Pourquoi la recherche scientifique est-elle essentielle en Antarctique?
Recouvert de glace, le continent Antarctique est situé dans la partie extrême du pôle Sud. Il est bordé par l’océan Austral et les mers de Ross et de Weddell. À plus de 700 kilomètres du continent américain, la péninsule Antarctique est une zone isolée.
À la découverte du continent Antarctique
1- GĂ©ographie et climat
Quelle est la superficie de l’Antarctique ?
L’Antarctique est recouvert à plus de 98% par les glaces. Dans cette zone du globe, différents types de glaces coexistent : la calotte glaciaire et la banquise.
- La calotte glaciaire est un glacier d’eau douce (liée à une accumulation de neige continentale sur de longues périodes) dont la superficie de 14 millions de kilomètres carrés équivaut à 27 fois la France !
- La banquise est une couche de glace de quelques mètres d’épaisseur qui se forme par la congélation d’eau salée à la surface de la mer. Ce phénomène a lieu durant l’hiver polaire lorsque la température est inférieure à -1,8 °C. La banquise peut couvrir jusqu’à 20 millions de kilomètres carrés d’Océan en hiver et disparaît presque totalement en été.
La majeure partie de la glace mondiale est contenue dans le continent Antarctique. La formation et la disparition des glaces rendent le continent difficile d’accès. Il n’est ainsi accessible que pendant 2 Ă 3 mois en pĂ©riode estivale. De plus, la saisonnalitĂ© des glaces joue un rĂ´le important sur l’écosystème affectant la circulation ocĂ©anique globale, les Ă©changes thermiques entre l’OcĂ©an et l’atmosphère et la biodiversitĂ©.
Quel est le climat en Antarctique ?
Le climat de l’Antarctique est caractĂ©risĂ© par un froid intense et sec, avec peu de prĂ©cipitations et une grande ariditĂ©. L’Antarctique est le lieu le plus froid sur Terre car c’est un continent peu ensoleillĂ©, isolĂ© et recouvert de glace.
Sur la cĂ´te, les tempĂ©ratures maximales se situent entre 5 et 15 °C alors qu’à l’intĂ©rieur du continent les minimales fluctuent entre -80 et -90 °C. C’est sur ce continent que la tempĂ©rature naturelle la plus basse de la planète a Ă©tĂ© enregistrĂ©e le 10 aoĂ»t 2010, avec -93,2°C (source : institut polaire). Au mois de dĂ©cembre dernier, un pic de « chaleur » s’est produit avec des tempĂ©ratures supĂ©rieures aux moyennes saisonnières avoisinant 15 Ă 20 °C (https://climatereanalyzer.org/). Cette anomalie de tempĂ©rature confirme le besoin de poursuivre le suivi scientifique dans cette zone reculĂ©e de notre planète.
2- Une biodiversité polaire particulière
L’Antarctique est un rĂ©el refuge pour la faune marine. Dans cette rĂ©gion polaire, la faune a dĂ» s’adapter Ă des conditions extrĂŞmes.
Quelle est la biodiversité présente sur le continent Antarctique et dans l’océan Austral ?
L’océan Austral entoure le continent Antarctique au sud des bassins océaniques : Atlantique, Pacifique et Indien. C’est l’océan le plus isolé des activités humaines sur Terre. Il représente un écosystème diversifié avec plus de 9 000 espèces identifiées (Atlas biogéographique de l’océan Austral de De Broyer et al., 2014). Bien que de nombreuses campagnes scientifiques tentent depuis le XVIIIe siècle de décrire cet environnement, des zones difficiles d’accès restent inexplorées (comme les grandes profondeurs par exemple).
L’ocĂ©an Austral est riche en biomasse (ensemble de la matière organique d’origine vĂ©gĂ©tale ou animale) grâce Ă des eaux chargĂ©es en nutriments et en oxygène. La banquise reprĂ©sente un habitat pour de nombreuses espèces (algues, bactĂ©ries, protistes, invertĂ©brĂ©s, etc…) qui ont su s’adapter aux tempĂ©ratures extrĂŞmes et Ă la forte salinitĂ© pour pouvoir se dĂ©velopper dans la glace. La biomasse est riche en phytoplancton et particulièrement en diatomĂ©es qui contribuent Ă 25 % de la production primaire (production de matière organique vĂ©gĂ©tale ou biomasse, issue de la photosynthèse) en Antarctique (Arrigo et Thomas, 2004). Ces microalgues reprĂ©sentent une source protĂ©ique importante pour les invertĂ©brĂ©s comme le krill Ă la fin de l’hiver quand la nourriture dans la colonne d’eau est rare. La banquise est donc un rĂ©servoir saisonnier de nutriments et de microalgues. De ce fait, une diminution de l’épaisseur de la banquise peut avoir des consĂ©quences importantes sur la biomasse de krill.
Le krill est abondant en Antarctique et il est à la base de la chaîne alimentaire de nombreuses espèces. Il sert de nourriture aux poissons, baleines, phoques, orques ou léopards de mer et oiseaux présents dans cette zone.
Les manchots, animaux iconiques de ce continent, sont adaptés aux températures extrêmes. Quatre espèces vivent en Antarctique : les manchots à jugulaire (Pygoscelis antarcticus, les manchots papous (Pygoscelis papua), les manchots Adélie (Pygoscelis adeliae) et les manchots empereurs (Aptenodytes forsteri).
Ils ont pour habitude de se regrouper en colonies pour se tenir chaud et se reproduire. Les manchots papous choisissent de s’installer sur des roches rocailleuses à la différence des manchots Adélie qui préfèrent la glace. L’épaisseur de la glace peut influencer le comportement des animaux. En effet, si elle est trop épaisse, les manchots peuvent avoir des difficultés à accéder à la banquise. Des questionnements se posent quant au phénomène inverse, quel sera l’impact d’une diminution de l’épaisseur de la banquise ?
Les phoques “léopards de mer » sont des prédateurs redoutables en Antarctique, avoisinant les 500 kilogrammes. Ils peuvent se nourrir d’une vingtaine de manchots par jour…
En conclusion, la banquise est essentielle, car c’est un habitat et une source d’alimentation pour de nombreuses espèces. La variation de son épaisseur peut être à l’origine de diverses perturbations dans cet écosystème polaire.
En quoi la biodiversité en Antarctique est-elle unique et pourquoi est-ce important de l’étudier ?
Dans cet environnement polaire aux conditions extrĂŞmes, les macro- et micro-organismes ont dĂ» s’adapter Ă diffĂ©rents facteurs pour survivre :
- L’omniprésence de la glace ;
- La forte prĂ©sence de nutriments dans l’ocĂ©an Austral. Ă€ l’inverse des autres mers du globe, les eaux Antarctique sont extrĂŞmement riches en nutriments comme l’azote et le phosphore. Ces nutriments dĂ©terminent, par leur concentration, l’activitĂ© microbienne d’une zone. En Antarctique, ce sont davantage les Ă©lĂ©ments traces, prĂ©sents dans l’environnement en faible concentration, comme le fer, qui boostent l’activitĂ© biologique du microbiome marin dans ces eaux.
- La lumière : en été, la durée du jour peut être très longue et, à certains endroits, en raison de la fonte des glaces, la « couche mixte » supérieure peut être très peu profonde, ce qui permet au plancton de bénéficier de niveaux de lumière très élevés.
L’adaptation à ces différents paramètres du milieu a permis de développer une biodiversité singulière et spécifique en Antarctique. Cette biodiversité rend de nombreux services écosystémiques sur Terre. Il est donc essentiel de l’étudier pour la comprendre afin de mieux la préserver et d’assurer qu’elle continue de remplir ses fonctions.
Un laboratoire de glaceÂ
La France est un des pays phares dans la recherche scientifique en Antarctique. C’est le seul pays européen à conserver 2 stations permanentes sur ces terres polaires. La recherche française fait aurorité sur les thématiques polaires, et se place au 5e rang mondial en termes de publications scientifiques sur l’Antarctique.
Pourquoi étudie-t-on l’Antarctique au cours de la mission Microbiomes ?
Ă€ l’entrĂ©e du passage de Drake, sĂ©parant dĂ©finitivement l’Antarctique de l’AmĂ©rique du Sud, le courant circumpolaire antarctique s’est mis en place dans l’ocĂ©an Austral. Progressivement, les microorganismes en Antarctique ont Ă©tĂ© isolĂ©s des autres espèces prĂ©sentes sur le globe. Actuellement, les scientifiques ne peuvent pas comparer le microbiome des eaux tempĂ©rĂ©es avec le microbiome polaire car ce sont deux Ă©cosystèmes bien distincts. Tara a donc Ă©chantillonnĂ© les eaux de l’Antarctique en ce dĂ©but d’annĂ©e 2022 pour tenter de mieux comprendre le microbiome.
Pourquoi nous intéressons-nous particulièrement à la mer de Weddell ?
La mer de Weddell est un Ă©cosystème intĂ©ressant car c’est l’une des rares rĂ©gions ocĂ©aniques oĂą des eaux profondes se forment (plongĂ©e des eaux de surface vers les profondeurs). De ce fait, elle joue un rĂ´le majeur dans la rĂ©gulation de l’absorption de chaleur et de CO2.
De plus, la mer de Weddell abrite une importante biodiversitĂ© qui rend de nombreux services Ă©cosystĂ©miques, tous soutenus par le plancton. Comme l‘activitĂ© microbienne dans cette zone est importante, elle joue un rĂ´le essentiel dans le cycle du carbone, en participant au transfert du carbone vers les couches plus profondes, loin de l’atmosphère.
Quel est le programme scientifique de cette expédition ?
Le programme scientifique a pour objectif d’Ă©tudier l’effet des variations environnementales dans les mers de l’Antarctique sur la structure et la fonction des communautĂ©s microbiennes marines.
Le protocole scientifique qui a été établi se base sur un échantillonnage des masses d’eau sur différents sites :
- Des prĂ©lèvements d’eaux peu profondes autour de l’Ă®le Joinville ;
- Des prélèvements d’eaux profondes de la mer de Weddell.
L’intérêt est de comparer ces échantillonnages entre eux mais également avec des travaux antérieurs et futures réalisés par des scientifiques sur Polastern, un navire océanographique allemand dédié à la recherche polaire.
La deuxième partie du programme est dédiée à l’étude d’un iceberg baptisé «Tasmania» qui mesure 22 m de haut et 0.6 km2 de superficie. Elle est menée sur plusieurs jours, en collaboration avec des scientifiques du British Antarctic Survey. L’objectif est de mesurer l’impact que l’eau douce des icebergs sur l’eau de mer.
Mission Microbiomes
Pourquoi Ă©tudier un iceberg ?Â
Les carottes de glaces représentent le seul outil pour accéder aux archives du passé en milieu polaire. Elles permettent de reconstruire des historiques de l’état de santé des glaces et d’établir des prévisions sur :
- les températures et précipitations ;
- les gaz Ă effet de serre (CO2, CH4, N2O et leurs isotopes) ;
- l’altitude ;
- l’érosion continentale ;
- les anomalies magnétiques.
Les scientifiques à bord de Tara ont collecté des échantillons dans 10 à 1000 mètres de profondeur de glace pour explorer et comprendre les changements survenus au cours du temps.
Comment s’adapte la science Ă des conditions climatiques extrĂŞmes ?Â
Les principaux dĂ©fis Ă relever en Antarctique sont d’ordre mĂ©tĂ©orologique : l’Ă©tat de la mer, l’intensitĂ© des vents et les basses tempĂ©ratures imposent des contraintes pratiques pour les scientifiques lors des opĂ©rations techniques. L’Ă©tat de la banquise peut Ă©galement limiter les opĂ©rations. Cette annĂ©e la glace Ă©tant très faible ce facteur n’a pas Ă©tĂ© limitant.
En quoi l’Antarctique est un marqueur du changement climatique ?
Actuellement, la mer de Weddell subit diverses pressions simultanées liées au changement climatique :
- Le réchauffement du climat et des masses d’eau ;
- L’acidification de l’OcĂ©an en raison de l’accĂ©lĂ©ration de l’absorption de CO2.
Ces modifications peuvent avoir des conséquences sur l’ensemble du fonctionnement de l’écosystème en mer de Weddell.
De plus, la fonte des glaces gĂ©nrĂ©e par le rĂ©chauffement climatique menace de plus en plus la banquise et les icebergs (blocs de glace d’eau douce dĂ©tachĂ©s de glaciers ou de la calotte, dĂ©rivant librement en haute mer). La dynamique de ces Ă©cosystèmes polaires peut ĂŞtre affectĂ©e au cours du temps.
D’autre part, le réchauffement peut exclure progressivement certaines espèces adaptées aux régions polaires.
Mission Microbiomes
Quels sont les enjeux gĂ©opolitiques en Antarctique ?Â
Continent de paix et de science, l’Antarctique est dĂ©coupĂ© entre 7 États dits “possessionnĂ©s”, c’est-Ă -dire ayant des revendications territoriales en Antarctique : l’Australie, l’Argentine, le Chili, la Norvège, la Nouvelle-ZĂ©lande, le Royaume-Uni et la France.
On trouve sur le continent quelques 80 bases de recherche scientifique, de diverses nationalités : celles des États « possessionnés », mais aussi chinoises, coréennes, russes, etc…
L’Antarctique a longtemps été le plus grand succès de coopération internationale pour la conservation de l’environnement marin. Le Protocole de Madrid, adopté en octobre 1991 dans le cadre du Traité Antarctique de 1959, donne à cette région le statut de “réserve naturelle consacrée à la paix et la science”. En 2009 puis en 2016, l’adoption des Aires marines protégées (AMP) du plateau Sud des îles Orcades du Sud et de la mer de Ross créait les toutes premières AMP internationales et le plus grand sanctuaire marin au monde.
Ces AMP ont été adoptées par la CCAMLR, un organe de gouvernance internationale introduit en 1982 réunissant 37 pays signataires dont 26 États membres avec droit de vote et 11 États adhérents sans droit de vote. Elle vise notamment à prendre des mesures pour faciliter la recherche et la coopération scientifique, assurer l’exercice des droits d’inspection et de la juridiction en Antarctique et enfin, protéger et conserver la faune et la flore de la zone.
Or, depuis ces avancées majeures il y a désormais plus de 5 ans, la CCAMLR s’est à son tour enlisée dans les méandres de la diplomatie internationale. Le réchauffement climatique, la pression de la pêche et le développement du tourisme dans la région menacent grandement la stabilité de l’écosystème antarctique, véritable thermostat du climat global. À ces défis actuels vient également se superposer la perspective de levée d’interdiction d’exploitation des ressources minières à l’horizon 2048, faisant ainsi lentement basculer l’Antarctique de sanctuaire à potentielle terre d’exploitation.
Face Ă ces enjeux, une minoritĂ© d’États bloque chaque annĂ©e les trois propositions d’AMP prĂ©sentĂ©es aux nĂ©gociations de la CCAMLR pour assurer la conservation de la biodiversitĂ© antarctique : deux sont portĂ©es par l’Australie et l’Union EuropĂ©enne et situĂ©es dans l’Est de l’OcĂ©an Austral ainsi qu’en mer de Weddell, la troisième est poussĂ©e par le Chili et l’Argentine sur la façade Ouest de la pĂ©ninsule Antarctique. La Chine et la Russie, deux pays pourtant dĂ©possĂ©dĂ©s de tout territoire dans la rĂ©gion, parviennent ainsi Ă empĂŞcher le consensus requis Ă l’adoption d’une de ces AMP alors mĂŞme qu’elles ont toutes Ă©tĂ© approuvĂ©es par le comitĂ© scientifique de la CCAMLR.
Aujourd’hui, face Ă ce blocage, les efforts de sensibilisation du grand public et les nĂ©gociations diplomatiques sont fondamentaux pour concrĂ©tiser ces propositions. La France, Ă travers son Office pour la BiodiversitĂ© (OFB), reste un des pays les plus actifs dans ces nĂ©gociations pour les AMPs Antarctiques, Ă cĂ´tĂ© de l’Australie, du Chili, de l’Argentine et de l’Allemagne.
Malgré quelques pays bien engagés, l’importance de ces écosystèmes pour la régulation du climat et la vie sur Terre est globale et nécessite que les États relancent l’élan collectif de coopération à l’origine du Traité Antarctique et du protocole de Madrid. Alors que l’on commence à peine à percevoir son fonctionnement, les études de Tara sur le microbiome antarctique lors de la Mission microbiomes viendront contribuer à l’effort international pour la conservation de l’Océan Austral. L’urgence est à convertir les échecs récents de la CCAMLR en futurs succès vers la résilience au changement climatique.
L’Antarctique est en quelque sorte un miroir des phénomènes qui affectent l’Océan. L’observation et la collecte de données permettent aux scientifiques de proposer des modèles d’évolution du climat et d’alerter sur les changements à venir. La goélette Tara, anciennement Antarctica, a été conçue pour étudier les régions polaires. En 2022, la mission Microbiomes est la 5e expédition menée en Antarctique par la Fondation Tara Océan. Et maintenant ? Laissons le temps à la science de nous dévoiler ces nouveaux résultats.
Tara Polar Station
Étudier l’Arctique, sentinelle du climat
Construction de Tara Polar Station
Suivi du chantier