Impact des activités humaines sur la biodiversité le long du littoral : évolution de l’occupation des zones côtières
Le littoral est un trait d’union entre les terres et l’Océan qui subit une forte anthropisation (il s’agit de la transformation de l'environnement par la présence de l'être humain ou par son action) au fil des siècles. 40% de la population européenne vit dans une région côtière, riche en biodiversité, en industrie, en culture et en patrimoine. L’expédition TREC/Tara Europa, s'attache pendant deux ans (2023-2024) à explorer les écosystèmes côtiers européens pour tenter de comprendre les interactions entre les deux principaux écosystèmes de notre planète : Terre/Océan.
Qu’est-ce que le littoral ?
D’après Michel Desse, professeur de géographie humaine des littoraux à l’Université de Nantes, le littoral est une zone d’interface entre la terre et la mer ou l’Océan qui fluctue en fonction de la journée, avec les marées par exemple, des saisons ou des événements climatiques comme la submersion marine. Suivant les zones, le littoral peut s’élargir à l’intérieur des terres en fonction des activités (zone portuaire – station balnéaire) jusqu’à 10 kilomètres par exemple.
La France est le 2ème territoire maritime mondial :
- 5 500 kms de littoral en métropole ;
- 2 000 kms de littoral en Outre-mer ;
- 975 communes riveraines de la mer ou de l’Océan ;
- 237 collectivités riveraines d’un lac, d’un estuaire.
En France, la loi Littoral, promulguée le 3 janvier 1986, a pour objectifs de préserver les écosystèmes côtiers tout en contrôlant le développement des activités économiques et les aménagements durables des territoires littoraux. Elle concerne plus de 1 200 communes riveraines de la mer, mais aussi de grands lacs, d’estuaires ou de deltas. Face à la pression urbaine, aux phénomènes d’érosion ou de submersion marine subis par ces territoires, elle tente de concilier préservation et développement du littoral.
Dans le cadre de la Loi Littoral (article L. 321-2 du code de l’environnement) est considéré comme littoral, toutes « les communes littorales » :
- riveraines des mers et océans, des étangs salés, des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares ;
- riveraines des estuaires et des deltas lorsqu’elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux.
40 à 60% de la population mondiale vit sur les côtes
Pour être précis dans cette estimation, il faut inclure la bande côtière, zone de liaison entre terre/mer et la région côtière c’est-à-dire une partie des terres continentales (300 km de large). En effet, la majorité des grandes villes mondiales sont présentes sur le littoral et le long des côtes.
Néanmoins, la répartition de la population sur les côtes n’est pas homogène. En France, le littoral du Cotentin, la pointe de la Bretagne ou encore les Landes sont des côtes peu peuplées à contrario la côte d’azur, le littoral vendéen et charentais sont très peuplés.
Le littoral est une zone géographique qui attire les populations du fait de son attractivité : emplois, loisirs, art de vivre, etc. et offre une certaine qualité de vie.
Comment le littoral a-t-il évolué au cours des dernières décennies ?
L’Homme a toujours été proche des côtes. De tout temps, la zone littoral représentait un territoire attractif.
D’un territoire de commerce et d’attractivité économique…
En Europe, cette occupation a connu une première intensification au XVIIIème siècle avec le début de la colonisation et la création des grands ports commerciaux qui vont faciliter le commerce triangulaire et les importations de marchandises.
Puis au XIXème siècle, avec le développement d’une colonisation de peuplement de nouveaux ports sont construits dans les pays colonisés. Ces ports vont se développer et devenir de nouvelles villes (Dakar, Abidjan…). En parallèle, les activités littorales se développent grâce aux progrès technologiques comme le chemin de fer et la boîte de conserve. Ces avancées permettent aux pêcheurs d’exporter leurs prises (sardines, thon, morue). On parle alors de littoralisation, un développement accru de l’activité sur les côtes.
En 1970, les littoraux deviennent le support de la mondialisation. Les ports connaissent un agrandissement sans précédent et deviennent une porte d’entrée pour le développement massif de l’import et de l’export (Rotterdam, Dunkerque, Fosse-sur-Mer…).
Dans les années 90’, certaines villes littorales se développent autour de la recherche et de l’innovation avec la construction d’universités et de centres de recherche comme à Brest, Nantes ou encore La Rochelle.
…vers un territoire de loisirs et de tourisme
Dès la fin du XVIIIe siècle puis plus particulièrement autour des années 1970 le tourisme s’accroît sur les côtes en Europe avec la création de stations balnéaires et touristiques. Ces zones littorales popularisées par les touristes deviennent petit à petit de véritables villes animées.
Au fur et à mesure, l’activité touristique s’intensifie, on parle alors de tourisme de masse. Pour accueillir ces nouvelles vagues de touristes, de grandes stations balnéaires vont être construites, souvent dans des endroits où il n’y avait pas d’autres infrastructures auparavant : Dinard, la Baule ou Deauville…
Quels sont les impacts de ces activités sur la biodiversité ?
Toutes ces modifications du territoire pour accueillir de nouvelles activités sur le littoral vont affecter la biodiversité. Le fait d’effacer des dunes, de recouvrir des étangs, de supprimer des zones de nature va déséquilibrer les écosystèmes. Prenons l’exemple des dunes, ces écosystèmes dissipent l’énergie des tempêtes en modifiant le profil des plages grâce au déplacement de sédiments. En les supprimant, nous nous exposons à certains risques.
L’artificialisation des côtes détruit des espaces de biodiversité pour les remplacer par des infrastructures artificielles et bétonisées. Dans les années 70’, les très grands aménagements portuaires vont remodeler la côte et ainsi faire disparaître des écosystèmes essentiels.
De plus, les activités qui s’étendent et s’intensifient vont engendrer des pollutions diverses. Les villes côtières, en raison de la densité de population, et les ports, en raison du trafic maritime intense, entraînent des pollutions sonores et lumineuses qui vont impacter la vie marine. La pollution sonore empêche par exemple la communication sous l’eau des espèces et perturbe ainsi leur équilibre. Le trafic maritime génère aussi des pollutions spécifiques comme le transport d’espèces invasives notamment avec le relargage des eaux de ballasts.
Une pollution qui ne vient pas seulement des activités côtières
La côte se situe au bout d’un continuum aquatique composé d’une multitude d’écosystèmes interconnectés qui se succèdent :
- ruisseaux,
- zones humides,
- étangs,
- rivières,
- estuaires,
- zones littorales..
Elle est donc le réceptacle de toutes les pollutions générées en amont, charriées par les fleuves et les bassins versants. Ainsi, ces entrants, qui sont injectés dans nos terres et nos fleuves, finissent sur la côte et impactent l’ensemble des écosystèmes interconnectés du continuum aquatique lors de leur transport.
On peut noter trois catégories de pollutions majeures :
- La pollution urbaine : La concentration de population génère des flux de pollution par le biais des caniveaux et des centrales d’épuration qui ne peuvent pas tout filtrer. Les produits pharmaceutiques par exemple qui sont ingérés par l’humain puis rejetés dans les eaux usées ne sont pas totalement traités par les centres d’épuration. Cette gestion des eaux usées n’est pas homogénéisée et certaines villes en Europe ne traitent toujours pas leurs eaux.
- La pollution agricole : Les activités agricoles sont à la source de pollutions chimiques et organiques liées à l’utilisation d’engrais et de pesticides qui infiltrent les terres et finissent dans les cours d’eau par l’irrigation des sols. De la même manière, les industries qui se situent sur les cours d’eau rejettent des polluants
- La pollution industrielle : Cette pollution est elle aussi plurielle. Elle comprend le rejet des eaux plus chaudes des centrales nucléaires mais aussi des rejets plus polluants, bien que ces derniers soient de plus en plus filtrés.
L’étude des côtes européennes par l’expédition TREC/Tara Europa
Les terres et leurs interfaces Terre/Océan sont des habitats pour la biodiversité. Les continuums représentent de réelles voies de circulations pour le vivant. Toutes ces interactions complexes, entre eau, sédiment, sols et humain doivent être comprises et modélisées pour gérer au mieux ces espaces aussi développés que vulnérables.
Si les études scientifique en “sciences du sol” et en “sciences de l’eau” ont largement contribué à la compréhension, voire à la modélisation, de ces milieux séparément, une étude transdisciplinaire croisant ces deux champs d’analyse, permettrait d’améliorer notre connaissance sur ce continuum Humain/Terre/Océan.
Ainsi, l’expédition TREC/Tara Europa tentera de répondre à deux objectifs scientifiques :
- comprendre la biodiversité du littoral et connaître les espèces présentes et les interactions entre ces espèces. Notre connaissance de cet écosystème est aujourd’hui très limitée. Afin de le préserver et de le protéger il est nécessaire de l’explorer et de comprendre qui l’habite et comment agissent les espèces présentent.
- comprendre l’impact des activités humaines sur la biodiversité. Des protocoles variés sont mis en place à bord de Tara afin d’étudier différentes pollutions anthropiques. Les scientifiques vont par exemple suivre les paramètres de l’eau comme le pH pour évaluer le niveau d’acidification le long des côtes européennes. L’acidification de l’eau est induite par les émissions de CO2 et à un impact important sur les écosystèmes marins et les services qu’ils rendent aux humains.
Les chercheurs vont aussi s’intéresser à la présence de polluants chimiques dans l’eau comme les pesticides, les produits pharmaceutiques ou encore les plastifiants. Le but de cette étude sera de comprendre comment les écosystèmes sont impactés par ces polluants, comment ils les métabolisent et quels produits résultent de ces interactions.
Il est essentiel de changer notre vision du littoral et de considérer cet écosystème comme un territoire partagé pour le conserver en bonne santé. Il ne s’agit pas de raser les villes existantes et d’interdire la vie humaine sur les côtes mais d’arrêter d’artificialiser ces terres et de limiter notre impact sur la biodiversité côtière. Le littoral est un bien commun.