Redéfinir la production des plastiques avec les acteurs politiques et économiques

Ce 21 février 2019, la Fondation Tara a rejoint, aux côtés du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES), des acteurs du secteur privé et de WWF France, le Pacte National sur les Emballages Plastiques. À cette occasion, Romain Troublé, Directeur général de la Fondation Tara, rend compte des avancées et des enjeux sur le plastique en mer.


En quelques mots, en quoi consiste le Pacte National sur les emballages plastiques ? 

Les engagements repris dans ce Pacte plastique sont un premier pas. Il y a encore beaucoup à faire. Avec ce pacte, les signataires – les grands producteurs d’emballages et la grande distribution – se sont engagés, à partir de 2021 à :

  1. Éliminer les emballages en plastique problématiques ou inutiles d’ici 2025 ;
  2. Accélérer les efforts sur l’éco-conception et la mise en œuvre de solutions innovantes et durables
  3. Atteindre collectivement 60% d’emballages plastiques effectivement recyclés d’ici 2022 ;
  4. Incorporer en moyenne 30% de matières plastiques recyclées dans les emballages d’ici 2025

En savoir plus sur le Pacte National sur les emballages plastiques. 

Cet accord est tripartite, bien sûr, nous espérons que ces engagements seront bientôt traduits dans la nouvelle loi sur l’économie circulaire. L’État français, avec le MTES y travaille. Car ces engagements ne suffisent pas. Ils traduisent ce sursaut, que l’on observe de la part de pays, de collectivités, de décideurs, ou d’industriels convaincus d’une transition inévitable pour leur pérennité. Des initiatives, des innovations, des prises d’engagement se multiplient, les lois évoluent. Lentement. Des freins subsistent, des rapports de force existent. Il est important d’accompagner ces acteurs, ce sont eux les leviers de changement « à grande échelle ». Nous apporterons donc notre expertise scientifique, le point de vue de l’Océan.

Romain Troublé faisant un discours lors de la signature du pacte plastiques
Romain Troublé, Directeur général de la Fondation Tara Expéditions © Arnaud Bouissou / TERRA

Aujourd’hui, le problème des plastiques en mer est multiple, du gros déchet visible aux micro-déchets invisibles, les impacts sont très divers et la Fondation Tara participe à la compréhension de ces impacts sur l’écosystème marin. Où en sommes-nous d’après vous ?

On avance ! Mais pas assez vite, bien sûr. Les consciences évoluent à mesure que la production de plastique augmente, les nouvelles générations entrent dans le jeu, des textes de loi apparaissent, et notamment au niveau Européen. La Directive européenne sur les objets à usage unique fait son chemin. Des pays, des villes sans plastique jetable existent déjà ailleurs, comme San Francisco. De nouveaux matériaux bio-sourcés voient le jour…

Depuis 20 ans, de fausses solutions rassurantes pour le consommateur comme les sacs dits « oxo-fragmentables » ou « biodégradables » ont émergé. En réalité, ces emballages ne sont dégradables que dans des composteurs industriels trop rares, alors dégradables en mer… n’y comptez pas. Bref, tout reste à inventer !

Face à l’accélération des solutions comme les nouveaux matériaux bio-sourcés ou générés par des bactéries, partiellement compostables, l’expertise scientifique est plus que jamais nécessaire. Elle permet d’identifier l’impact des nouveaux matériaux sur la biodiversité, sur notre santé, et de faire la part entre les bonnes et les fausses solutions. C’est ce que nous voulons apporter dans la transition écologique avec notre expertise collective, construite avec la recherche fondamentale.

Quels sont les principaux leviers de changement pour lutter contre les plastiques en mer, selon vous ?

Pour les marins que nous sommes, force est de constater que nous en avons disséminé partout, en tout petits fragments de l’Arctique à l’Antarctique. Il nous faut stopper « l’hémorragie » par tous les moyens, et c’est à terre que la solution se trouve. Cela implique des changements profonds de notre mode de production et de consommation : agir tout au long de la chaîne, pas seulement au stade ultime du tri par les citoyens ou du recyclage par les collectivités. Ces transitions sont très lourdes et ne doivent pas reposer uniquement sur le consommateur.

De la plasturgie à la grande distribution jusqu’au recyclage, le secteur privé a une forte responsabilité et un effet de levier très important. C’est là le sens du Pacte National sur les emballages qui vient d’être signé entre les grandes entreprises, l’Etat français et la société civile. Ce Pacte est une initiative volontaire, qui vise à accélérer la transition du côté du secteur privé (1), il sera suivi par un comité intégrant l’Etat, des ONG et des chercheurs.

Vu de la mer, arrêter l’hémorragie en misant tout sur le recyclage serait une victoire limitée. Le stade premier de la transition, c’est la réduction des plastiques, avant même l’éco-conception de nouveaux matériaux, qu’il faut aussi favoriser. C’est cette idée des 5 R (Réduire / Refuser / Réutiliser / Réparer / Recycler) qui doit prédominer : rassembler les producteurs, les distributeurs, les recycleurs, les collectivités, les chercheurs et les consommateurs autour de ce défi est indispensable et urgent.

Infographie sur la répartition des microplastiques dans le monde
© Surfrider Foundation Europe – Campagne BeMed avec la Fondation Tara Expéditions

Que mettez-vous en place, au-delà de la science, autour de la thématique plastique chez Tara ?

Lors de l’expédition TARA Méditerranée en 2014, entièrement consacrée aux plastiques en mer, nous avions fait une vingtaine d’escales, rencontré les populations et les associations, de la France au Liban, de l’Albanie à la Tunisie. C’est lors de ces multiples échanges et table-rondes que l’on s’est rendu compte des limites qui se posent si l’on n’avance qu’avec les ONG et les écologistes. Il faut décloisonner le dialogue avec la sphère politique et le secteur privé. En 2015, avec la Conférence « Plastique en mer, au-delà du constat, quelles solutions ? » nous avons mis en place l’initiative Beyond Plastic Med, avec la Fondation du Prince Albert II de Monaco, Surfrider Foundation Europe et la Fondation Mava. Aujourd’hui, c’est une initiative qui a déjà permis de soutenir plus de 25 initiatives portées par des acteurs locaux autour de la Méditerranée.

La transition ne viendra pas que de ces annonces, ou de ces Pactes, ce sont des « pieds à l’étrier » : il y a une telle globalisation de la production (plasturgie, pétrochimie, etc) que la solution ne peut être que globale. Le rôle des Nations Unies et des États est de mettre en place un cadre commun à cette transition vers une économie plus circulaire pour l’industrie, pour développer des filières de recyclage, et pour accélérer l’éco-conception.

Echantillonnage de microplastiques
À bord, les scientifiques séparent les déchets plastiques des organismes marins prélevés dans un échantillon d’eau de mer © Samuel Bollendorff / Fondation Tara Expéditions

Comment Tara y prend part avec son programme de recherche ?

Ce que nous faisons en mer – observer, qualifier, puis étudier avec les laboratoires impliqués – doit permettre de comprendre les interactions entre le vivant, les différents plastiques et leurs composants potentiellement écotoxiques. Il est important de se rappeler qu’il n’y a pas UN plastique mais DES plastiques, que les additifs chimiques associés à chaque produit plastique sont très divers, complexes et très souvent secrets. Comprendre l’impact de ces différents polluants sur les organismes marins est un vrai défi aujourd’hui, c’est l’expertise que nous construisons avec le CNRS notamment. C’est aussi en confrontant cette expertise aux contraintes du monde industriel et ses multiples normes, qu’elle sera aussi plus pertinente.

En mer, la goélette tara observe, qualifie, prélève. D’ailleurs, nous repartons en mer pour continuer les recherches : construire un indicateur de pollution en mer en Europe, qualifier cette « hémorragie » en remontant les sources de pollution par les grands fleuves. Le départ est prévu en juin. Pendant 6 mois autour de l’Europe nous tenterons d’identifier avec le CNRS et avec le soutien de nos donateurs, partenaires et mécènes les liens terre-mer. Pour la première fois, Tara étudiera les embouchures de 12 des 15 principaux fleuves d’Europe avec à son bord, des écotoxicologues, des biologistes marins, des océanographes, des biologistes moléculaires…. L’enquête s’ouvrira par la Tamise, avant de faire escale à Londres !

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