Demain des bioplastiques biodégradables en mer ?
Priorité n°1 : améliorer considérablement la collecte et le recyclage des déchets.
Priorité n°2 : réduire drastiquement les plastiques jetables et à usage unique.
Priorité n° 3 : développer des plastiques écoconçus.
Voilà la mission de Stéphane Bruzaud, Professeur à l’Université de Bretagne Sud, à l’Institut de Recherche Dupuy de Lôme (UMR CNRS 6027). Il est l’un des chercheurs qui réfléchissent aux plastiques de demain. Grâce aux microplastiques prélevés lors des missions de Tara – Mission Microplastiques 2019 et Tara Méditerranée 2014 -, il analyse leurs structures chimiques afin de mieux les connaître, autrement dit de les « qualifier » pour déterminer quels sont les différents types de microplastiques présents en mer ou dans les fleuves. Mais les recherches de Stéphane ne s’arrêtent pas là : il s’attèle avant tout à trouver des solutions pour demain, notamment par la voie des bioplastiques.
Pourquoi l’industrie du plastique s’est-elle très fortement développée ces cinquante dernières années ?
Parce que les plastiques ont beaucoup de qualité, ce qui explique l’augmentation continue de leur production depuis les années 1960 ! Il ne faut pas les dénigrer aveuglément. Ils bénéficient d’une image de plus en plus négative mais il faut avoir l’honnêteté d’admettre qu’ils ont aussi énormément de qualités. Ils sont résistants mécaniquement, inertes sur un plan chimique et biologique, isolants, durables dans le sens où l’on peut les utiliser longtemps sans qu’ils ne se dégradent, légers ce qui permet de réduire considérablement le poids des objets et adaptables parce que toutes les formes de pièces sont possibles et imaginables, a fortiori avec le développement récent des techniques d’impression 3D, etc. Et ils ne sont pas chers, en comparaison du coût des autres matériaux. En fait, le problème essentiel réside dans l’utilisation que l’on en fait (problèmes du sur-emballage, des plastiques inutiles dont on pourrait se passer facilement…) et dans la manière dont ces plastiques sont traités en fin de vie ! Typiquement, si on prend l’exemple des plastiques à usage unique (par exemple, un gobelet ou un sac plastique), il est utilisé quelques minutes, voire quelques secondes si l’on prend l’exemple du gobelet de café, mais il va mettre des dizaines, voire des centaines d’années à se dégrader si malencontreusement celui-ci se retrouve dans l’environnement. Il faut donc que le type d’usage des plastiques, leur durée d’utilisation, leur durée de vie et leur fin de cycle soient rationnels. En deux mots, il faut repenser l’ensemble des matières plastiques au regard des problématiques d’aujourd’hui, illustrées abondamment par toute cette accumulation de déchets plastiques dans l’Océan.
Plastique biodégradable, plastique oxo-fragmentable, oxo-dégradable… le consommateur a de quoi s’y perdre non ? Et ce, même lorsqu’il essaie de s’informer pour faire le meilleurs choix. Qu’en pensez-vous ?
En effet, et on peut se demander si justement ce n’est pas l’objectif de certains de brouiller les pistes et rendre le message confus. Bien-sûr, le terme « biodégradable » n’a aucune signification si l’on ne précise pas les conditions de biodégradation. Or il existe des normes françaises et européennes, qui définissent la caractéristique de « biodégradabilité ». Celles-ci indiquent que le résultat doit être une biodégradation du matériau matérialisée in fine par la formation d’eau et de dioxyde de carbone dans certaines conditions et sur une échelle de temps donnée. Autrement dit, soit les plastiques passent avec succès les tests réalisés par des organismes certificateurs indépendants et peuvent être considérés comme biodégradables selon une norme précise ; soit ils ne les passent pas et ils ne peuvent pas être qualifiés de biodégradables.
Toutefois, lorsqu’on parle de biodégradabilité, c’est dans « certaines conditions », comme dans un composteur industriel par exemple. Mais il est rare que les sacs plastiques, même biodégradables, terminent leur vie dans un composteur.
C’est un peu ce qui limite la percée des plastiques biodégradables aujourd’hui parce qu’il faut une filière qui soit dédiée à la récupération de ces matériaux. Il faut que les industriels informent correctement les consommateurs pour qu’ils sachent si oui ou non ces plastiques sont destinés au tri (autrement dit au bac jaune en France). Néanmoins, de nombreuses agglomérations ont développé des filières vertes ou de biodéchets pour lesquelles l’utilisation de sacs compostables répondant à la norme en compost industriel est autorisée.
Pouvez-vous nous éclairer sur la définition des sacs oxo-fragmentables ou oxo- dégradables ?
Un sac oxo-fragmentable ou oxo-dégradable, c’est un sac en polyéthylène dans lequel on a incorporé des additifs (pro-oxydants), qui vont accélérer la fragmentation du plastique sans forcément l’amener jusqu’à sa dégradation complète. Donc on va, en quelque sorte, réduire la taille de ce plastique, peut-être même la pollution visuelle. Ils seront moins facilement observables, voire plus du tout. Autrement dit, ils ne peuvent pas être considérés comme biodégradables ! Les plastiques sous forme de microplastiques, voire de nanoplastiques, persisteront encore longtemps dans l’environnement, dans les sols ou dans l’eau. Les sacs oxo-fragmentables ou oxo-dégradables sont dorénavant interdits en France mais il est assez courant d’en trouver encore sur le marché.
Vous travaillez sur les plastiques du futur ? De quoi s’agit-il ?
Il faut développer des matières plus respectueuses de l’environnement depuis leur mode de production jusqu’à leur fin de vie dans une logique d’économie circulaire. L’objet de ces développements est d’utiliser des matières premières renouvelables, à partir de ressources végétales pour produire des plastiques biodégradables. Aujourd’hui, les chiffres révèlent que 359 millions de tonnes de plastique ont été produites en 2018 à l’échelle mondiale et seulement 1 % sont des bioplastiques. Bien évidemment c’est une illusion de vouloir remplacer la totalité des matières plastiques par des bioplastiques, et surtout parfois, cela n’aurait aucun intérêt. Les solutions pour que les plastiques ne se retrouvent pas dans l’environnement doivent être privilégiées. Pour les bioplastiques, on peut citer des exemples d’utilisation dans l’agriculture, dans le secteur de la pêche et de la conchyliculture, dans le secteur des cosmétiques ou bien le secteur des textiles. Sans oublier les applications type emballages qui pourraient, en fin de vie, intégrer un processus de compostage.
Quelles sont les matières premières utilisées pour la fabrication de ces plastiques ?
Des matières extraites de la biomasse : des sucres, de l’amidon, des huiles végétales ou bien des acides gras par exemple. Dans nos laboratoires à Lorient, nous travaillons depuis 2010 à valoriser des déchets de l’industrie agroalimentaire bretonne, issus de la filière fruits et légumes par exemple dans l’objectif de redonner une valeur économique à ces déchets en les réintégrant dans un processus industriel.
Depuis plusieurs années, nous avons démontré la faisabilité de production de bioplastiques par fermentation biologique en utilisant ce type de déchets, en association avec des bactéries marines prélevées au large des côtes bretonnes en mer d’Iroise (sur des coques ou des palourdes). Et grâce à des essais entrepris depuis 2011 dans le port de Kernével à Larmor-Plage (Morbihan), nous pouvons affirmer que ces bioplastiques présentent des vitesses de biodégradation particulièrement spectaculaires. Aujourd’hui, en termes de recherche et de développement, nous en sommes arrivés à la preuve de concept, à savoir la démonstration de la faisabilité de ce process à une échelle pré-industrielle. Les industriels partenaires du projet réfléchissent à la création d’une structure juridique et économique pour franchir le cap de l’industrialisation.
Quels sont les facteurs limitant à la production de ce type de plastique ?
Incontestablement, le coût ! Un pétroplastique coûte environ 1 euro le kilo ; un bioplastique coûte à minima 2,5 à 3 euros le kilo, voire plus. Il y a donc un différentiel important au niveau du prix, ce qui freine les industriels. Mais c’est aussi une histoire de marché. Lorsque le marché se développera, les coûts de production vont nécessairement baisser. C’est un problème d’offre et de demande.
Pour l’instant, les bioplastiques trouvent des applications dans des marchés de niche. Mais j’ai bon espoir que, compte tenu de la prise de conscience actuelle, que les applications des bioplastiques se démocratisent, aidées par les législations en vigueur ou à venir. Il faut arriver comme dans tout développement de produits ou de process, à trouver le bon équilibre entre des performances qui doivent forcément être excellentes, un impact environnemental qui soit le plus minime et un coût acceptable par l’industriel et le client. C’est le principe même du développement durable. Imaginons des nouveaux modèles industriels plus vertueux et plus locaux qui pourraient permettre de dynamiser l’activité économique localement et être source d’emplois. Soyons innovants !
Mais prioritairement, la France doit limiter drastiquement ses déchets plastiques non biodégradables à commencer par les emballages. Mais aussi parce que certaines utilisations nécessiteront toujours du plastique, il faut développer les plastiques biosourcés et biodégradables et améliorer le recyclage. En quelques mots, la règle des 4R : réduire, réutiliser, recycler et ré-inventer…
Propos recueillis par Noëlie Pansiot et Elodie Bernollin