Nouvel échec des négociations à la CCAMLR : aucune nouvelle AMP ne verra le jour en Antarctique

La 40ème réunion de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR) s’est clôturée ce vendredi 29 octobre à Hobart, en Tasmanie, sous un format hybride, présentiel et virtuel. Une nouvelle fois, une minorité de pays a bloqué l’adoption des trois projets d’Aires marines protégées (AMP) proposés et qui doivent être adoptés à l’unanimité par les 26 membres.

Tara en Antarctique
©François Bernard

Le 30 octobre 2021

La CCAMLR, un succès historique de la conservation de la nature aujourd’hui dans une impasse 

La CCAMLR est entrée en vigueur en 1982, elle réunit désormais 37 pays signataires dont 26 États membres avec droit de vote et 11 États adhérents sans droit de vote. Elle vise notamment à prendre des mesures pour faciliter la recherche et la coopération scientifique, assurer l’exercice des droits d’inspection et de la juridiction en Antarctique et enfin, protéger et conserver la faune et la flore de la zone.

Le 4 octobre dernier a eu lieu le 30ème anniversaire du Protocole de Madrid, qui confère à l’Antarctique un statut de « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science », alors que les enjeux portant sur l’exploitation industrielle des ressources de l’Antarctique se font de plus en plus pressants. C’est dans ce contexte que s’ouvraient du 18 au 29 octobre 2021, deux semaines de négociations à la CCAMLR pour renforcer la protection de cet écosystème fragile.

Les négociations portaient principalement sur la création de nouvelles AMP. Trois propositions ont été discutées dont deux portées par l’Union Européenne et situées dans l’Est de l’Océan Austral ainsi qu’en Mer de Weddell. Le Chili et l’Argentine poussent quant à eux pour la création d’une AMP située sur la façade Ouest de la péninsule Antarctique où se situent leurs possessions Antarctiques. Ces deux forces de propositions disposent néanmoins d’un soutien mutuel.

En 2009, puis en 2016, les AMP du plateau Sud des îles Orcades du Sud et de la mer de Ross étaient adoptées. Elles furent l’un des engagements les plus forts pris par une coalition internationale pour la conservation du milieu marin en créant les premières AMP internationales et le plus grand sanctuaire marin au monde. Aujourd’hui, cet élan est annihilé chaque année par une minorité de pays, la Russie et la Chine notamment, qui bloquent systématiquement les trois propositions d’AMP. Officiellement, ces deux pays annoncent ne pas vouloir impacter leurs pêcheurs en réduisant les zones de pêches, mais en réalité, ils convoitent également les ressources du sous-sol Antarctique que la fonte des glaces rendra bientôt accessible en cas de statu quo.

La mer de Weddell, un hub mondial de biodiversité et de régulation du Climat

Ce déficit d’engagement des États laisse donc vulnérable la grande majorité des eaux Antarctiques dont la mer de Weddell. Cette zone dispose d’un écosystème unique au monde, tant par la diversité des espèces qu’elle abrite que par les services écosystémiques qu’elle nous rend pour la régulation du Climat.

La mer de Weddell, à l’Est de la péninsule Antarctique, au sud du Cap Horn, est avec l’Océan Arctique une des zones les plus importantes de l’Océan pour la séquestration du carbone atmosphérique. L’importante production d’iceberg provoque la plongée vers les profondeurs d’une gigantesque quantité d’eau de mer froide et chargée en carbone, entraînant ainsi avec elle la chaleur et le carbone dissous. C’est aussi une mer dotée d’un écosystème très riche à l’origine des plus importantes quantités de krill, acteur clé d’une immense pompe à carbone biologique, aussi indispensable aux baleines qu’aux centaines de milliers de manchots de l’océan Austral.

De par ses propriétés physiques (topographie, température et salinité) et son microbiome marin très spécifique, la mer de Weddell est un milieu unique au monde, aucun écosystème ne lui est analogue. Tara et ses partenaires scientifiques l’avaient d’ailleurs prouvé en 2015 dans la revue Science. L’isolement de la mer de Weddell a engendré une évolution de son microbiome dans une direction très singulière. La structure si particulière de cet écosystème en fait une pompe à carbone physique et biologique particulièrement performante qu’il faut mieux connaître aujourd’hui pour en appuyer la protection.


Renforcer les connaissances pour appuyer les projets d’Aires marines protégées en Antarctique

Pour une préservation efficace des écosystèmes dépendants ou associés peuplant principalement les eaux entourant le continent, il est nécessaire de renforcer notre compréhension de leur fonctionnement. Jusqu’ici, la grande majorité des études ont permis de décrire les caractéristiques et dynamiques physiques de la région (courantologie, gradients divers, etc.), ainsi que quelques données éparses sur la biodiversité, dont les prélèvements effectués au cours de l’expédition Tara en 2010. Si les conditions difficiles de la région engendrent des difficultés d’échantillonnage, il est nécessaire de poursuivre cet effort de recherche sur la compréhension de l’Antarctique pour appuyer son besoin de protection.

Dans le cadre de sa Mission microbiomes en cours (2020-2022), la goélette Tara sera de retour en Antarctique, plus de dix ans après son dernier passage. De janvier à février 2022, durant l’été austral, l’équipage collectera des échantillons de l’écosystème planctonique de la mer de Weddell. Ces nouvelles données biologiques sur le microbiome marin de l’océan Austral complèteront les données physiques plus abondantes délivrées par les balises flottantes automatiques et les mouillages permanents du British Antarctic Survey. La science déployée dans le cadre de cette campagne d’échantillonnage a pour objectif de faire la lumière sur un pan entier de ces écosystèmes marins Antarctiques. Les scientifiques ont besoin de mieux connaître les contraintes sur la croissance du plancton en termes de nutriments (azote, phosphate, fer, etc.), ainsi que le rôle de la fonte des icebergs, souvent riches en nutriments, dans ce processus.

La venue de Tara en Antarctique contribue à l’effort international pour la préservation de cet océan Austral. Les échecs des dernières réunions de la CCAMLR ne peuvent continuer à se répéter. L’Antarctique a toujours été une terre de science et d’exploration, sa protection doit urgemment être actée sous peine de voir disparaître des écosystèmes uniques dont le fonctionnement commence à peine à se dévoiler à nous.

Par Martin Alessandrini, Chargé de mission plaidoyer, Fondation Tara Océan

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