Journal de bord de Renata Padovan : Documenter l’Océan pour une exposition immersive à terre
Renata Padovan, artiste visuelle brésilienne, était la 3ème lauréate à embarquer sur la goélette Tara dans le cadre de l’appel à résidence artistique de l’expédition Tara Europa de Galway (Irlande) à Bilbao (Espagne). Découvrez son journal de bord.
Le projet de l’artiste intitulé “Water-Air Interface” avait pour objectif d’explorer et de faire découvrir sous la forme d’une installation immersive ce milieu si particulier, mystérieux, dynamique, rempli de vie, fragile et essentiel qu’est la surface de l’Océan. Pour ce faire, Renata souhaitait mêler photographies, enregistrements sonores, images microscopiques, vidéos, dessins, mesures physico-chimiques de l’eau et échantillons collectés à bord avec des données sur les zones environnantes tel que les activités économiques, la démographie ou encore l’occupation des sols afin de rendre compte de ce qu’il se joue à la surface de l’eau, dans cet environnement entre deux mondes.
Avril 2023
Je suis ravie d’avoir été sélectionnée pour la résidence à bord de Tara. Mon intérêt pour les questions écologiques m’a poussé à postuler, et je suis sûre que je bénéficierai grandement de l’échange avec les scientifiques autour de leurs projets de recherche.
14 septembre 2023
Tous à bord, prêts pour le départ.
De l’excitation, de l’attente, c’est sans nul doute une nouvelle expérience pour moi.
19 septembre 2023
Brest, à bord de Tara après 5 jours de mer. Au début, la peur de l’inconnu. Petit à petit, après quelques bleus à force de me heurter ici et là au gré des vagues qui faisaient rouler le bateau, je me suis enfin sentie chez moi, au milieu de l’Océan.
Sensations
J’avais l’impression d’être suspendue dans le temps et l’espace, à mesure que ces concepts prenaient des ampleurs différentes, mais ce qui m’a le plus impressionné était la dimension de mon milieu. L’Océan autour de moi était si vaste, et cette immensité m’a fait prendre conscience à quel point j’étais petite, à quel point nous sommes petits, et que malgré cette insignifiance, nous sommes capables de faire tant de mal à la planète, quel sentiment inquiétant !
En mer, sur un voilier, j’ai ressenti la même sensation qu’au milieu d’une forêt. Un lien fort avec l’imprévisible. Tous les sens sont en alerte, le moindre changement peut déclencher des altérations inattendues qui nous transforment nous-même et notre environnement. Le hasard a un rôle important. La chance, le hasard… Une branche tombe et le chemin est bloqué, un coup de vent imprévu et nous perdons pied, perdons notre équilibre, affectant notre corps entier.
Cette sensation rend plus évident que je fais partie de la nature, que j’évolue en harmonie avec un ordre supérieur, celui de l’univers.
Une compréhension plus profonde de l’Océan
Le monde étonnant du plancton m’a été présenté. L’ensemble du processus de collecte de l’eau, l’attention portée aux moindres détails, c’est un travail très bien orchestré. Les échantillons révélaient des formes extraordinaires qui exécutaient une sorte de ballet chaotique, superposées sur différents plans. J’étais fascinée. Les êtres microscopiques ont produit une scène cosmique.
En traversant la Manche de nuit, j’ai été impressionnée par le nombre de navires commerciaux qui sillonnaient dans les deux sens, une voie navigable à fort trafic. Les uns après les autres, ils attendaient les instructions des centres de contrôle maritime. Le nombre croissant d’embarcations marines génère des émissions de gaz à effet de serre, des fuites d’hydrocarbures, des déchets et du bruit qui dérangent les animaux marins.
La taille des navires m’a impressionnée dès notre entrée dans l’estuaire de la Loire, tout comme le port et les nombreuses industries situées sur ses berges, dont les raffineries Total. C’était la vilaine image du « progrès ».
Travaux
L’expédition Tara Europa a été pour moi une période de recherche sur le terrain. J’ai été prise par l’expérience.
Mes échanges avec les scientifiques et l’équipage m’ont inspiré de nouvelles perspectives, tandis que mes enregistrements de divers sons sous-marins m’ont fait découvrir un univers inexploré. C’était exactement l’idée du projet que je proposais : collecter du matériel à différentes fins. L’installation immersive que j’ai proposée est prête à être réalisée, et comme je m’y attendais, de nouvelles pistes de travail se sont ouvertes à moi, comme des séries de photos reliant l’eau aux itinéraires de recherche et 2 nouvelles séries de photographies que j’ai nommées ‘Ghosts Ships’, l’une présentant des photos nocturnes d’un pétrolier que nous avons croisé et l’autre d’un navire de forage.
J’ai embarqué un pendule fixé sur un trépied, anticipant le balancement du navire. À l’intérieur du pendule se trouvait un stylo à encre. C’était formidable d’observer les mouvements marquer le papier, avec parfois des répétitions rythmées qui finissaient par déchirer les fibres, parfois des changements brusques de direction. C’était amusant de voir toute l’énergie des vagues traduite en dessins.
Près de 6 mois se sont écoulés et chaque fois que je revisite le matériel que j’ai collecté, de nouvelles idées me viennent à l’esprit.
Ce fut une résidence extrêmement stimulante, un tournant dans mon évolution en tant qu’artiste.