[Projet Plankt’Eco] Développer une observation globale du plancton pour améliorer la gestion de l’Océan
Depuis 2017, la Fondation Tara Océan développe des projets de coopération internationale avec des pays en développement pour partager les méthodes d’observation de l’Océan qui constituent l’ADN de nos expéditions scientifiques. Aujourd’hui, le projet Plankt’Eco (2023-2026) aborde deux enjeux clés de cette coopération internationale : disposer d’outils adaptés aux contextes locaux pour la bonne gestion des ressources, et installer des capacités d’observation et d’analyse locales pour que les pays disposent d’une indépendance de recherche.
Intégrer les chercheurs des pays en développement dans les communautés Tara Oceans
En 2016, la structure Tara, anciennement fond de dotation, obtient le statut de fondation reconnue d’utilité publique et devient donc officiellement la Fondation Tara Océan. Ce changement est structurel pour la Fondation : il permet de mettre en place notre tout premier projet de coopération et développement à partir de subventions publiques.
Afin de soutenir la connaissance et la conservation des milieux naturels à l’international, la France dispose d’un acteur dédié, appelé Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM). Créé par le gouvernement français en 1994, ce fonds finance des projets pilotes dans l’ensemble des pays en développement pour préserver la biodiversité et lutter contre les pollutions. Il nous a fait confiance en 2017 au travers d’un premier projet de 4 ans intitulé Plancton océanique, climat et développement.
À travers ce projet, les objectifs furent doubles. Dans un premier temps, une stratégie de recrutement de doctorants et post-doctorants fut mise en place pour intégrer de jeunes chercheurs issus de pays en développement dans les programmes de recherche du consortium scientifique Tara Oceans. Au total, 7 chercheurs originaires d’Argentine, du Brésil, du Chili, du Sénégal et du Togo ont été financés sur 4 ans. Le succès de ce programme fut tangible, en témoignent de nombreuses publications communes, l’organisation du leg argentin de la Mission microbiomes en 2021 à l’initiative des post-doctorants du projet désormais en poste au CONICET – équivalent du CNRS argentin – mais aussi et surtout la continuité de certaines productions du projet vers un second projet actuellement en cours.
Enfin, au-delà des objectifs scientifiques, le projet visait également à rapprocher cette nouvelle observation de l’Océan des sphères politiques qui œuvrent à sa conservation. Cela passe par un processus de création de nouveaux modèles et d’indicateurs basés sur l’observation du plancton et ses corrélations avec les écosystèmes marins. Les avancées du projet ont ainsi été valorisées dans les processus de gouvernance de l’Océan en cours au sein des Nations-Unis : Convention pour la Diversité Biologique, Convention Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques, Droit de la Mer, et Conventions de mers régionales de Nairobi, de Nouméa et d’Abidjan.
Prolongé de quelques années en raison de la pandémie de Covid-19, le projet a officiellement pris fin en 2022. Forts de résultats prometteurs, la Fondation Tara Océan, le Fonds Français pour l’Environnement Mondial et les partenaires de ce projet ont prolongé leur collaboration afin de concrétiser leurs avancées.
Développer une observation globale du plancton
Dans la continuité de ce projet Plancton océanique, climat et développement, la Fondation a lancé début 2023 son second projet en partenariat avec le FFEM : le projet Plankt’Eco. D’une durée de 4 ans (2023-2026), le projet pousse les objectifs du premier projet vers l’étape suivante en visant l’installation d’une capacité d’échantillonnage et d’analyse locale en Afrique de l’Ouest, et l’évolution des connaissances sur les écosystèmes planctoniques vers des outils de gestion utilisables par les décideurs politiques et les gestionnaires d’espaces naturels.
CARTOGRAPHIER LES FONCTIONS SOUTENUES PAR LE PLANCTON
En 2015, les analyses réalisées avec les échantillons prélevées lors de l’expédition Tara Oceans (2009-2013) ont abouti à une publication majeure publiée dans la revue Science : sur les millions de gènes identifiées dans les organismes planctoniques, les chercheurs en ont isolés une cinquantaine dont l’expression est corrélée à l’activité de pompe à carbone. En d’autres termes, sur des millions de gènes, il ne suffit que de chercher la présence de quelques dizaines pour savoir si la zone est un puits de carbone.
Si cette simplification permet déjà de rapprocher une recherche relativement fondamentale d’un usage plus opérationnel – notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’identification de la présence de ces gènes nécessite l’organisation d’une expédition en mer sur un bateau équipé des technologies permettant une analyse génétique. Néanmoins, une avancée est sur le point de révolutionner la manière dont nous suivons l’Océan et ses fonctions vitales pour la Vie sur Terre.
Les satellites acquièrent des jeux de données immenses, en temps réel et de manière relativement peu coûteuse. Or, des premières études ont validé le fait que ces images satellitaires peuvent être corrélées à certains paramètres biologiques de l’Océan. Les satellites ne servent donc plus seulement à prendre en photo ou mesurer des données physiques comme la profondeur de l’Océan, ils nous permettent également de suivre le Vivant dans l’Océan. Ces nouvelles informations arrivent au cours du premier projet Plancton océanique, climat et développement et très vite un concept émerge : si les images satellites peuvent indiquer la présence ou l’absence de certains gènes que l’on sait associés à des fonctions clés – comme la pompe à carbone, il sera donc possible de cartographier les fonctions de l’Océan en temps réel. Ce concept de cartographie des zones clés de l’Océan est imaginé par les chercheurs partenaires du Centre de Modélisation Mathématiques (CMM) du Chili et de l’Université de Nantes, et est appelé KOPAs – Key Ocean Planktonic Areas, les zones planctoniques clés de l’Océan.
Dans le cadre du projet Plankt’Eco, l’objectif est désormais de valider cette corrélation entre images satellites et expression de gènes du plancton pour produire une cartographie des fonctions clés que les écosystèmes planctoniques soutiennent : pompe à carbone, réserve de biodiversité, productivité, … Pour valider ce modèle, les données chiliennes de la Mission microbiomes réalisée par la goélette Tara en 2021 2020-2022 sont utilisées. Les données satellites correspondant au moment exact d’échantillonnages sont récupérées puis on compare les analyses génétiques des échantillons pour déterminer si les zones où certains gènes sont exprimés correspondent à un signal satellite spécifique.
Cette corrélation gène – fonction – satellite est extrêmement prometteuse pour un projet de coopération internationale tel que Plankt’Eco car si elle vient à être validée lors de ce projet pilote chilien, cela signifie qu’elle pourra être exportée dans d’autres géographies sans besoin de campagne en mer. En faisant l’acquisition de données satellites dans une région donnée, il sera possible de cartographier les fonctions que le plancton soutient. La perspective pour les pays du Sud Global d’avoir accès à une cartographie des fonctions du plancton, normalement conditionnée par l’utilisation d’un matériel extrêmement coûteux, constituerait une avancée immense dans la perspective de protection de 30% de l’espace marin d’ici 2030 que fixe la Convention sur la Diversité Biologique. Aussi, le développement de la cartographie KOPAs est également soutenu par l’Office Français de la Biodiversité (OFB), très actif dans l’atteinte de cet objectif 30×30 (30% d’Aires Marines Protégées d’ici 2030).
LE PLANCTON COMME DÉTERMINANT DES VARIATIONS DES STOCKS DE POISSONS
Dans cette même optique de faire évoluer cette connaissance nouvelle que la génétique et l’imagerie apportent sur les écosystèmes planctoniques vers des outils permettant aux décideurs de mieux protéger l’Océan, le chercheur sénégalais Baye Cheikh Mbaye a exploré la manière dont l’imagerie du plancton pourrait affiner nos évaluations des stocks de poissons, notamment ceux d’intérêt pour la pêche.
Pour évaluer les stocks de poissons, on réalise des campagnes de pêche en mer, non sélectives, qui permettent selon les nombres de poissons et la diversité d’espèces, d’établir des recensements halieutiques. Plusieurs modèles existent également pour modéliser la chaîne alimentaire marine et lier les populations de petits poissons à celles de prédateurs de haut de chaînes alimentaires, comme les thons ou les saumons. Dans le cadre du projet Plancton océanique, climat et développement, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et le Laboratoire d’Océanographie de Villefranche (LOV) ont encadré Baye Mbaye afin d’élargir ce modèle en y incluant le plancton, base de la chaîne alimentaire marine. En utilisant les données d’imagerie produites lors de la mission Tara Oceans (2009 – 2013), une nouvelle configuration a permis d’aboutir à un modèle liant les populations de plancton à celles des poissons. Néanmoins, les données pour calibrer ce modèle ont été collectées dans le monde entier aussi le modèle issu de ce premier projet est un modèle à l’échelle globale. La résolution est très faible et ne peut donc pas encore être utilisée pour arbitrer des politiques de pêche.
Afin d’opérationnaliser cet outil, le projet Plankt’Eco vise à régionaliser le modèle en se concentrant sur l’upwelling sénégalo-mauritanien. Cette remontée d’eau profonde chargée en nutriment, ou upwelling, fait des eaux bordant ces deux pays une des zones les plus productives en poissons, notamment en petits pélagiques comme les sardinelles. Mais ces dernières années, du fait d’une surpêche en constante augmentation, les stocks de sardinelles s’effondrent, menaçant la sécurité alimentaire des populations locales. En produisant un outil modélisant au mieux l’évolution des stocks de sardinelles et les impacts des efforts de pêche sur leurs populations, le projet vise à doter les autorités locales d’un nouvel indicateur pour gérer durablement cette ressource vitale à ces deux pays.
UNE PLATEFORME D’OBSERVATION UNIQUE EN AFRIQUE DE L’OUEST
La production d’outils de suivi de l’Océan utilisant les dernières connaissances scientifiques est un enjeu fondamental pour la bonne gestion des écosystèmes marins. Mais pour permettre une réelle indépendance des Etats dans l’utilisation de ces indicateurs, il est nécessaire que ceux-ci disposent d’une capacité de production de données installée localement. Pour contribuer à cet objectif, le projet Plankt’Eco accompagne l’installation d’une plateforme d’imagerie du plancton à Dakar, au Sénégal. Trois appareils de haute technologie fréquemment utilisés à bord de la goélette Tara et au sein des laboratoires partenaires des missions seront accueillis par le Centre de Recherches Océanographiques de Dakar Thiaroye (CRODT) au bénéfice de l’ensemble de la communauté océanographique sénégalaise et ouest-africaine.
Encore aujourd’hui, de nombreuses missions transitent par les eaux sénégalaises et mauritaniennes pour collecter des échantillons mais aucune capacité d’analyse par imagerie quantitative n’est disponible. Les échantillons repartent donc à l’étranger, faisant de fait perdre la main sur leur devenir et les résultats qu’ils permettront d’obtenir. Le Laboratoire d’Océanographie de Villefranche, l’Institut de Recherche pour le Développement et l’association Plankton Planet collaborent donc pour équiper, mais également former et accompagner les équipes scientifiques sénégalaises dans l’utilisation de ces instruments. En produisant prochainement des données locales sur la base des mêmes protocoles que les chercheurs embarquant à bord de Tara, ils permettront une comparaison de leurs résultats avec les années d’échantillonnage effectués à bord de la goélette et d’autres navires océanographiques.
Après une première session de formation de 4 chercheurs, techniciens et doctorants du CRODT sur les appareils du laboratoire de Villefranche-sur-Mer en avril dernier, une seconde session de formation s’est tenue à Dakar, cette fois sur les appareils installés dans le cadre du projet. La plateforme est donc désormais installée et opérationnelle, disposant d’un personnel formé à son usage. L’inauguration officielle s’est tenue le 3 décembre 2024 en présence de chercheurs sénégalais et mauritaniens, de représentants d’ONGs et des ministères locaux, ainsi que des acteurs de la coopération franco-sénégalaise.
PARTAGER L’APPORT DU PLANCTON COMME INDICATEUR DE LA SANTÉ DE L’OCÉAN
Cette production scientifique locale est une avancée majeure pour faire de l’observation des écosystèmes marins une science comparable et universelle. Mais l’objectif de la compréhension de l’Océan reste de répondre à l’urgence que le dérèglement climatique fait peser sur la biodiversité marine et les populations humaines. Afin que les outils développés dans le cadre du projet Plankt’Eco bénéficient à mieux appréhender et s’adapter à ces changements, des partenaires locaux nous accompagnent pour promouvoir ces indicateurs auprès des décideurs politiques. Au Chili, le Ministère de l’Environnement et le Gouvernement de la Province de Magellan en Patagonie suivent de près le développement de l’outil KOPAs pour l’intégrer à leur panel d’outils de planification et de gestion de leurs eaux. En Afrique de l’Ouest, le projet est épaulé par le Partenariat Régional Côtier et Marin (PRCM, une coalition rassemblant les acteurs engagés dans la conservation de l’Océan à l’échelle de l’ensemble de la sous-région, ainsi que par le BACoMab, un fond de financement durable pour la sauvegarde de la biodiversité marine et côtière en Mauritanie. Ces relais locaux sont fondamentaux pour que la science et la connaissance de l’Océan nourrissent les décideurs politiques et aident à la bonne conservation de la biodiversité marine.
Le plancton, outil d’aide à la décision pour les actions de conservation
Ainsi, le projet Plankt’Eco vient contribuer à l’effort que la Fondation Tara Océan et l’ensemble de ses partenaires déploient depuis plusieurs années afin de généraliser l’observation du plancton. Alors que les pressions sur l’Océan se multiplient, il est urgent de disposer d’indicateurs de suivi basés sur une compréhension approfondie des écosystèmes marins. Le plancton, à la base de la vie dans l’Océan, nous offre ainsi l’opportunité de prioriser les zones et les méthodes d’actions et d’en mesurer l’efficacité.
Pour ce faire, il nous faut faire en sorte que le plus grand nombre puisse avoir accès à la bonne compréhension de cette biodiversité planctonique et des ses fonctions. Si la pertinence d’un outil ou d’une décision dépend fortement de la robustesse des connaissances scientifiques sur lesquelles ils se fondent, l’appropriation locale de l’enjeu reste le facteur essentiel.
Océan & Climat
Pourquoi l’Océan est un allié vital dans la lutte contre le changement climatique ?