Journal de bord de Robertina Šebjanič : Echo des Abysses
Robertina Šebjanič est la première artiste lauréate à avoir embarqué en résidence sur la goélette Tara au cours de l’expédition Tara Europa/TREC. Elle a partagé le quotidien de l’équipage scientifique et marin de Aarhus au Danemark à Riga en Lettonie. Découvrez son journal de bord - Juin 2023.
Le choix de la mer Baltique n’a pas été fait au hasard. En effet, son projet artistique porte sur l’impact des armes abandonnées dans l’Océan lors de conflits passés. La mer Baltique est une mer qui a été marquée durant le siècle passé par de nombreuses guerres. De nombreuses munitions reposent encore au fond de ces eaux. Conflits passés, conséquences au présent, l’artiste a pu nourrir son projet et rencontrer des témoins directs de cette histoire.
L’Art et la science au cours d’une expédition océanographique
Au cours du mois de juin 2023, j’ai embarqué pour une expédition de recherche à bord du navire Tara en mer Baltique. L’objectif principal de cette résidence était d’initier une nouvelle phase dans ma pratique de recherche artistique, en me concentrant sur la question des armes jetées et abandonnées au fond de l’Océan. Cette préoccupation souvent négligée a de profondes implications environnementales, notamment la menace d’une pollution toxique et ses effets néfastes sur les écosystèmes marins.
Ma décision de candidater à la résidence artistique à bord de Tara a été motivée par sa parfaite adéquation avec ma vision artistique, axée sur l’exploration des réalités culturelles, (géo)politiques, biologiques et écologiques des milieux aquatiques. La perspective de collaborer avec des scientifiques sur Tara, notamment dans le cadre de Tara Europa – TREC, a profondément résonné avec mes intérêts de recherche. Il s’agissait d’une occasion unique d’explorer l’intersection de l’art et de la science dans le contexte de l’exploration océanique.
La mer Baltique, un territoir marqué par l’histoire
Au cours de mon séjour à bord, mon projet a évolué au fur et à mesure que j’approfondissais les complexités des questions liées à l’étude des modèles chimiques de l’eau de mer et de leurs effets sur la vie marine.
Ma résidence se déroulant en mer Baltique, l’actualité du sujet était particulièrement poignante. La région Baltique a une histoire marquée par l’abandon de nombreux armements, notamment après la Seconde Guerre mondiale, et abrite actuellement sur ses fonds marins de nombreux vestiges de conflits passés.
Cette initiative en était encore à ses balbutiements et découlait de mes premières recherches sur la défausse des munitions de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale dans la mer Baltique.
Durant mon séjour à bord de Tara, j’ai cherché à approfondir ces bases et à établir des liens avec les protocoles de recherche menées au cours de l’expédition.
Alors que nous étions amarrés à Sopot, en Pologne, j’ai eu le privilège de rencontrer le professeur Jacek Bełdowski, chercheur à l’Institut d’Océanologie de l’Académie Polonaise des Sciences et son collègue, le Dr. dr. Milosz Grabowski. Le professeur Bełdowski est le principal coordinateur et organisateur de plusieurs projets axés sur les munitions déversées dans la mer Baltique, y compris des initiatives telles que « Vers la surveillance des menaces liées aux munitions déversées (MODUM) ».
C’était vraiment enrichissant d’avoir l’opportunité de rencontrer le professeur Jacek Bełdowski et le dr. Miłosz Grabowski en personne pendant ma résidence, surtout après avoir lu de nombreux articles scientifiques rédigés par ces derniers.
Notre échange s’est poursuivi au-delà de la résidence et cette année, j’ai eu l’honneur de recevoir une invitation à participer à un atelier/conférence à Malte, proposé par le professeur Bełdowski et son équipe. Ces rencontres ont été fortuites et incroyablement inspirantes, enrichissant les recherches que j’entreprends sur ce sujet.
Activités humaines et bien-être des écosystèmes marins : un lien complexe
Depuis la fin de ma résidence, mon travail se développe, guidé par les connaissances et les expériences acquises à bord de Tara. Ce voyage a conduit à une compréhension plus approfondie des liens complexes entre les activités humaines et le bien-être des écosystèmes marins.
Pendant mon séjour sur Tara, je me suis efforcée de capturer un large éventail de contenus, en utilisant des séquences vidéo et des enregistrements sonores au-dessus et sous les vagues.
De plus, j’ai apporté des hydrophones pour documenter l’environnement sous-marin. Ces efforts visaient à documenter non seulement les impacts environnementaux des armes abandonnées, mais également des thèmes plus larges tels que la conservation des océans et l’influence humaine sur la vie marine.
Une expérience unique
Faire partie de l’équipe de Tara a été incroyablement gratifiant. Nous avions tous des rôles différents à jouer, et l’un de mes préférés était celui de veille de nuit. Mon rôle était de surveiller les autres bateaux, les éventuels obstacles et d’alerter le responsable.
Une nuit mémorable nous a fait passer devant l’un des grands parcs éoliens de la mer Baltique. Voir ces structures massives sortir de l’eau a créé une scène industrielle surréaliste, presque extraterrestre, au milieu de la mer.
Mon expérience à bord de Tara a été enrichissante à plusieurs niveaux.
Sur le plan personnel, ce fut un voyage de camaraderie et d’échange culturel, favorisant un but commun entre les membres de l’équipage, les scientifiques et les cuisiniers du voilier.
Sur le plan scientifique, il m’a fourni des informations inestimables sur la recherche marine et les efforts de conservation, approfondissant ma compréhension des écosystèmes océaniques.
Artistiquement, il offrait un terrain fertile pour une exploration créative et une connaissance scientifique approfondie de la mer Baltique à plusieurs niveaux. Cela a suscité des conversations et des échanges profonds qui ont élargi ma vision artistique. En travaillant ensemble, j’ai acquis de précieuses connaissances scientifiques qui ont approfondi mon exploration des questions environnementales. Il a démontré la force de combiner l’art et la science pour résoudre des problèmes complexes tels que la conservation de l’Océan. Cette approche collaborative met en évidence la manière dont divers points de vue peuvent s’unir pour faire une réelle différence.
Consciente de la nature complexe de la recherche artistique interdisciplinaire, je suis pleinement consciente des défis qu’elle comporte. Néanmoins, ces efforts de collaboration transcendent les interprétations individuelles et contribuent à façonner une nouvelle vision pour une coexistence améliorée.
Mon objectif est d’imaginer des écologies inter-espèces non toxiques, ouvrant la voie à un avenir plus harmonieux.
L’avenir de l’œuvre d’art
Alors que le projet se déroule avec des premiers résultats multiformes, je poursuis cette année mes recherches dans le Nord de l’Adriatique avec le soutien de MADE IN (Oaza et Drugo More). L’œuvre est encore en développement et sera bientôt présentée au public.
Mon parcours artistique consiste à explorer la dynamique politique et culturelle complexe des environnements aquatiques et l’impact des humains sur ceux-ci. À travers mon travail, mon objectif est d’encourager une empathie pour la vie marine et de mettre en évidence notre interconnexion avec l’environnement. Des concepts tels que « Aquatocène » et « Aquaformation » révèlent le pouvoir transformateur de l’eau, nous incitant à reconnaître notre relation avec le monde aquatique qui nous entoure.
Par Robertina Šebjanič