De l’Océan à la science : le voyage d’un échantillon Tara

Chaque échantillon prélevé est une clé pour mieux comprendre l’Océan, sa biodiversité et notre planète. Derrière ces grandes découvertes, se cache un processus rigoureux et minutieux, impliquant des mois de préparation, une logistique orchestrée et des années de recherche. De la sélection du site de prélèvement jusqu'à la publication des résultats, cet article retrace l’odyssée d’un échantillon prélevé par la goélette Tara.

Préparation de la mise à l'eau des filets Bongo
Levée du filet Régent – © Maeva Bardy, Fondation Tara Océan

Tout commence par une étude approfondie des cartes et des données satellitaires pour identifier la station précise de la goélette. Certaines régions sont choisies en fonction de phénomènes observables, comme une efflorescence de phytoplancton. Une fois la zone déterminée, la goélette se positionne pour le prélèvement et choisit l’outil adapté au type d’échantillonnage souhaité. Ainsi, Chaque filet utilisé répond à un objectif précis :

Les filets prélèvent, jusqu’à 1 000 mètres de profondeur, un très grand volume d’eau et des types d’organismes particuliers en fonction de la taille du filet :

Les rosettes récoltent des échantillons plus petits et offrent des données précises sur le contexte physico-chimique des prélèvements. 

Une station c’est 7 filets déployés, environ 300 échantillons récoltés et 13 plongées de rosette.

Prélèvement au filet à bord de Tara
Prélèvement au filet à bord de Tara – © Louise Cognard, Fondation Tara Océan
La force de Tara consiste à répéter systématiquement le même protocole à chaque prélèvement, partout sur la planète. Cela donne un jeu de données incomparable.
Douglas Couet, biologiste marin

L’échantillon collecté est ensuite filtré pour extraire les éléments recherchés et analysé dans un des trois laboratoires à bord. Par exemple, si l’étude concerne le plancton, l’eau est filtrée pour ne conserver que les organismes.

Si on souhaite étudier le plancton, on filtre l’eau de mer et on ne garde que le filtre. Il se conserve dans des tubes à essai de 5 ml, que l’on peut stocker par milliers à bord.
Douglas Couet, biologiste marin

Chaque échantillon se voit ensuite attribué un code-barres unique qui permettra une traçabilité sans faille tout au long du processus. Le temps est un facteur critique : la filtration et le conditionnement sont réalisés dans les 15 minutes à quelques heures après le prélèvement. 

Le stockage en mer à bord de la goélette demande une conservation rigoureuse, les échantillons y sont stockés pendant environ deux mois, dans des conditions précises selon leur nature :

Ces conditions strictes garantissent que les échantillons arrivent intacts aux laboratoires à terre.

Transfert des échantillons dans de l’azote liquide – © Leslie Moquin, Fondation Tara Océan

Lorsque la goélette accoste, les échantillons sont débarqués puis transportés vers un hub logistique où sera fait l’inventaire puis le stockage. Ce transfert est assuré par des spécialistes du transfert de matériel biologique, veillant scrupuleusement au respect des conditions de conservation. Ces quelques jours sont cruciaux, c’est le fruit de long mois de travail à bord du bateau qui sont entre les mains des logisticiens.

Au hub, les échantillons sont triés en fonction des spécialités des laboratoires partenaires, répartis dans différents pays. Par exemple, l’étude du phytoplancton est confiée à des experts français.

Dès leur arrivée au laboratoire, les échantillons sont manipulés avec précaution, en respectant scrupuleusement la chaîne du froid, afin de préserver leur intégrité. Ils sont catalogués, en vérifiant bien leur numéro et leur site de collecte, un par un, la traçabilité étant primordiale. Pour la dernière expédition de la goélette, Tara Europa / TREC, ce sont environ 70 000 échantillons prélevés au total dont un millier est actuellement traité par le Genoscope, le centre national de séquençage, à Évry. Là-bas, des études de génomique y sont réalisées, l’objectif est d’examiner en détail leur ADN, qui renferme l’ensemble de leurs informations génétiques.

Après cet inventaire minutieux, chaque prélèvement est stocké à -80°C en attendant son analyse. Une base de données est ensuite créée pour répertorier précisément l’emplacement des échantillons dans les boîtes et congélateurs.

Classification et inventaire des échantillons – © Maeva Bardy, Fondation Tara Océan

Avant toute analyse, plusieurs étapes sont nécessaires. L’ADN et l’ARN sont d’abord extraits des cellules, puis subissent un processus de purification et d’élution (remise en solution des molécules) afin d’obtenir une solution pure. Un contrôle qualité est ensuite réalisé pour évaluer la quantité et l’intégrité des acides nucléiques des ADN et ARN. Cela va déterminer si le protocole de préparation des librairies se fera en manipulation manuelle en tube si peu de quantité, ou au robot sur des plaques de 96 puits si les quantités sont suffisantes.

La création des librairies – séquences d’ADN prêtes à être analysées et lisibles par le séquenceur – passe par une fragmentation de l’ADN, suivie de l’ajout d’adaptateurs aux extrémités des fragments. Un index unique, semblable à un code-barre, est également apposé pour assurer la traçabilité de chaque échantillon.

Les librairies enfin prêtes, elles sont déposées sur une Flow Cell, une lame de verre insérée dans un séquenceur qui va décoder l’ADN ou l’ARN. Une fois les séquences obtenues, leur qualité est vérifiée et elles sont ré-attribuées aux échantillons correspondants.

Ces données génomiques sont ensuite mises à disposition de la communauté scientifique. La dernière étape, qui arrive souvent plusieurs années après le prélèvement de l’échantillon, c’est l’analyse et l’interprétation par les chercheurs. S’en suit, si quelque chose d’important est découvert, la rédaction d’un article scientifique qui s’accompagne de la relecture par les pairs, la correction, puis la publication dans une revue scientifique, contribuant ainsi à l’avancement des connaissances en biologie et en génétique du Vivant

Plus de 5 000 publications scientifiques ont été publiées suite à l’étude des données des expéditions de la fondation Tara Océan.

Une des dernières publications scientifiques ayant utilisé les données de la Fondation Tara Océan concerne la perception de la lumière par le phytoplancton, les recherches ont pu être menées grâce aux prélèvements de l’expédition Tara Oceans.

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