Tara Polar Station : les défis de la science à bord d’un laboratoire dérivant en Arctique

Conçue pour se faire prendre dans la glace et dériver en Arctique, Tara Polar Station est une station scientifique unique au monde qui mobilisera une trentaine de laboratoires internationaux par expéditions jusqu’en 2046. Entre défis techniques, collaboration internationale et adaptation permanente, ce projet hors norme incarne une ambition scientifique inédite au cœur de la banquise.

3D Tara Polar Station de face
Tara Polar Station sera bientôt prise dans la glace

L’Arctique a un rôle crucial dans la régulation du climat mondial, et sa vulnérabilité face au changement climatique place le pôle au cœur des préoccupations scientifiques. Les transformations rapides qui s’y opèrent, notamment la fonte accélérée de la banquise, ont des répercussions majeures sur les écosystèmes locaux et influencent les courants océaniques et les conditions météorologiques à l’échelle planétaire. Afin de mieux comprendre ces phénomènes en constante évolution, il est essentiel de mener des observations scientifiques continues et sur le long terme. Ces études permettent de documenter les évolutions en cours, de modéliser les tendances futures et d’élaborer des stratégies d’adaptation efficaces. 

La Fondation Tara Océan, consciente de ces enjeux, a mis en œuvre la construction de Tara Polar Station, un laboratoire dérivant dédié à l’étude approfondie des écosystèmes de l’Arctique. Dix expéditions consécutives jusqu’en 2046 sont prévues, garantissant une continuité rare dans l’exploration scientifique de l’Arctique via des recherches multidisciplinaires débutant par Tara Polaris I en 2026.

Les objectifs scientifiques majeurs de ces expéditions sont au nombre de 4 :

Principaux sujets de recherche des expéditions de Tara Polar Station
Principaux sujets de recherche des expéditions de Tara Polar Station

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Face à la complexité des défis posés par l’étude de l’Arctique, la collaboration internationale s’avère indispensable. La Fondation Tara Océan a ainsi réuni un consortium scientifique regroupant des chercheurs interdisciplinaires de plus de 30 institutions1 de 12 pays différents pour sa première expédition Tara Polaris I. Cette coopération internationale facilite le partage des données, l’harmonisation des méthodologies et le développement de projets de recherche conjoints, renforçant ainsi la capacité collective à comprendre et à répondre aux enjeux environnementaux de l’Arctique.

Une vision pour les 20 années à venir est mise en place par un comité exécutif avec trois co-chairs : Lee Karp Boss, University of Maine, Marcel Babin, CNRS/Université Laval, Chris Bowler, ENS/CNRS. Toutefois, chaque expédition aura un.e directeur.e scientifique. Pour Tara Polaris I, c’est Marcel Babin.

“ Depuis plus de 20 ans, la force de la Fondation Tara Océan réside dans sa capacité à rassembler des scientifiques de disciplines et de laboratoires variés autour d’un objectif commun : mener des recherches collaboratives, publier ensemble, et partager librement les données avec l’ensemble de la communauté scientifique. ” rappelle Clémentine Moulin, Directrice du pôle Expéditions de la Fondation Tara Océan.

Au cœur de Tara Polar Station, les laboratoires ont été pensés pour accueillir une grande diversité de programmes scientifiques. 

La moitié du pont principal est dédié à la science avec 5 laboratoires : un laboratoire humide pour manipuler des échantillons (y compris des carottes de glace), des laboratoires secs avec instrumentation, des laboratoires dédiés à l’expérimentation in situ. MOON POOL : 

Au centre du navire, la “ moon pool “ offre un accès direct à la mer, qui permet de prélever l’eau de l’Océan toute l’année.

Les laboratoires occupent la moitié du pont principal de Tara Polar Station
Les laboratoires occupent la moitié du pont principal de Tara Polar Station

“ Chaque discipline (Biogéochimie, Génomique, Chimie, Biologie, dans l’eau, l’atmosphère ou la glace) a ses propres restrictions en termes de contaminations, de besoin d’espace, de produits chimiques, d’eau, d’électricité, etc. ” souligne Thomas Linkowski, Ingénieur océanographe à la Fondation Tara Océan.

Même si la station a été conçue avec des laboratoires relativement spacieux, le défi consiste à garantir une cohabitation harmonieuse de ces multiples équipements et protocoles. Il faut, en permanence, concilier rigueur scientifique et réalité logistique dans un espace confiné, au sein d’un environnement polaire extrême.

Un navire conçu pour la science et la glace
Tara Polar Station : un navire conçu pour la science et la glace

Tous les instruments scientifiques embarqués n’ont pas été conçus à l’origine pour résister aux températures que l’on peut rencontrer en hiver dans l’Arctique. Si certains ont déjà prouvé leur efficacité dans des conditions polaires lors de précédentes expéditions ou sur des camps de glace, d’autres devront passer leur baptême du froid.

En termes d’adaptation, Tara Polar Station étant toute neuve, il y aura de nombreux essais pour optimiser l’implantation du matériel à bord. L’objectif est de répondre aux contraintes d’accès : certains appareils doivent être connectés à l’eau de mer, d’autres à l’eau douce, d’autres encore exposés à l’air libre ou au ciel. L’adaptation des équipements au fil du temps sera donc une phase clé de la mission.

La préparation sera réalisée autant que possible à Lorient avant que Tara Polar Station ne se dirige vers le grand nord. Une fois la station prise dans les glaces, en septembre, alors que les températures seront encore positives, des ajustements complémentaires seront effectués progressivement sur place.

Il y aura également des instruments à mettre en place sur la glace mais ça se fera à l’automne, quand la glace commencera à se former et que les températures ne seront pas encore trop froides (-15 à -5°C). 

L’objectif est clair : anticiper au maximum pour limiter les interventions humaines quand l’environnement devient hostile. Hors maintenance ou urgence, tout est pensé pour éviter toute exposition extérieure une fois que le froid devient trop intense. 

Si les grandes lignes des protocoles océanographiques sont bien connues, leur adaptation au contexte arctique reste encore à affiner. À ce stade du projet, les scientifiques impliqués n’ont pas encore tous finalisé leurs méthodes d’échantillonnage spécifiques. En théorie, les protocoles utilisés dans l’océan Arctique sont proches de ceux appliqués dans d’autres bassins marins, mais des ajustements seront nécessaires, notamment en fonction de la saison, de la clarté de l’eau, ou encore de la faible concentration en plancton.

Thomas Linkowski précise :  » En Arctique, le contraste saisonnier est particulièrement marqué : la la différence de vie dans la colonne d’eau varient fortement entre l’été et l’hiver, tandis que les périodes de transition – au printemps et à l’automne – sont très rapides. « 

Ces périodes de bascule nécessiteront donc probablement des protocoles spécifiques encore en cours de définition. L’enjeu sera d’adapter l’échantillonnage au contexte : volume d’eau à prélever, durée de filtration, et fréquence des analyses devront être modulés au fil des saisons. 

Le camp de base sur la banquise Tara Polar Station
Le camp de base sur la banquise – © Arthur Billaud – Fondation Tara Océan

L’un des grands défis des expéditions scientifiques polaires réside dans l’harmonisation des protocoles. Plus les méthodes sont partagées entre les équipes, plus les résultats peuvent être comparés, consolidés et valorisés collectivement. C’est l’une des clés du succès des précédentes expéditions de Tara : des protocoles bien définis, simples à mettre en œuvre, et donc “ reproductibles ” à bord de différents types de navires océanographiques.

À cela s’ajoute une contrainte humaine importante : en hiver, l’équipage se limite à 12 personnes, dont seulement 6 scientifiques chargés de mettre en œuvre les protocoles pour l’ensemble du consortium.

Travailler en Arctique, c’est aussi accepter une part d’imprévu, surtout en matière de matériel. Si la prévention et la gestion des pannes n’ont rien de très différent d’une mission océanographique classique, la durée d’isolement rend les imprévus plus critiques. Il est donc essentiel de partir avec un stock conséquent de pièces de rechange, capable de couvrir plusieurs pannes successives sans possibilité immédiate de ravitaillement.

La prévention des pannes passe avant tout par une bonne préparation du matériel mais également par une surveillance régulière (anticiper les faiblesses des équipements, planifier leur maintenance régulière, et embarquer de quoi assurer les réparations de première nécessité). Pour les pannes inattendues, il faut simplement avoir pensé à embarquer à bord ce qui servira à le réparer. En cas de panne non prévue, il faudra faire preuve de créativité avec les ressources disponibles à bord… ou patienter.

“Comme on dit « Gouverner, c’est prévoir » c’est la même chose pour la gestion du matériel « mesurer sans arrêt, c’est prévoir » “ , conclut Thomas Linkowski.

  1. University of Maine, CNRS/Université Laval, ICM-CSIC, Weizmann Institute of Science, Institut Polaire Francais, Finnish Meteorological Institute, Memorial University of Newfoundland, Alfred Wegener Institute, Friedrich Schiller University Jena, University of Washington, Ohio State University, University of Alaska Fairbanks, EMBL, Free University of Brussels, Aarhus University, Swiss Polar Institute, EPFL, ETH Zurich, Eawag, Norwegian Polar Institute, UiT The Arctic University of Norway, Kyoto University, University of Manitoba, CNRS , CEA/CNRS/ Université Paris Saclay, CEA/CNRS/Université Grenoble Alpes, CNRS / Sorbonne, CNRS/Univ. Versailles St-Quentin, CNRS/Université de Toulouse, CNRS/GET, ENS/CNRS, CNRS/OOB, CNRS/Sorbonne_LATMOS, CNRS/Sorbonne_LOCEAN, CNRS/LOV, CNRS/IGE, CNRS/MIO, CNRS/Sorbonne _SBR ↩︎
Ours Polaire
L’ours polaire, symbole des conséquences du changement climatique ©vincent hilaire

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