Les Aires Marines Protégées : comment assurer une vraie protection du vivant ?
A l’aube de la 16ème Conférence des Nations-unies sur la biodiversité en Colombie, la Fondation Tara Ocean présente ses recommandations et sa stratégie pour soutenir l'objectif de 30% de l'Océan protégé approuvé par l'ONU en 2022. Retour sur l'histoire et les enjeux en cours pour les Aires Marines Protégées.
Qu’est-ce qu’une Aire Marine Protégée ?
Selon la définition de l’UICN, une aire marine protégée (AMP) correspond à :
« Un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré́, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associé ».
Il existe différents types d’AMP, allant des zones entièrement protégées, à des zones autorisant des activités humaines durables, telles que des pratiques de pêche traditionnelles et artisanales. Quel que soit le niveau de protection, l’objectif principal des AMP doit être la conservation de la biodiversité.
Plusieurs études scientifiques ont mis en évidence de nombreux bénéfices associés aux AMP, tels que :
- la conservation de la biodiversité
- la restauration des écosystèmes
- l’amélioration des stocks de pêche
- la protection des ressources et valeurs culturelles
D’où vient l’idée de définir des Aires Marines Protégées (AMP) ?
La première moitié du 20ème siècle fut marquée par l’émergence d’un mouvement environnemental axé sur la conservation des espaces naturels, porté par les travaux pionniers de John Muir, Gifford Pinchot, ou encore Paul Sarasin. En réponse à ce mouvement et à la nécessité de coordonner les efforts internationaux pour protéger la biodiversité, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) fut créée en 1948 lors de la Conférence de Fontainebleau. Ce lieu n’a pas été désigné par hasard, puisqu’en 1861 la forêt de Fontainebleau fut la première aire protégée au monde. S’ensuivit la création de nombreux espaces protégés terrestres.
Par la suite, face à la prise de conscience de la dégradation préoccupante de l’Océan, la nécessité de protéger les espaces marins s’affirma. La notion d’aires marines protégées (AMP) émergea en 1962 pour la première fois lors du Congrès mondial sur les parcs nationaux organisé par l’UICN. Depuis, le nombre d’AMP désignées n’a cessé d’augmenter, en parallèle avec la publication par l’UICN de lignes directrices et recommandations concernant leur établissement. Il existe aujourd’hui 18 888 AMP, couvrant une surface d’environ 30 000 000 km², soit environ 8% de la surface de l’Océan.
Répartition globale des aires marines protégées. En bleu marine les zones de protection fortes, en bleu turquoise les zones de haute protection, en vert foncé les zones de protection légère, en vert clair les zones très peu protégées et/ou incompatibles avec la protection du vivant, et en rose les zones dont le niveau de protection est non déterminé. carte intéractive – Source: Marine Conservation Institute, 2024
Vers la protection de 30% des espaces marins en 2030
L’année 1992 est une date historique pour la planète, avec la Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement, tenue à Rio de Janeiro en juin 1992. Ce grand rendez-vous a permis la création de plusieurs instruments politiques clés. En plus de la fameuse Conférence sur le changement climatique (CCNUCC), la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) fut signée à la fin de la Conférence de Rio pour protéger la biodiversité et les écosystèmes. Depuis, quinze Conférences des Parties (COP) de la CDB ont eu lieu, avec un progrès lent mais constant dans les objectifs de conservation.
En 2008, lors de la COP9, des critères pour désigner les zones d’importance écologique ou biologique (EBSAs) dans l’Océan ont été adoptés, incluant la rareté des habitats, la présence d’espèces menacées, la vulnérabilité des écosystèmes, la productivité biologique, et la diversité biologique. Les EBSAs, qui ne bénéficient pas de statuts de protection, permettent de cibler les zones nécessitant une protection légale, par la désignation de nouvelles AMP par exemple.
Cartographie des zones répondant aux critères EBSAs. Carte intéractive Source: Convention on Biological Diversity, 2024
Deux ans plus tard, lors de la COP 10, les États membres ont adopté le Plan Stratégique pour la Biodiversité 2011-2020 dont le 11ème objectif, le Aichi Target, visait à protéger d’ici 2020 au moins 17% des espaces terrestres et marins, ainsi que 10% des espaces côtiers et marins. La plus récente conférence, la COP15, a mené à la signature de l’Accord Kunming-Montréal, également appelé Cadre Mondial de Biodiversité (Global Biodiversity Framework). Il est divisé en 4 objectifs à l’horizon 2050, visant à protéger la biodiversité et la santé des écosystèmes, et 23 cibles à atteindre d’ici 2030, dont la troisième vise à protéger 30% des espaces terrestres et marins d’ici 2030, souvent appelé objectif 30×30.
À l’échelle européenne, les objectifs d’ici 2030 visant à préserver la biodiversité sont alignés avec les recommandations internationales. En effet, la Stratégie européenne pour la biodiversité à l’horizon 2030 vise à protéger 30% des espaces marins et terrestres d’ici 2030. Cette stratégie va au-delà des recommandations de l’Accord Kunming-Montréal en indiquant que 10% des espaces marins et terrestres feront l’objet d’une protection stricte d’ici 2030.
Quelle est l’efficacité des AMP ? : le risque des “parcs papiers” et des parcs à touristes
Afin que les AMP garantissent l’atteinte des objectifs internationaux et européens en faveur de la biodiversité, leur mise en œuvre doit être réaliste et efficace. Pour cela, la mise en place de cadres juridiques et normatifs nationaux définissant clairement leur statut et leurs modalités de gestion semble essentiel. En France, par exemple, le code de l’environnement ne propose pas de définition précise d’une AMP. Par conséquent, la grande majorité des catégories d’AMP en France ne répondent pas aux critères établis par l’UICN. En effet, bien que l’UICN affirme qu’aucune activité industrielle ne devrait avoir lieu dans les AMP, la pêche industrielle est néanmoins autorisée dans la majorité des AMP françaises.
De plus, pour qu’une AMP assure la préservation du vivant, sa désignation ne suffit pas ; il est également essentiel d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de gestion. Un rapport d’Oceana a révélé que, malgré l’atteinte de l’objectif d’Aichi en Europe, seulement 47% des plus grandes aires marines protégées Natura 2000 des pays européens disposent d’un plan de gestion, dont 80 % se sont avérés incomplets. Cette situation souligne la nécessité de renforcer la gestion des AMP en Europe, notamment par l’établissement de délais et une mise en place de systèmes de suivi, ainsi que d’autres mécanismes d’évaluation.
Au-delà des enjeux juridiques et légaux et des objectifs quantitatifs, chiffrés uniquement en nombre de km2 protégés, d’autres questions sur l’efficacité et la qualité des AMP ne doivent pas être négligées. Il y a tout d’abord le besoin d’une gestion transparente et d’objectifs tournés vers les communautés locales, souvent oubliés au passage. Car il est souvent constaté que les parcs marins créés pour des objectifs économiques liés au tourisme, certes louables en principe si cela crée des emplois, mais qui peuvent déboucher à long terme sur une situation sociale de domination par les riches, avec un recul des pratiques culturelles et économiques traditionnelles au profit d’emplois créés uniquement pour servir des touristes dans des plongées, hôtels et ressorts.
Un autre point souvent oublié est celui de la transparence et de la souveraineté, avec des risques liés au montage financier des projets, qui incorporent de plus en plus de mécanismes de marché. Un récent projet de protection des îles Galapagos, en Equateur, par exemple, sera financé par un fond spéculatif créé sans aucune transparence, alimenté par des titres de la dette équatorienne revendus sur le marché financier sous la forme de produits financiers, comme des « blue bonds ». Si l’innovation dans le financement des AMP est certes bienvenue, il convient toutefois de rester vigilant sur des excès opérés par quelques acteurs de la finance, avec des risques de dérapage déjà vérifiés sur le marché du carbone dans le cadre de la Convention sur le changement climatique.
Enfin, il sera également important de penser une protection de l’écosystème au-delà de l’approche par espèces et habitats. En plus de s’adresser à des espèces en danger, nous devons renforcer la capacité des AMP à préserver les fonctions essentielles des écosystèmes marins, comme la séquestration de CO2 ou la régulation du climat. Cela pourra être fait grâce à la création de réseaux d’aires marines protégées, une idée qui fait son chemin établissant des connexions entre différents blocs d’AMP. Cette idée de connexion entre des espaces protégés, appelés aussi couloirs, sera utile dans le cadre des potentielles propositions d’outils de conservation de la haute mer, ou les Etats pourront proposer des Aires protégées adjacentes incluant les zones nationales et la haute mer. Une piste innovante s’ouvre aussi avec l’idée d’Aires Marine Protégées dynamiques, prenant en compte le plancton et le microbiome marin dans l’équation, avec des avancées scientifiques qui permettent d’évaluer les saisonnalités et les migrations de plancton et d’espèces clés pour proposer des schémas de protection plus performants.
Un bloom saisonnier de coccolithophores, un phytoplancton jouant un rôle clé dans la pompe biologique du carbone. Source : Plymouth Marine Laboratory
Quelles sont les recommandations de la Fondation Tara Océan ?
La Fondation Tara Océan est active aujourd’hui en France et à l’international pour soutenir l’effort des 30% de l’Océan protégé en 2030, avec des Aires Marines Protégées qui garantissent une vraie protection, notamment contre la surpêche et le chalutage des fonds marins. L’établissement de ces Aires Marines doit se baser sur une science actuelle et multidisciplinaire qui prend en compte la complexité de la vie marine, des virus et bactéries jusqu’aux grands mammifères marins. Nous plaidons également pour une gestion participative et inclusive, et pour un modèle de financement transparent qui garantisse la souveraineté des Etats et des communautés locales sur leurs ressources.