il. Un passager ». Sur le ventre, deux oiseaux autour d’une fleur, symbolisant pour lui l’harmonie. Une dualité que l’on retrouve sur bon nombre de ses tatouages, comme cette bande blanche sur l’avant-bras faisant face à une bande noire sur l’autre avant-bras. « C’est le positif et le négatif, décrit-t-il. De façon générale, je suis toujours en quête d’un équilibre ».
Puis Spencer décide de prolonger cette bande noire sur l’intégralité de son bras gauche, en ne laissant qu’un espace vide : un atome, entouré de ses électrons. « Je trouvais ça intéressant, car c’est le symbole de la matière, et il apparaît grâce à l’absence d’encre, donc de matière ». Un jeu intellectuel avec le tatouage qui atteint son paroxysme avec la date inscrite sur son pied droit : lundi 5 juin 2006. Que s’est-il passé ce jour-là ? Absolument rien. C’est simplement le jour où ce tatouage a été réalisé. Un clin d’œil sous forme de mise en abîme qui amuse beaucoup l’artiste…
Les tatouages comme un reflet à ses passions
Au fil des années, les différents tatouages de Spencer reflètent de plus en plus ses passions : l’art et les sciences. Sur les phalanges de sa main gauche est ainsi inscrite la célèbre formule d’Einstein : E=mC2. « J’aime beaucoup photographier la science, car j’aime comprendre comment fonctionnent les choses. Avec au final, l’envie de saisir la nature de l’Univers ». Sur les phalanges de sa main droites, comme une réponse à la science, il fait inscrire les lettres CMYK, pour Cyan, Magenta Jaune et Noir. « Ce sont les couleurs utilisées en imprimerie. On peut faire toutes les couleurs en partant de celles-ci, explique-t-il. Pour moi, ça représente l’Art. C’est complémentaire avec la science, l’Art vient du cœur, la science de la tête, mais les deux font la même chose : tenter de trouver des réponses ».
Difficile de passer ainsi en revue les dizaines de tatouages étranges, poétiques, drôles ou métaphysiques de Spencer Lowell. Une dernière question tout de même à cet artiste original : si tu décidais de te faire un tatouage après ton passage sur tara, que choisirais-tu ? Après quelques secondes de réflexion, la réponse est surprenante, comme souvent avec Spencer Lowell : le crocodile gonflable en plastique, repêché quelques jours auparavant lorsque nous étions en mer, flottant au milieu de l’océan. Et lorsqu’on lui demande pourquoi ce choix étrange, la réponse est immanquablement la même que celle donnée pour presque chacun de ses tatouages, lancée avec un petit sourire en coin : « pourquoi pas ? »
Propos recueillis par Yann Chavance
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