[Programme Argo] Comment les balises Argo collectent-elles des données océanographiques en temps réel ?
Le programme Argo s’appuie sur des milliers de flotteurs qui collectent, en temps réel, des données à travers l’Océan mondial. Dans cet article, découvrez comment fonctionne ce programme, le récit de la récente contribution de la Fondation Tara Océan, et l’importance de la coopération scientifique internationale pour mieux comprendre et mieux protéger l’Océan.
Présentation du programme ARGO
Qu’est-ce que le projet Argo ?
Le programme Argo est une initiative scientifique internationale lancée en 2000 par la Commission Océanographique Intergouvernementale et l’Organisation Mondiale de la Météorologie. Il a été conçu pour observer et comprendre l’Océan global en temps réel et en particulier pour obtenir des données sur la température et la salinité de l’Océan, afin de surveiller sa variabilité et de comprendre son rôle dans le système climatique.
Ce programme fonctionne grâce à un réseau de milliers de balises Argo, également appelées flotteurs profileurs. Ce projet repose sur une collaboration unique entre de nombreuses institutions scientifiques, dont l’Ifremer en France.
Argo a été pensé pour combler un besoin crucial : obtenir des données continues, fiables et globales sur l’état de l’Océan. Contrairement aux bateaux océanographiques traditionnels comme la goélette Tara ou aux satellites, les flotteurs Argo sont capables de collecter des informations directement depuis la colonne d’eau, de la surface jusqu’à 2 000 mètres de profondeur, et en continu sur de longues dérives.
Argo est la plus vaste source de données océaniques jamais rassemblée dans l’histoire de l’humanité. Elle s’intègre au Système mondial d’observation de l’Océan (GOOS) et contribue à la compréhension du climat.
Anecdote : Le nom Argo a été choisi en référence au partenariat avec le programme Jason, les satellites d’observation de la Terre chargés de mesurer la forme et la dynamique de la surface océanique. Une référence donc à la mythologie grecque : Jason naviguait sur son navire Argo à la recherche de la toison d’or.
Qu’est-ce qu’un flotteur Argo et à quoi sert-il ?
Un flotteur Argo est un instrument scientifique autonome, conçu pour dériver au gré des courants. Il effectue des cycles réguliers de plongée pouvant aller jusqu’à -6000m et de remontée afin de mesurer la température, la salinité et parfois d’autres paramètres concernant la biologie/chimie de l’Océan. Une fois revenu à la surface, il transmet ses données par satellite aux centres de recherche, ce qui permet d’alimenter en temps réel les bases de données océanographiques mondiales.
Ces informations sont essentielles pour :
- améliorer les modèles climatiques
- suivre l’évolution du changement climatique
- mieux comprendre les phénomènes océaniques comme les courants ou les tempêtes
- fournir des données précieuses pour la navigation et les prévisions météo-marines
Le programme Argo vise à maintenir une flotte opérationnelle de près de 4 700 flotteurs autonomes répartis sur l’ensemble des bassins océaniques. Parmi eux, environ 1 000 flotteurs biogéochimiques (BGC) sont équipés de capteurs spécialisés pour analyser l’oxygène, les nutriments ou encore le pH de l’eau, et 1 200 flotteurs profonds sont conçus pour explorer au-delà des 2 000 mètres de profondeur.
Zoom sur le fonctionnement du flotteur Argo
Chaque profileur Argo est déployé en mer depuis un navire scientifique. Une fois à l’eau, le flotteur descend progressivement pour se stabiliser autour de 1 000 mètres de profondeur. Après environ dix jours, il effectue une plongée plus profonde, pouvant atteindre 2 000, 4 000, voire 6 000 mètres selon son type. Puis, il amorce sa remontée vers la surface. Une fois revenu à la surface, le flotteur transmet automatiquement ses mesures, ainsi que sa position GPS, via satellite à des stations de réception terrestres. Ensuite, il replonge pour entamer un nouveau cycle de dix jours, jusqu’à l’épuisement de ses batteries, ce qui lui confère plusieurs années d’autonomie.
La goélette Tara à la recherche de balises Argo
Comment la Fondation Tara Océan a-t-elle contribué au programme Argo ?
En mer, il arrive que des bateaux croisent le chemin de flotteurs devenus inactifs. Leur récupération est alors essentielle pour permettre leur reconditionnement et remise en service afin de poursuivre leur mission et continuer à alimenter la recherche scientifique internationale.
Dans cette interview, Clémentine Benac interroge Charlène Gicquel, capitaine de la goélette Tara, sur une opération récente au cours de laquelle l’équipage a récupéré deux balises en mer Méditerranée.
C.B. : Pourquoi faut-il récupérer les flotteurs Argo ?
C.G. : Alors, ces flotteurs fonctionnent grâce à des batteries et forcément, ils ont une durée de vie limitée, en moyenne cinq ans. Donc les personnes qui coordonnent ce programme s’efforcent de plus en plus de récupérer les flotteurs lorsqu’ils sont en fin de vie pour éviter que ces flotteurs finissent en déchets dans l’Océan puisqu’ils sont quand même équipés de batteries, de composants électroniques, de plastique etc. Donc déjà pour un enjeu de pollution, mais aussi pour les reconditionner et pouvoir les déployer à nouveau. Ça représente une économie non négligeable pour tous ces programmes scientifiques.
C.B. : Et pourquoi la goélette Tara va récupérer des flotteurs Argo ?
C.G. : Pour récupérer les flotteurs, le programme fait appel, quand c’est possible, à des navires d’opportunité (nom donné aux navires qui passent devant une balise inactive pour la récupérer). Les coordinateurs du programme tiennent à jour une cartographie des flotteurs qui sont en surface et prêts à être récupérés, ça s’appelle le “Argo Float Recovery”. Donc, quand ils voient qu’il y a un navire d’opportunité proche d’une balise, ils entrent en contact avec ce navire et proposent au navire de récupérer le flotteur si c’est compatible avec le programme du bateau. C’est ce qu’il s’est passé avec nous en ce mois de juillet 2025, à deux reprises. Le coordinateur du programme à l’Ifremer nous a contactés parce que nous allions passer proche de deux flotteurs en Méditerranée qui étaient prêts à la récupération. Et ils nous ont demandé si on était d’accord pour les récupérer.
Quel est le processus de récupération d’une balise Argo ?
C.B. : Quel est le processus de récupération ?”
C.G. : Alors la méthode de récupération sera différente en fonction des navires, parce que nous n’avons pas la même précision à la manœuvre. Les grosses unités auront tendance à mettre une annexe à l’eau, ou alors d’utiliser des grands filets. Sur la goélette Tara, nous les avons récupérées le long du bordé, tout simplement parce qu’aux deux occasions la mer était très plate et la visibilité était excellente, donc on a pu parfaitement localiser le flotteur et faire une approche directement avec Tara et le récupérer le long du bord avec juste un petit bout et une gaffe pour le remonter à bord.”
C.G. : Et pour garantir nos chances de retrouver la balise, nous suivons sa position GPS en direct ! En fait, une fois qu’il arrive en surface, le flotteur Argo communique par satellite sa position et donc c’est à ce moment-là que le coordinateur du programme a la possibilité de demander à la balise d’envoyer sa position à une fréquence beaucoup plus courte pour que nous puissions connaître sa position en temps réel. Donc c’est ce qu’il fait une fois que nous nous approchons de la zone : il augmente la fréquence de rafraîchissement de la position à cinq minutes. Et comme ça, toutes les cinq minutes, nous avons une position actualisée et lorsque nous savons que nous sommes proches, nous sortons les jumelles et la cherchons !
Interview de Charlène Gicquel, Capitaine de la goélette Tara
Une collaboration scientifique à travers l’Océan mondial
Pourquoi la coopération internationale est essentielle pour la recherche marine ?
La science, et plus particulièrement l’océanographie, ne peut progresser sans la coopération internationale. L’Océan est un écosystème unique et interconnecté : ses dynamiques dépassent largement les frontières politiques.
C’est pourquoi des programmes comme Argo reposent sur un effort collectif mondial. La France est parmi les trois premiers financeurs avec les Etats Unis, qui contribuent à environ 50% du programme, et l’Australie. Plus de 30 nations collaborent pour entretenir ce réseau de flotteurs profileurs, garantissant ainsi une couverture planétaire et des suivis en continu. Cette collaboration dépasse même le cadre strictement scientifique : tout navire ayant une balise inactive sur sa route peut contribuer en la récupérant, afin qu’elle soit reconditionnée et remise en service. Voilà ce qui illustre concrètement la force de la collaboration scientifique internationale.
À la Fondation Tara Océan, nous collaborons avec des scientifiques et des laboratoires du monde entier. Les données récoltées lors de nos expéditions alimentent une base de données globale, librement accessible à tous, renforçant ainsi le partage des connaissances à travers le monde.
Comment les données partagées renforcent-elles la science et la société ?
La force des données de la Fondation Tara Océan, du programme Argo et d’autres initiatives internationales réside dans le partage en libre accès des données. Pour le programme Argo, chaque mesure collectée par un flotteur est rapidement transmise par satellite, validée par les équipes scientifiques, puis mise à disposition en ‘open data’.
Ces données nourrissent :
- la recherche fondamentale en climatologie et océanographie
- les prévisions météorologiques et marines
- les politiques publiques de gestion durable de l’Océan
- des initiatives citoyennes
En mettant l’information à disposition de la communauté scientifique internationale, la science devient un outil collectif, au service des chercheurs, des décideurs et de la société civile.