[TREC/ Tara Europa] Expédition scientifique inédite entre terre et mer au large des cÎtes européennes
Depuis avril 2023, un double Ă©chantillonnage entre terre et mer est effectuĂ© aux larges des cĂŽtes europĂ©ennes : Ă bord de Tara sur lâeau, et par des laboratoires mobiles Ă terre. LâexpĂ©dition Tara Europa/TREC (TRaversing European Coastlines) a pour objectifs dâinventorier et cartographier le vivant dans les eaux, les sĂ©diments, les sols et les airs tout au long des cĂŽtes europĂ©ennes, de comprendre les interactions et les fonctions biologiques entre les espĂšces et les Ă©cosystĂšmes, d'Ă©tudier lâimpact des polluants chimiques sur la biodiversitĂ© Ă terre et en mer, et dâexplorer lâimpact des changements climatiques locaux et globaux sur le vivant.
Une expĂ©dition coordonnĂ©e par lâEMBL (laboratoire europĂ©en de biologie molĂ©culaire) en collaboration avec le consortium Tara Oceans, la Fondation Tara OcĂ©an et plus de 70 institutions scientifiques. Elle rĂ©unit 150 chercheurs et chercheuses dans une trentaine de pays. Interview de Colomban de Vargas, le directeur scientifique de Tara Europa.
Quâest-ce que le consortium scientifique Tara Oceans ?
Le consortium Tara Oceans est nĂ© il y a une quinzaine dâannĂ©es lors dâune expĂ©dition menĂ©e par un consortium international de chercheurs et la Fondation Tara OcĂ©an. Lâobjectif Ă©tait dâexplorer les microbiomes dans lâOcĂ©an : comprendre quels organismes sont prĂ©sents, ce quâils font, comment ils interagissent entre eux et pourquoi, afin de comprendre comment ils assurent les fonctions Ă©cosystĂ©miques vitales pour la santĂ© de notre planĂšte bleue, et donc notre santĂ©. De ces explorations rĂ©alisĂ©es entre 2009 Ă 2013, 40 000 Ă©chantillons ont Ă©tĂ© ramenĂ©s Ă terre et sont encore analysĂ©s aujourdâhui !
Tara Oceans a rĂ©alisĂ© des travaux scientifiques remarquables, publiĂ©s dans plus de 150 articles, dont plusieurs dans les meilleures revues scientifiques. Aujourdâhui, la communautĂ© scientifique a une idĂ©e assez prĂ©cise de la diversitĂ© des organismes unicellulaires, y compris les virus, dans la couche supĂ©rieure de lâocĂ©an hauturier planĂ©taire.
GrĂące Ă ces recherches, il a Ă©tĂ© possible de reconstruire la biogĂ©ographie et les niches environnementales de centaines de microbes clefs de lâOcĂ©an, dâexplorer leurs interactions, et de dĂ©couvrir des symbioses remarquables entre eux ; prĂšs de 200 millions de gĂšnes diffĂ©rents dĂ©rivĂ©s de ces organismes ont Ă©tĂ© sĂ©quencĂ©s, dont certains codent pour des enzymes qui ont le potentiel de crĂ©er de nouvelles molĂ©cules pour la biomĂ©decine, ou de rĂ©aliser de nouveaux processus industriels.
Les donnĂ©es en accĂšs libre ont de fait gĂ©nĂ©rĂ© plusieurs centaines dâautres articles scientifiques au-delĂ du consortium Tara Oceans, et sont aujourdâhui une ressource standard pour lâĂ©tude du vivant marin, de son Ă©volution et intĂ©gration dans les grands mĂ©canismes du systĂšme Terre.
Dâune expĂ©dition Ă lâautre : de Tara Oceans Ă Tara Europa
Dans les pas de cette mesure holistique de la vie marine dans un contexte Ă©cosystĂ©mique, lâexpĂ©dition Tara Europa, qui est la composante maritime de TREC, apportera non seulement un nouveau jeu de donnĂ©es Ă©cosystĂ©miques en provenance des eaux cĂŽtiĂšres qui complĂ©tera lâextraordinaire collection de donnĂ©es connexes sur le microbiome marin rĂ©coltĂ©es au cours des expĂ©ditions Tara sur les 15 derniĂšres annĂ©es, et dĂ©ploiera aussi de nouveaux outils et protocoles pour explorer et comprendre les composants et processus molĂ©culaires et subcellulaires (Ă lâintĂ©rieur de la cellule), au cĆur des Ă©cosystĂšmes marins comme cela nâa jamais Ă©tĂ© fait auparavant.
Tara Europa/TREC aidera Ă comprendre lâextraordinaire richesse de nos cĂŽtes pour mieux la protĂ©ger.
Ăchantillonnages Ă terre et en mer
Lors de cette expĂ©dition, un double Ă©chantillonnage est effectuĂ©. Les prĂ©lĂšvements sont rĂ©alisĂ©s Ă lâinterface terre/mer suivant des gradients environnementaux qui couvrent les habitats depuis lâintĂ©rieur des terres vers le large : les sols, les sĂ©diments marins, les eaux de la plage, les eaux cĂŽtiĂšres, et les aĂ©rosols⊠Lâobjectif est de comprendre Ă quels points tous ces Ă©cosystĂšmes sont interconnectĂ©s, en termes dâĂ©cologie, mais aussi dâĂ©volution.
Parce que les Ă©cosystĂšmes de notre planĂšte sont interconnectĂ©s, on peut dire quâils communiquent entre eux. LâOcĂ©an forme certes un tout indissociable, continu et cohĂ©rent Ă lâĂ©chelle planĂ©taire, et câest pourquoi les expĂ©ditions Tara se sont concentrĂ©es jusquâĂ prĂ©sent sur les Ă©cosystĂšmes marins (cryosphĂšre, plancton, plastique, corail). Mais ce grand tout quâest lâOcĂ©an est aussi influencĂ© par ses Ă©changes avec les Ă©cosystĂšmes continentaux, ainsi que ceux des fonds marins et mĂȘme de lâatmosphĂšre.
Les gradients terre-mer sont explorĂ©s de la Finlande Ă la CrĂȘte et couvrent la gamme des conditions environnementales extrĂȘmes, en termes de tempĂ©rature, dâacidification, ou dĂ©soxygĂ©nation, prĂ©vues par les pires scĂ©narios de changement climatique. Ces gradients sont Ă©galement situĂ©s dans des rĂ©gions touchĂ©es par les dĂ©veloppements urbains et le tourisme, lâagriculture intensive, ou lâapport massif dâeau douce et composĂ©s terrigĂšnes par les fleuves.
Au final, lâobjectif est de rĂ©aliser des mesures directement dans une mosaĂŻque dâenvironnements Ă lâĂ©chelle du continent europĂ©en des polluants chimiques tels que les produits pharmaceutiques et les pesticides, et de comprendre leur impact sur les microbiomes, qui sont au cĆur du fonctionnement des Ă©cosystĂšmes et de la santĂ© humaine.
Est-ce que la biodiversité à terre est mieux connue et étudiée que celle en mer ?
Ătonnamment non !
âOn connaĂźt certes mieux les macro-organismes, plantes et animaux, sur terre quâen mer â et surtout sur les fonds marins qui nâont encore Ă©tĂ© que trĂšs peu explorĂ©s. Mais pour ce qui concerne la biodiversitĂ© invisible, qui forme la grande majoritĂ© du vivant, nous en connaissons aujourdâhui bien plus sur lâeau de mer que dans les sols. Pour une simple et bonne raison: il nây a pas encore eu de âTara Oceansâ des sols !â explique Colomban de Vargas, Directeur scientifique de Tara Europa.
LâexpĂ©dition Tara Oceans (2009 â 2013) a permis dâĂ©tablir une vision holistique de la biodiversitĂ© invisible de lâOcĂ©an, des virus aux animaux, sur lâĂ©chelle planĂ©taire. Il nây a pas eu lâĂ©quivalent pour les sols et les sĂ©diments, et câest en quelque sorte ce que les scientifiques tentent de faire dans Tara Europa/TREC.
Les secrets de la coordination dâune logistique terre/mer
LâexpĂ©dition Tara Europa/TREC a Ă©tĂ© pensĂ© Ă partir de la mĂ©thode Ă©cosystĂ©mique/holistique crĂ©Ă©e pour lâexpĂ©dition Tara Oceans, avec des mesures physiques, (bio)chimiques, et surtout biologiques couvrant la totalitĂ© de lâĂ©cosystĂšme et du vivant, rĂ©alisĂ©es par une Ă©quipe dâenviron 30 coordinateurs qui couvrent les diffĂ©rentes technologies et champs dâĂ©tudes.
Ă lâaide dâanalyses historiques et en temps rĂ©el des donnĂ©es satellitaires, et grĂące aux mesures de paramĂštres ocĂ©anographiques rĂ©alisĂ©es in situ et en continu par un systĂšme automatique installĂ© Ă bord de Tara, les meilleurs sites dâĂ©chantillonnage sont recherchĂ©s dans les eaux cĂŽtiĂšres impactĂ©es par les sites terrestres Ă©chantillonnĂ©s par lâĂ©quipe âsolâ de lâEMBL. Plus de 80 protocoles diffĂ©rents sont ensuite rĂ©alisĂ©s pour mesurer la bio-complexitĂ© dans son contexte environnemental. Des protocoles innovants permettent de faire lâinterface avec les Ă©cosystĂšmes continentaux, comme par exemple la mesure de centaines de polluants organiques.
Les positions dâĂ©chantillonnage ont toutes Ă©tĂ© fixĂ©es en concertation avec lâĂ©quipe âterreâ. Le plus contraignant Ă©tait de trouver les bons points dâĂ©chantillonnage dans les sols et surtout les sĂ©diments marins, Ă la fois pour des questions de composition (granulomĂ©trie, chimie) et de permis. Câest donc souvent la stratĂ©gie dâĂ©chantillonnage Ă terre qui a dictĂ© la zone dâĂ©chantillonnage de Tara. Et puis, les donnĂ©es satellitaires, les contraintes physiques locales (bathymĂ©trie, courants, marĂ©es), et les contraintes de navigation discutĂ©e avec le capitaine, permettent de finaliser le choix des âstationsâ les plus cohĂ©rentes dans la zone explorĂ©e.
De plus, du plancton fraĂźchement collectĂ© par Tara est immĂ©diatement transfĂ©rĂ© au Laboratoire Mobile de lâEMBL (le âALMâ, Advanced Mobile Lab), pour des analyses exceptionnelles des structures molĂ©culaires et cellulaires au niveau des cellules uniques (single cells). Ainsi, TREC/Tara Europa reprĂ©sente lâexploration la plus avancĂ©e et la plus complĂšte des microbiomes marins au cĆur des Ă©cosystĂšmes et de leurs interactions.
DâaprĂšs Colomban, âTout cela est trĂšs dynamique et demande beaucoup dâinteractions entre les Ă©quipes en mer, Ă terre, dans les labos et les bureaux, une vraie intelligence collective et beaucoup de .. WhatsApp!â
à la découverte du vivant le long des cÎtes européennes
Variabilité de la biodiversité en fonction de son écosystÚme
La biodiversitĂ© peut varier Ă©normĂ©ment le long de ces gradients terre-mer. Lors de cette expĂ©dition, diffĂ©rents types de sols, de sĂ©diments, dâeaux, dans des conditions dâestuaire ou de trait de cĂŽte, et Ă travers des environnements relativement sauvages ou au contraire trĂšs impactĂ©s par lâagriculture, la pharmaceutique, les ports et les villes sont analysĂ©s. Le vivant est donc mesurĂ© dans une mosaĂŻque dâenvironnements diffĂ©rents mais interconnectĂ©s, Ă la fois localement et globalement.
Le chercheur sâattend Ă ce que âla biodiversitĂ© dĂ©couverte soit bien plus grande que celle rĂ©alisĂ©e dans toutes les expĂ©ditions âTaraâ passĂ©es, et que le plan dâĂ©chantillonnage soit suffisamment cohĂ©rent et large pour dĂ©gager des âpatterns*â stables malgrĂ© la complexitĂ© et lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des Ă©cosystĂšmes explorĂ©s.â
*ModĂšle simplifiĂ© dâune structure
Un arbre du vivant à compléter
Quelle partie de lâarbre du vivant cherche-t-on Ă complĂ©ter ?
Avec cette expĂ©dition en interconnexion entre les Ă©cosystĂšmes terrestres et marins, aĂ©riens et souterrains, les biologistes vont non seulement dĂ©couvrir de nombreuses nouvelles espĂšces, mais aussi tenter de comprendre le fonctionnement des groupes clĂ©s. Certaines parties de lâarbre sont encore trĂšs mal connues, surtout dans les virus Ă ARN et plusieurs lignĂ©es dâeucaryotes unicellulaires ou protistes. âCâest Ă la fois navrant et merveilleux de savoir que nous ne connaissons quâune petite fraction du vivant sur Terre!â admet Colomban. Lâenvie de complĂ©ter la connaissance du vivant est telle que chaque Ă©quipe de chercheurs a ses âchouchousâ parmi les branches de lâarbre, et tous rĂȘvent tous de comprendre les mĂ©canismes intimes de leurs organismes de prĂ©dilection.
Au delĂ dâajouter des informations aux branches de cet arbre de vie, les derniĂšres expĂ©ditions de Tara ont permis de tendre vers ce quâon peut appeler la biologie planĂ©taire : la recherche se penche davantage sur une comprĂ©hension globale des Ă©cosystĂšmes en tentant de dĂ©couvrir comment le vivant dans sa totalitĂ©, maintient et transforme les Ă©cosystĂšmes et le climat, tout en Ă©voluant lui-mĂȘme. Dans ce cadre, il est essentiel dâĂ©chantillonner lâensemble du spectre du vivant : les virus, les procaryotes, les eucaryotes, et mĂȘme les vĂ©sicules et mĂ©tabolites que les cellules relarguent dans lâenvironnement pour communiquer.
Ă quelle Ă©chelle de biodiversitĂ© les analyses de lâexpĂ©dition Tara Europa/TREC sont-elles rĂ©alisĂ©es ?
La vie invisible et qui nâappartient pas aux animaux, plantes, champignons et macroalgues comporte la grande majoritĂ© de la biodiversitĂ© du vivant, la moins connue, et celle qui façonne le plus les Ă©cosystĂšmes. Le microbiome est donc la cible principale de Tara Europa et TREC. Toutefois, cette expĂ©dition permet aussi dâanalyser le macrobiome grĂące Ă lâADN que les organismes visibles relarguent constamment dans lâenvironnement, sous forme de peau, mucus, gamĂštes, etc. Enfin il y a plusieurs Ă©quipes, essentiellement au sein du programme europĂ©en BIOcean5D* liĂ© Ă TREC/Tara Europa, qui vont mesurer la diversitĂ© de macro-organismes clefs et de leurs microbiotes â des macroalgues, herbiers, Ă©ponges, et autres invertĂ©brĂ©s.
*Ce projet rassemble trois centres de recherche europĂ©ens majeurs en biologie molĂ©culaire/cellulaire (EMBL), en biologie marine (EMBRC) et en sĂ©quençage (GĂ©noscope), ainsi que 27 partenaires de 11 pays, pour construire une suite unique de technologies et de protocoles permettant une exploration holistique de la biodiversitĂ© marine, des virus aux mammifĂšres, des gĂ©nomes aux holobiontes, Ă travers des Ă©chelles spatiales et temporelles couvrant la pĂ©riode prĂ©industrielle Ă contemporaine. Lâaccent est mis sur la comprĂ©hension des gradients terre-mer de biodiversitĂ© et ses services Ă©cosystĂ©miques, avec notamment lâexpĂ©dition TREC qui dĂ©ploie des laboratoires mobiles, la goĂ©lette Tara et des navires de station, ainsi quâune science citoyenne innovante, Ă travers 21 pays cĂŽtiers et 35 laboratoires marins, de la Finlande Ă la GrĂšce (2023-2024). Les nouvelles donnĂ©es sont harmonisĂ©es avec celles existantes dans un âdata-hubâ connectĂ© aux infrastructures internationales. Les connaissances produites sont trans-technologies et multi-Ă©chelles, et intĂšgrent le niveau socio-Ă©cosystĂ©mique. Elles alimenteront : (i) les nouvelles thĂ©ories et modĂšles sur les dynamiques et facteurs Ă©cologiques et Ă©volutifs de la biodiversitĂ© marine, (ii) un portefeuille de nouveaux indicateurs holistiques de la santĂ© des Ă©cosystĂšmes marins, (iii) des mĂ©thodes et protocoles innovants pour lâĂ©valuation Ă©conomique et juridique de la biodiversitĂ© marine et ses services, intĂ©grant la complexitĂ© dynamique et fonctionnelle de la vie marine.
LâidĂ©e de Tara Europa et BIOcean5D est aussi de commencer Ă faire le lien entre micro- et macro-biomes.
Par quelle méthode étudions nous le vivant sur cette expédition ?
Sur Tara Europa/TREC, une panoplie exceptionnelle de mĂ©thodes et dâinstruments sont dĂ©ployĂ©s pour Ă©tudier le vivant dans toutes ses dimensions, sa complexitĂ©, permettant de mesurer :
- le poids (la biomasse) et la taille des organismes,
- la taxonomie, les génomes et les gÚnes, les protéines et les métabolites, les structures morphologiques des organismes, et ceci à la fois au niveau des populations et des individus.
Lâobjectif est de pouvoir rĂ©pondre aux questions fondamentales suivantes :
- qui est lĂ ,
- en quelle quantité,
- qui fait quoi?
âLe vivant est tellement complexe quâil faut mettre en Ćuvre toutes sortes dâinstruments pour mesurer la complexitĂ© de maniĂšre rigoureuse et homogĂšne dans tous les environnements.â confie Colomban.
Ă lâĂ©chelle de la population, les mĂ©thodes dites âmeta-omicsâ sont utilisĂ©es. Elles permettent de mesurer un niveau dâorganisation du vivant (ADN, ARN, protĂ©ines, ..) Ă partir de toutes les espĂšces prĂ©sentes.
Par exemple, la métagenomique consiste à :
- pomper, quelques litres dâeau de mer Ă bord de Tara et de filtrer les organismes invisibles Ă travers une petite membrane, prĂ©servĂ©e au froid dans lâazote liquide jusquâĂ son transfert au laboratoire ;
- extraire, au GĂ©noscope, lâADN total de tous les organismes concentrĂ©s sur la membrane et en sĂ©quencer un maximum, par milliards de petites sĂ©quences ;
- reconstruire, sur un ordinateur, le puzzle des séquences ADN en les alignant entre elles et en les comparant aux bases de données de séquences existantes, parfois identifiées pour leur taxonomie et/ou leur fonction..
Pour un seul Ă©chantillon dâeau de mer, des dizaines de millions de sĂ©quences dâADN sont identifiĂ©es. Elles sont parfois rattachĂ©es Ă une fonction et/ou un organisme connus, mais bien souvent elles sont nouvelles pour la science : âNous utilisons cette information pour commencer Ă comprendre qui est lĂ , en quelle quantitĂ©, et qui fait quoi.â
Impact des interactions entre les Ă©cosystĂšmes et des polluants sur lâĂ©volution du vivant
En mesurant le vivant et un large spectre de polluants organiques dans une mosaĂŻque dâenvironnements plus ou moins polluĂ©s entre terre et mer, les scientifiques ont pour objectifs de :
- dévoiler des pans de biodiversité inconnus (gÚnes, molécules, espÚces) dans tous les écosystÚmes explorés ;
- commencer à comprendre comment ces biodiversités sont interconnectées, à la fois par des mécanismes naturels et anthropogéniques.
Par exemple, les apports dâeau douce par les fleuves ou le ruissellement amĂšnent constamment dans lâOcĂ©an des organismes et des molĂ©cules, qui pourraient bien passer dâun Ă©cosystĂšme Ă lâautre et permettre son adaptation aux changements environnementaux, et donc son Ă©volution.
Des fonctions gĂ©nĂ©tiques spĂ©cifiques pourraient aussi passer de la terre a la mer par lâintĂ©gration de gĂšnes âterrestresâ dans les gĂ©nomes dâespĂšces marines (ou inversement de gĂšnes marins dans le vivant terrestre).
âNous chercherons Ă comprendre combien et comment les Ă©cosystĂšmes co-Ă©voluent, et quel est lâimpact des polluants sur les biodiversitĂ©s marines et terrestres et notamment leurs mĂ©canismes de coĂ©volution.â explique Colomban.
Quâest-ce qui vous enthousiasme le plus dans Tara Europa/TREC ?
âLa Terre est lâĂ©cosystĂšme ultime, et lâapproche TREC/Tara Europa propose pour la premiĂšre fois une biologie planĂ©taire digne de ce nom !â Colomban.
Colomban de Vargas : Directeur scientifique de Tara Europa
La curiosité avant tout
DĂšs son plus jeune Ăąge, Colomban se questionnait sur le comment et le pourquoi du monde qui nous entoure et de nos origines biologiques. Il a souhaitĂ© poursuivre ses Ă©tudes dans le domaine de la recherche pour âgarder une Ăąme dâenfantâ et assouvir sa soif de questions simples, pour explorer les Ă©cosystĂšmes et rencontrer la beautĂ© du vivant, entourĂ© de collĂšgues passionnĂ©s.
Parcours scientifique
AprĂšs une thĂšse Ă lâuniversitĂ© de GenĂšve (Suisse) en 2000, Colomban a rĂ©alisĂ© un post-doctorat Ă Harvard University (Ătats-Unis) et puis Ă©tait Professeur AssociĂ© Ă Rutgers University (Ătats-Unis) 2000 Ă 2005, avant dâĂȘtre recrutĂ© au CNRS en France en 2006.
PassionnĂ© par lâĂ©volution de la biodiversitĂ© en relation avec celle du systĂšme Terre, il a participĂ© Ă plus de 30 expĂ©ditions ocĂ©anographiques, et (co)dirigĂ© des programmes dâexploration du vivant marin de grande envergure (BioMarKs, Tara Oceans, Oceanomics, Mission Microbiomes, TREC/Tara Europa, BIOcean5D, mission Bougainville). Ses travaux aux interfaces entre les sciences de la Vie et de la Terre, entre les Ă©chelles molĂ©culaire, cellulaire, et planĂ©taire, contribuent Ă lâessor de la âbiologie planĂ©taireâ.
BasĂ© Ă la station biologique de Roscoff, Colomban dirige aujourdâhui la FĂ©dĂ©ration de Recherche Tara GOSEE (Global Ocean Systems Ecology & Evolution) et le programme international âPlankton Planetâ.
Entre évolutions cellulaires et planétaires
Colomban sâintĂ©resse particuliĂšrement Ă la biodiversitĂ© et lâĂ©volution des eucaryotes : âces cellules complexes qui contiennent un noyau, des organelles, et des membranes actives qui leur permettent de bouger, de communiquer et dâengloutir dâautres cellules.â Il y a environ 700 millions dâannĂ©es, les eucaryotes, encore unicellulaires, ont commencĂ© Ă se diversifier dans tous les sens, pour non seulement jouer un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant dans le fonctionnement de notre biosphĂšre, mais aussi donner naissance aux animaux et plus tard aux plantes. GrĂące aux recherches, on commence Ă comprendre les dynamiques et mĂ©canismes de diversification et de complexification de ces cellules, qui Ă©volueraient davantage par des comportements collectifs et des symbioses que par de la compĂ©tition.
Cap sur la biologie planétaire
Selon Colomban: âLa Terre est une planĂšte pĂ©trie de vivants, dâun vivant essentiellement invisible Ă nos yeux. Et ce vivant, encore trĂšs mal connu, produit non seulement la matiĂšre et les molĂ©cules qui nous nourrissent, nous soignent, nous permettent de respirer (lâoxygĂšne), mais il gĂ©nĂšre aussi les Ă©cosystĂšmes qui sont notre maison, et il fait mĂȘme Ă©voluer la Terre dans son ensemble, telle une cellule gĂ©ante qui flotte et se dĂ©veloppe irrĂ©versiblement dans lâespace. Comprendre les principes fondamentaux qui sous-tendent lâĂ©volution du vivant dans toute sa complexitĂ© et diversitĂ©, Ă lâĂ©chelle planĂ©taire, est Ă mon avis LA question du siĂšcle ; les rĂ©ponses Ă cette question vont tout simplement contribuer Ă la possibilitĂ© de notre survie sur la planĂšte vivante.â