L’Arctique, un océan méconnu aux avant-postes de la crise climatique
La Fondation Tara Océan est bientôt de retour en Arctique. 15 ans après une première mission historique au pôle Nord à bord de la goélette Tara, les équipes de la Fondation Tara Océan ont imaginé et conçu une nouvelle odyssée d’une toute autre ampleur aux confins de l’Arctique pour accélérer la recherche sur le climat et cette biodiversité polaire en danger. Avec le laboratoire et observatoire dérivant Tara Polar Station c’est une exploration scientifique de plus de 20 ans qui démarrera au cœur de l’océan Arctique. Au-delà de la recherche, l’enjeu est bel et bien de protéger la santé de notre planète et la vie.
Un écosystème polaire sentinelle du climat
L’océan Glacial Arctique, le seul océan polaire de notre planète, recouvre une superficie équivalente à cinq fois celle de la mer Méditerranée soit environ 14 millions de km². Cet océan, encore recouvert d’une banquise la plupart de l’année, est bordé par huit pays : la Norvège, la Suède, la Russie, la Finlande, le Danemark avec le Groenland, l’Islande, le Canada, et les États-Unis avec l’Alaska.
La limite météorologique de l’Arctique est définie par une ligne isotherme de 10°C au mois de juillet, seuil en dessous duquel les arbres ne poussent plus. Sa limite géographique est définie par la latitude à laquelle le soleil se couche le 21 juin, c’est le Cercle Polaire Arctique à la latitude 66° 33′ N.
Le GIEC, dans son rapport sur les bases physiques du climat publié en août 2021, rappelait que le réchauffement observé est particulièrement fort en Arctique. Sur les 50 dernières années, l’Arctique s’est réchauffé deux fois plus vite que la moyenne globale. Nous sommes quasiment certains qu’au cours du 21e siècle, le réchauffement en Arctique sera plus fort qu’en moyenne globale. Les conséquences sur la banquise et les écosystèmes arctiques seront par conséquent très fortes. Gerhard Krinner Directeur de recherche CNRS, climatologue et co-auteur du 6e rapport d’évaluation du GIEC
Quelles sont les manifestations du réchauffement climatique en Arctique sur l’atmosphère ?
L’augmentation de la température annuelle moyenne à la surface de l’Arctique (terre et Océan) entre 1971 et 2019 a été trois fois supérieure à l’augmentation de la moyenne mondiale au cours de la même période, il s’agit du phénomène connu sous le nom d’amplification arctique. On constate aussi une augmentation des événements extrêmes tels que les fortes pluies ou chutes de neige, des tempêtes, des températures élevées et des feux de forêt. Kathy Law, Chimiste de l’atmosphère, CNRS, LATMOS
Nous allons être témoin de la disparition de la glace du pôle Nord !
La plupart de la surface de l’océan Arctique gèle chaque hiver. Avec le changement climatique, cette banquise de près de trois mètres d’épaisseur dans les années 70-80, n’est plus que d’un mètre en moyenne aujourd’hui – 70% de cette glace a disparu. Chaque été, cette fine couche de glace fond drastiquement pour ne plus recouvrir mi-septembre que 1/3 de la surface de cet océan. Il n’y aura pratiquement plus de banquise aux mois de septembre, dès l’horizon 2045 sous l’effet des dynamiques en cours, rappelle le GIEC.
Les conséquences de ces bouleversements sont particulièrement sensibles et perceptibles sur ce milieu et sur les écosystèmes fragiles qu’il rassemble. La base de la chaîne alimentaire de cet océan si particulier est un écosystème endémique adapté à cette banquise. Cet écosystème est à l’avant-garde des effets de la crise climatique, son existence même étant liée au destin de cette banquise évanescente. Les effets sur le milieu sont d’ores et déjà très perceptibles :
- réduction de la banquise
- altération de la qualité de la glace
- absorption de plus d’énergie solaire
- arrivée d’espèces invasives plus au Sud
- fonte du pergélisol alentour
- accroissement de l’humidité dans l’air.
Des évolutions rapides sur la biodiversité
L’Arctique est, avec les glaciers, le premier territoire de notre planète à l’ère de la crise climatique. Ces évolutions rapides ont des répercussions majeures sur les écosystèmes et la biodiversité, tant à la base de la chaîne alimentaire de la région (avec le plancton) que sur les mammifères marins emblématiques qui en dépendent (ours polaire, renard arctique, beluga, narval, phoque etc.).
Le changement climatique prédit depuis 30 ans et observé, est particulièrement fort en Arctique – on voit un environnement unique disparaître sous nos yeux. Ce qui se passe en Arctique ne reste pas en Arctique, les conséquences sont globales : la fonte de la calotte du Groenland est en cours, occasionnant à long terme, une forte augmentation du niveau de la mer ; le dégel de larges zones de permafrost en Sibérie et au Canada pourrait générer de fortes émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, ce qui amplifierait encore le réchauffement. Gerhard Krinner Directeur de recherche CNRS, climatologue et co-auteur du 6e rapport d’évaluation du GIEC
Pourquoi est-ce si important de mieux connaître l’Arctique ?
L’océan Arctique est un environnement éloigné et extrême, que nous connaissons mal, les observations par satellite sont toutes récentes. On ignore encore comment les organismes vivant au cœur de cet environnement font face à l’extrême saisonnalité de la lumière, de la température, de la glace de mer et de la dynamique océanique, et comment ils survivent pendant la longue nuit polaire, qui dure pendant près de la moitié de l’année. Mais nous avons absolument besoin d’observations pour relier les points afin de compléter le cycle annuel complet et de suivre la variabilité d’une année sur l’autre. Tara Polar Station témoignera de l’histoire de l’Arctique pendant les prochaines décennies et nous préparons depuis 2 ans un programme scientifique solide avec une trentaine de laboratoires internationaux derrière le CNRS. Chris Bowler, Directeur de recherche CNRS à l’Ecole normale supérieure et Président du comité scientifique de la Fondation
L’expédition polaire de Tara Polar Station
L’objectif de ce retour de la Fondation Tara Océan au pôle Nord est de donner du temps à la recherche scientifique, en été et surtout en hiver dans la nuit polaire, de rendre le cœur de l’Arctique accessible pour documenter et décrire la dynamique de ces transformations, objectiver les données scientifiques et recenser la richesse de la biodiversité locale. Cette mission sera cruciale pour mieux comprendre l’impact du changement climatique en Arctique et celui qu’il pourrait avoir sur le reste de la planète.
Hormis une expérience récente du brise-glace Polarstern, l’exigence et l’adversité de ce milieu extrême et dynamique n’a jamais permis aux biologistes notamment de se pencher, sur la durée, toute l’année sur cette zone pourtant unique. Ce sera la mission des équipages des femmes et des hommes de Tara Polar Station.
Cette odyssée polaire en passe de débuter aura plusieurs objectifs majeurs à long-terme :
- Améliorer la connaissance de la biodiversité sur Terre en explorant des régions encore inaccessibles aujourd’hui.
- Révéler les adaptations uniques de l’évolution pour permettre la vie dans cet environnement extrême.
- Analyser et prédire les conséquences de la fonte de la banquise et la pollution sur ces écosystèmes uniques et fragiles.
- Décrire les stocks de poissons de l’Arctique et l’impact de l’arrivée d’espèces plus tempérées.
- Découvrir de nouvelles molécules/espèces/processus ayant de nouvelles applications potentielles
“Nous devons comprendre le rôle de l’atmosphère dans le changement climatique de l’Arctique, et comment elle évolue. En particulier, nous devons améliorer notre compréhension de l’équilibre des rayonnements solaires, y compris les flux de rayonnement à ondes courtes et à ondes longues. Le rôle des nuages et des aérosols (qui sont importants pour la formation des nuages et l’ombre qu’ils peuvent occasionner) est l’une des principales incertitudes des modèles climatiques globaux. Dans ce contexte, des mesures pluriannuelles sur Tara Polar Station des nuages, des aérosols et de ces flux radiatifs tout au long de l’année, fourniront des données indispensables, en particulier au-delà du 80° Nord où il n’y a pas d’observations par satellite.” Kathy Law Chimiste de l’atmosphère, CNRS, LATMOS
“Les observations telles qu’elles peuvent être faites avec une station dérivante sont extrêmement précieuses pour les études de processus encore incompris dans l’atmosphère, dans la glace de mer et dans l’Océan. Par exemple, la saison de plus en plus longue libre de glace va mener à des changements dans les écosystèmes marins, qui pourront avoir des conséquences sur la composition chimique de l’atmosphère. Mais on connaît mal ces processus. Les observations à toute saison sont indispensables pour combler ces lacunes de connaissance.” Gerhard Krinner Directeur de recherche CNRS, climatologue et co-auteur du 6e rapport d’évaluation du GIEC
A moyen terme, ces explorations affineront les prévisions des modèles météorologiques en Europe d’ici 2050 et les conséquences du changement climatique sur le fonctionnement de notre planète. Nos résultats pourront être utilisés pour améliorer les politiques concernant la gouvernance de l’Arctique et de l’Océan mondial.
Comment seront menées les recherches scientifiques en Arctique ?
Avec ce nouveau programme polaire, nous allons déployer un observatoire et un laboratoire à la dérive pour étudier les écosystèmes de l’océan Arctique central. Nous avons l’ambition de maintenir cette station de recherche française unique dans la glace pendant au moins deux décennies à partir de 2026, lors de 10 missions consécutives jusqu’en 2045. Nous sommes la dernière génération capable de documenter cette banquise pluriannuelle…
Le navire pourra accueillir jusqu’à 18 personnes à bord en été et 12 en hiver, et sera équipé de 6 laboratoires – un laboratoire humide pour la manipulation des échantillons (y compris les carottes de glace), des laboratoires secs avec instrumentation, et des laboratoires dédiés à l’expérimentation sur place pour mener des expériences sur ces organismes méconnus et leur écosystème.
Pour comprendre la biologie de cet écosystème unique dans son contexte arctique, un ensemble complet d’instruments sera déployé pour étudier les interactions physico-chimiques entre l’atmosphère, la neige, la glace de mer et l’Océan sous-jacent. Une série de microscopes, de cytomètres et d’autres instruments pour la biologie cellulaire avancée permettront l’expérimentation avec des organismes vivants et l’observation de phénomènes intracellulaires. Des outils de séquençage de l’ADN testés sur la goélette Tara seront aussi déployés sur place par une équipe d’ingénieurs et de chercheurs au service d’un programme de recherche international. Certaines observations seront répétées lors de chaque expédition sur 20 ans, d’autres seront plus spécifiques en réponse aux questions de recherche qui émergeront au fil des découvertes.
Chris Bowler Directeur de recherche CNRS à l’Ecole normale supérieure et Président du comité scientifique de la Fondation
Tara Polar Station
La base scientifique polaire dérivante