[Tara Océans] Découverte de nouveaux virus dans l’Océan : les Mirusvirus

Une nouvelle découverte scientifique est parue dans la revue Nature (19.04.2023). Elle décrit un nouveau groupe de virus à ADN abondants dans l’Océan : les mirusvirus. Ces organismes complexes ont pu être caractérisés par une équipe portée par le CEA, le CNRS, le Génoscope, l'Institut Pasteur et d’autres institutions… grâce à l’importante base de données disponible en open data établie à partir des échantillonnages effectués au cours de l’expédition Tara Océans (2009-2013).

Des virus infectent le plancton dans l’Océan

Des scientifiques ont caractérisé un nouveau groupe de virus à ADN qu’ils ont appelé : les mirusvirus. [Mirus] est un nom latin qui veut dire étrange, ou encore surprenant. Ce mot reflète les traits évolutifs inhabituels de ces virus qui ont des génomes très complexes, avec des centaines de gènes et de nombreuses fonctions qui sont actuellement totalement inconnues.

Cette découverte est essentielle pour la communauté scientifique car elle permet de mieux comprendre la biodiversité du plancton à la surface de l’Océan et l’importance des virus dans ces écosystèmes. Mais elle éclaire également sur l’histoire évolutive des virus puisque les mirusvirus sont à mi-chemin entre le virus de l’herpès et les virus géants, un autre groupe distincts de virus présents dans l’Océan. C’est une réelle opportunité pour étudier l’écologie et l’évolution des virus à ADN. 

Qui sont les mirusvirus ?

Les mirusvirus sont très abondants à la surface de l’Océan, de l’équateur jusqu’aux pôles, où ils jouent un rôle de régulateur de la vie microbienne en infectant des cellules unicellulaires à noyau (les eucaryotes). Ils sont très présents dans les cellules planctoniques. 

Il est très probable que les mirusvirus jouent de nombreux rôles dans l’équilibre complexe du plancton. Cependant, cette première étude s’est focalisée sur l’histoire évolutive complexe de ces virus, et il reste encore de nombreux points écologiques et climatiques à éclaircir. 

Mécanisme d’infection virale du plancton marin

Étant proche génétiquement de l’herpès virus, les mirusvirus peuvent-ils être un danger pour l’homme ? La réponse de Tom Delmont, chercheur CNRS-Génoscope, est simple : “Si les mirusvirus pouvaient infecter l’homme, ils seraient connus depuis bien longtemps ! Même en buvant la tasse il n’y a aucun risque pour nous”. Ces virus ne peuvent pas nous infecter. 

Pourtant, les scientifiques ne savent pas encore exactement qui ils infectent au sein des eucaryotes unicellulaires, et leurs mécanismes d’actions restent encore méconnus. “Il reste beaucoup à comprendre sur ces virus. Cependant, tous ces nouveaux résultats pointent vers une infection de cellules unicellulaires, ce qui exclut les animaux. Bien que le virus de l’herpès et les mirusvirus partagent une histoire évolutive, ils sont très éloignés et ont probablement des stratégies fonctionnelles très différentes. En fait, nos analyses montrent que fonctionnellement parlant, les mirusvirus sont bien plus proches des virus géants qui eux aussi infectent les cellules unicellulaires du plancton.”.

Quelle est la différence entre un virus à ADN et un virus à ARN ? 

La différence entre les virus à ADN et à ARN se fait au niveau du type d’acides nucléiques utilisés par le virus pour le stockage de son matériel génétique. Ainsi, les gènes des virus à ARN sont constitués d’ARN et non d’ADN (comme les cellules humaines par exemple).

Les scientifiques savent que les virus à ARN et les virus à ADN jouent un rôle important dans l’écologie marine, particulièrement dans la régulation du plancton. Pour ce qui est des virus à ADN, deux groupes majeurs étaient déjà connus. Les mirusvirus forment un troisième groupe majeur de virus à ADN infectant le plancton à grande échelle. La découverte des mirusvirus est le début d’une nouvelle aventure puisqu’elle donne les clés à la communauté scientifique mondiale pour détecter et étudier le rôle de ces virus dans de nombreux écosystèmes, que ce soient l’Océan, les lacs, les rivières ou encore le sol.

Séquençage d’ADN et phylogénie : une démarche scientifique payante

D’après Tom, la découverte de ces virus à ADN a été une aventure scientifique. “En 2019, notre équipe de recherche a observé un signal évolutif inhabituel dans le tsunami de données de séquençage d’ADN des expéditions de Tara Océans. C’était un peu comme sillonner une immense plage avec un détecteur de métal. Mais dans notre cas, nous étions à la recherche de nouveaux virus. Nous sommes partie d’un gène marqueur (une RNA polymérase – une enzyme synthétisant de l’ARN à partir de la matrice d’ADN – présente dans la plupart des virus géants) et avons complété une exploration métagénomique du plancton (technique de séquençage et d’analyse de l’ADN) basée sur son signal phylogénétique (étude des liens de parenté entre différents individus). Notre approche était donc un cocktail de métagénomique et de phylogénie. Et nous avons trouvé un trésor évolutif dans l’Océan, quelque chose qui ne correspondait à rien de connu ! Le travail bio-informatique qui a suivi nous a permis de découvrir, puis de caractériser les génomes d’un groupe majeur de virus à ADN, que l’on a nommé les mirusvirus.”

Retracer l’histoire évolutive des virus : l’étude phylogénétique

A quoi sert un arbre phylogénétique ? 

Les études phylogénétiques aident la communauté scientifique à contextualiser l’histoire évolutive du vivant sous la forme d’un arbre. Les feuilles proches les unes des autres représentent, dans cette étude, des virus qui partagent un ancêtre commun récent. Et les feuilles très distances représentent des virus qui ne partagent qu’un ancêtre commun très éloigné dans le temps.

Shéma arbre phylogénétique - Mirusvirus
Relations évolutives entre les grands virus nucléocytoplasmiques, les Herpès virus et les mirusvirus.

Les mirusvirus forment une nouvelle branche dans cet arbre, distant de tout ce qui était connu à ce jour. C’est pourquoi il représente un nouveau groupe majeur de virus à ADN. 

“Les virus ne sont pas considérés comme vivant par une majorité de scientifiques.” détaille Tom. “Cependant, nous avons bel et bien découvert un composant important de la biosphère océanique. Ces virus sont probablement présents dans chaque litre d’eau à la surface de l’Océan ! Et nous avons caractérisé le génome de plus d’une centaine déjà. Il est probable que ce groupe inclut des milliers d’espèces de virus. Nos derniers résultats qui ne sont pas encore publiés vont certainement dans ce sens. Les mirusvirus sont présent dans de nombreux écosystèmes  et ils y sont très diversifiés.” 

Carte d’identité des mirusvirus à mi-chemin entre les virus géants et l’herpès virus !

Ces virus ont une histoire étonnante, à mi-chemin entre le virus de l’herpès, qui infecte la moitié de la population humaine mondiale, et les virus géants, un autre groupe de virus abondants dans l’Océan et qui fascine la communauté scientifique depuis des décennies.

Il faut savoir que les gènes responsables de la formation de la particule virale définissent la carte d’identité des virus à ADN. Et chez les mirusvirus, ces gènes ont une histoire évolutive proche de celle du virus de l’herpès. L’origine du virus de l’herpès était une énigme, et ces nouveaux résultats permettent d’orienter la réflexion vers une origine planctonique il y a de cela des centaines de millions d’années. 

Mais d’un autre côté, la majorité des gènes de mirusvirus sont semblables à ceux des virus géants. Cette chimère évolutive que sont les mirusvirus est unique et elle aide la communauté scientifique à clarifier l’histoire évolutive des virus à ADN. “C’est de loin l’aspect le plus étonnant de cette découverte.” confie Tom. 

Une découverte possible grâce à la base de données Tara Océans

La Fondation Tara Océan a joué un rôle clé dans cette découverte qui a été possible grâce aux métagénomes générés au Genoscope a partir des échantillons de l’expédition Tara Océans. 

Depuis plusieurs années, Tom Delmont s’est spécialisé dans la reconstruction et l’étude des génomes environnementaux du plancton, sans passer par la culture cellulaire. “Je m’appuie principalement sur les données métagénomiques de Tara Océans. Depuis 2019, j’ai eu la chance de coordonner une équipe internationale de chercheurs (incluant des experts reconnus en évolution des virus) dont le but était de comprendre un signal évolutif inhabituel trouvé dans les données de Tara Océans. Ce signal a été le point de départ pour découvrir les mirusvirus !”

Les échantillonnages de Tara Océans ont permis de faire de nombreuses autres découvertes. Récemment, nos collègues ont caractérisé de nouveaux groupes de virus à ARN abondant à la surface de l’Océan. La découverte de ces nombreux virus à ARN est une histoire fascinante. Comme point commun important, ces virus à ARN et les mirusvirus infectent les eucaryotes unicellulaires du plancton. Cependant, ils sont très différents. Notamment, les mirusvirus ont des génomes très larges, alors que les virus à ARN ne contiennent que quelques gènes et sont donc bien moins complexes. D’autre part, leurs histoires évolutives (entre virus à ADN et virus à ARN) sont très différentes, et nous éclairent donc sur différents pans de l’histoire évolutive globale des virus. 

Pour la suite de cette étude, il faudra tenter de cultiver en laboratoire ces virus. Plusieurs laboratoires associés à Tara Océans sont d’ores et déjà sur cette piste. La majorité de ces virus n’ont pas encore été caractérisés, dans l’Océan et au-delà. Ainsi, l’équipe de Tom va “s’efforcer de continuer à explorer la diversité des mirusvirus, et surtout leur complexité génomique fascinante, grâce notamment aux expéditions plus récentes portées par la Fondation Tara Océan.” Affaire à suivre…

Interview de Tom Delmont, chercheur CNRS-Génoscope. 

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