COP15 – Convention sur la Diversité Biologique : comment intégrer les écosystèmes marins dans la stratégie mondiale de préservation de la biodiversité ?
Pour le début de la COP15 de la Convention sur la Diversité Biologique, la Fondation Tara Océan rappelle le besoin urgent de mieux inclure les écosystèmes marins, leurs services écosystémiques et les pressions auxquelles ils sont confrontés. La biodiversité marine nous est encore grandement inconnue et pourtant, nous savons déjà que la pérennité de la vie sur Terre en dépend directement.
1992-2022 : Quel bilan 30 ans après sa ratification ?
En 1992, à Rio, s’est tenu le Sommet de la Terre, un rendez-vous historique au cours duquel a été créée, entre autres, la Convention sur la diversité biologique (CDB), un cadre de gouvernance majeur pour la protection de l’environnement. Cette Convention aborde la diversité biologique à toutes ses échelles : écosystèmes, espèces et plus récemment ressources génétiques.
À l’occasion de la COP10 à Nagoya au Japon (2010), les Parties à la Convention ont adopté un Plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020. Ce plan a fourni deux outils clés pour la conservation de la biodiversité mondiale :
- une liste de 20 Objectifs, dits Objectifs d’Aichi, afin de s’assurer que, d’ici à 2020, les écosystèmes soient résilients et continuent de rendre les services écosystémiques essentiels à la vie sur Terre mais aussi au bien-être humain ;
- un protocole de stratégie financière, le Protocole de Nagoya, fixant le mécanisme d’Aide Publique Internationale dédiée à la biodiversité.
À date, aucun des Objectifs d’Aichi n’a été atteint. Par conséquent, des recommandations ont été formulées pour un nouveau cycle d’objectifs, en vue de produire un Cadre mondial pour la biodiversité post-2020. C’est l’enjeu de cette COP15 qui se tiendra du 7 au 17 décembre 2022 à Montréal sous présidence chinoise. L’objectif sera d’adopter ce cadre afin de stabiliser la perte de biodiversité d’ici 2030 et de permettre la restauration des écosystèmes naturels, avec des améliorations nettes d’ici 2050.
Initialement fortement axée sur les enjeux terrestres, la CDB inclut encore timidement les écosystèmes côtiers et marins dans son champ d’action. Cette COP15 se doit de veiller à la bonne prise en compte de ces écosystèmes cruciaux pour les enjeux de lutte et d’adaptation au dérèglement climatique. Au-delà de la prise en compte de l’Océan dans les actions globales requises pour le cadre post-2020, la Fondation Tara Océan dresse une liste d’enjeux spécifiques à adresser.
L’objectif 30X30 : Quelle couverture et quel niveau de protection pour les AMP ?
La Fondation salue l’objectif de la CDB visant à protéger 30% (en surface) des écosystèmes terrestres et 30% des écosystèmes marins à l’échelle mondiale d’ici 2030. Un objectif minimum pour les ONG et les scientifiques alors que certains pays s’y opposent, tels que la Chine, l’Argentine ou le Brésil, ou que d’autres souhaitent le rendre moins ambitieux car l’utilisation de leurs espaces maritimes est trop importante.
Ainsi, pour la communauté internationale, tout reste à faire pour la mise en œuvre de cet objectif, et en premier lieu, aboutir à un consensus sur une définition commune de ces espaces et de ses modes de gestion. Au-delà de l’objectif quantitatif, les Etats doivent également mettre en place des feuilles de route pour atteindre cet objectif et surtout se donner les moyens pour les définir et les gérer de manière cohérente et efficace. Aujourd’hui encore des activités humaines fortement destructrices, tel que le chalutage, sont encore autorisées dans des zones dites protégées.
Selon la Fondation, en ce qui concerne les aires marines protégées (AMP), il existe plusieurs urgences à adresser :
- l’enjeu de la définition : il est important d’établir ces AMP sur des bases scientifiques solides et de s’assurer que tous les pays aient les moyens de financer cette recherche pour la planification mais également le suivi de ces AMP;
- l’enjeu du niveau de protection : la cible 30×30 ne doit pas pousser les États à une course aux kilomètres carrés d’espaces protégés avec des niveaux de protection faibles. En effet, la communauté scientifique s’accorde à dire que seuls les niveaux de protection dits “intégral” ou “fort” permettent de constater de réels bénéfices pour la biodiversité au sein des AMP mais également à leurs périphéries (étude publiée dans la revue One Earth). Actuellement, seul près de 3 % de l’Océan se trouve dans des aires fortement/intégralement protégées.
- l’enjeu de la gestion : les États doivent également s’assurer que chaque AMP définie soit réellement mise en œuvre, respectée dans les usages (pêche, tourisme, etc.) et gérée durablement avec une inclusion systématique des populations autochtones et des communautés locales.
Le guide des aires marines protégées de l’UICN fournit pour la première fois un cadre scientifique pour planifier, cartographier, suivre et contrôler de façon cohérente l’atteinte des objectifs des AMP.
L’enjeu de la régulation des données numériques
Depuis son entrée en vigueur en 1993, les objectifs de la CDB sont :
- la conservation de la diversité biologique ;
- l’utilisation durable de ses éléments ;
- le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques.
En 2016, le sujet de la régulation des données numériques a émergé, et pour la première fois l’idée de «Digital Sequence Information» (DSI, ou en français, information de séquence numérique) fût abordé à la COP14. Aujourd’hui, le concept de « DSI » est bien installé et comprend les séquences génétiques des plantes, des animaux et des micro-organismes. Comme pour la médecine, les progrès de la génétique et de la génomique, avec le séquençage de l’ADN à haut débit, représentent une vraie révolution pour la biologie marine. En face de cette révolution, de nombreux pays s’inquiètent de l’absence de règles pour la gestion de ces données numériques.
Au nom de l’équité et de la traçabilité, plusieurs pays demandent un contrôle accru dans l’accès à ces données, ce qui pourraient représenter une régulation trop stricte qui menacerait le principe même de leur accès libre et un accès gratuit pour la communauté scientifique.
Même si cette régulation doit suivre les principes d’équité et d’éthique du protocole de Nagoya, en aucun cas elle doit poser de barrières pour l’accès aux bases de données génomiques indispensables au progrès des connaissances. En 2020, la Fondation Tara Océan a rejoint le “DSI scientific network”, réseau qui défend le principe de l’«open data». En effet, toutes les données numériques issues des expéditions Tara sont disponibles sur des bases de données ouvertes à tous les chercheurs dans le monde, sans restriction. L’accès libre et gratuit des données permet des avancées incroyablement rapides sur la recherche, comme cela a pu être le cas pour le vaccin contre le COVID19. La Fondation Tara Océan est convaincue que la réponse au manque de régulation doit se structurer non pas autour de la fermeture des bases de données, mais sur la formation, le partage de technologies et une coopération scientifique renforcée entre les pays et notamment avec les pays en développement.
Un enjeu d’actualité : l’exploitation minière des grands fonds
L’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer est un thème qui suscite le débat. Annoncées comme des eldorados riches de métaux rares il y a trente ans, ces zones demeurent difficiles à atteindre, et les projets d’exploitation minières viables se révèlent trop chers et écologiquement désastreux. Avec la crise écologique et climatique, est-ce bien raisonnable de continuer à vouloir explorer les grands fonds marins, derniers espaces encore pristine de notre planète ?
Sur la base d’avis de chercheurs, mais aussi d’économistes, la Fondation Tara Océan pense que la réponse est non, et qu’il est temps d’arrêter de vouloir pousser encore plus loin les limites de la planète, d’autant qu’aucune organisation ne sera en mesure de faire appliquer un règlement juridique par 3 000 m de fonds.
Dans ce contexte, plusieurs organisations de la société civile, soutenues par une douzaine de gouvernements, demandent aujourd’hui un moratoire sur l’exploitation des fonds marins en haute mer qui soit acté par l’Autorité Internationale des fonds marins (AIFM). L’opportunité de ce moratoire, d’une pause, voire l’interdiction soutenue par le président de la République française, serait renforcée avec son inscription dans le cadre de l’agenda de la biodiversité post-2020 en négociation à cette COP15.
Découvrez l’appel d’ONGs, dont la Fondation Tara Océan, et de parlementaires auprès du gouvernement français en faveur d’un moratoire le 26 octobre 2022
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3 attentes de la Fondation Tara Océan
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