Mécénat d’entreprise : quand l’union fait la force
Les treize expéditions scientifiques menées à ce jour par la goélette Tara, pour mener des recherches sur les écosystèmes marins et les faire connaître, ont été rendues possibles grâce aux instituts scientifiques mais aussi au soutien indéfectible de nombreuses entreprises. Aux côtés de sa fondatrice Agnès Troublé dite agnès b., elles ont été nombreuses à s’engager, depuis vingt ans, avec la Fondation Tara Océan. Deux d’entre elles, France Collectivités SAS et BIC, racontent comment et pourquoi.
Les escales et les actualités de Tara, celles de son expédition actuelle Tara Europa-TREC (avril 2023-juillet 2024) sur la biodiversité marine et les pollutions chimiques littorales, qui fait suite à la mission Microbiomes (2020-2022), vont de pair, en parallèle, avec un autre défi, de taille : le chantier, lancé en septembre dernier, Tara Polar Station, dont la mise à l’eau est prévue début 2025.
Une nouvelle dérive polaire très attendue, 18 ans après l’expédition Tara Arctic – 507 jours au milieu de la banquise du Pôle Nord, entre 2006 et 2008 –, que plusieurs partenaires privés de poids (Capgemini Engineering, BNP Paribas, Fondation Véolia, la Fondation Albedo, Bureau Veritas, entre autres), ont décidé de rejoindre. Un soutien capital : sans eux et malgré l’investissement pourtant crucial de l’État français, des Explorations de Monaco, de la Fondation Prince Albert II de Monaco et de grands laboratoires (CNRS, CEA ou l’EMBL), le projet même de la Station polaire n’aurait pu être envisagé. Et de nombreux nouveaux partenaires s’intéressent à l’aventure.
Depuis vingt ans, la science de l’Océan de haut niveau développée par les équipes de la Fondation Tara Océan et les laboratoires associés est déployée grâce à la générosité décisive de partenaires privés qui en comprennent tous les enjeux, immenses, en France et partout ailleurs, pour la préservation et la gestion durable des ressources marines. « En fédérant des entreprises partenaires et des philanthropes autour de ses projets, la Fondation Tara Océan s’assure des ressources indispensables pour mener à bien ses expéditions et actions de sensibilisation à travers le monde » souligne Véronique Vezin, directrice du développement de la Fondation Tara Océan. « Le recours au mécénat, ajoute-t-elle, est aussi une forme de sensibilisation de toutes les parties prenantes aux enjeux environnementaux liés à l’Océan. »
Apports de fonds mais aussi de compétences
Le groupe France Collectivités SAS, créé en 2000, est l’un de ces donateurs privés engagés de longue date aux côtés de la Fondation. La passion de l’entreprise chevillée au cœur et au corps, son fondateur et PDG, Cyril Haëntjens, a passé 35 ans de sa vie dans la distribution internationale de produits de santé. Son groupe, qui gère 26 000 produits de santé, est classé parmi les 50 premières entreprises indépendantes françaises exportatrices. Un succès que Cyril Haëntjens assume et veut partager.
Aussitôt après sa première rencontre avec Romain Troublé, en 2015, à Paris, à l’occasion de la COP21 – la goélette Tara est alors amarrée à quelques pas du pont Alexandre III –, il propose un apport de fonds mais également de compétences : « Au tout début, en 2009, dit-il, notre don était de 5 000 euros par an, bientôt de 10 000 euros. À partir de 2012, nous avons commencé à verser à Tara 5 000 euros tous les trimestres. Puis est venue l’idée de prendre intégralement en charge la dotation médicale à bord. » Pour l’expédition Tara Pacific (2016-2018), au cours de laquelle sont prévues des milliers de plongées, France Collectivités SAS fait ainsi livrer à bord de Tara un caisson de décompression et des équipements médicaux indispensables aux plongées de grand fond. La PME française prend tout en charge. « Notre don mensuel se poursuit, ajoute Cyril Haëntjens, tout comme la gestion de la dotation médicale. Lors de la dernière mission, on a fait un don de 15 000 euros et mis à jour la pharmacie de bord comme à chaque départ de mission ; on a remis à Tara des tas de nouveaux médicaments – car certains périment – et fait livrer à bord du matériel médical, des instruments et des équipements d’hygiène et sanitaires indispensables à la vie à bord de l’équipage. »
Si France Collectivités SAS n’est pas non plus un « sponsor majeur » de la Fondation Tara Océan – l’entreprise a rang de « partenaire » – son expertise et son savoir-faire sont devenus indispensables. « Avec Tara, nous sommes dans la continuité et dans la régularité, ajoute Cyril Haëntjens Cela amène une certaine sérénité aussi, pour Romain Troublé et son équipe, de savoir qu’en matière de besoins médicaux et au moindre problème, nous sommes là, réactifs, disponibles. » Preuve s’il en était : France Collectivités SAS est l’un des fournisseurs officiels de la future station polaire : Tara Polar Station. Il équipera son infirmerie, sa salle de sport et gèrera, là encore, sa dotation médicale.
La PME ne touche pas le grand public, ne médiatise pas ses actions philanthropiques mais reconnaît que son soutien à la Fondation Tara Océan lui amène une certaine notoriété. Elle explique son mécénat, en parle avec ses fabricants et même avec ses banquiers, rassurés par sa stratégie en RSE. Assis à son bureau devant une photo de Tara accrochée au mur, Cyril Haëntjens explique encore que « d’aider Tara apporte une autre vision du monde. Mes vingt-huit employés sont sensibilisés et partisans de notre action en faveur de Tara. Ils sont montés à bord. Ils reçoivent la newsletter Tara, cela leur ouvre les yeux. Dans les gestes quotidiens de l’entreprise, on essaie d’autant plus de trouver des solutions pour éviter le plastique, éviter le gâchis, trouver des substituts, être socio-économiquement responsable. »
Cyril Haëntjens se dit d’autant plus heureux de coopérer avec Tara qu’il est lui-même marin dans l’âme, régatier, président d’une station bretonne à Damgan de sauveteurs de la SNSM (Société Nationale des Sauveteurs en Mer), avec une formation de nageur de surface et de patron de vedette, et a navigué plusieurs fois à bord de Tara, entre autres lors d’une traversée de l’Atlantique mémorable – effectuée en dix jours, au gré d’incessantes tempêtes –, entre Boston et Lorient, ou en 2022, le long des côtes africaines, durant la mission Microbiomes. « Partenaire de Tara et taré de voile ! » comme il se qualifie.
Contribution à l’éducation et au développement durable
Comme France Collectivités SAS, nombre d’entreprises concluent des partenariats avec la Fondation Tara Océan, avec des objectifs communs de sensibilisation et d’amélioration des connaissances scientifiques. Les conventions prévoient pour certaines un volet pédagogique destiné aux jeunes générations, des actions de sensibilisation des employés en interne ou du grand public. Une fois le partenariat établi, les échanges – partages de savoir-faire, valorisation d’expériences sur des problématiques nouvelles – sont plutôt intenses.
Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Océan, résume ainsi les choses : « Nous travaillons avec des PME et avec de grandes entreprises qui ont une stratégie de transition ambitieuse – quelques-unes, même si elles sont encore rares, développent même des produits durables. L’idée, c’est celle d’un partenariat voire d’un accompagnement sur des objectifs communs. Je crois sincèrement que si on ne met pas tout le monde autour de la table, on n’avancera pas ! » C’est cette approche qui a séduit, par exemple, le groupe BIC, célèbre pour ses briquets et rasoirs monoblocs ou encore pour ses stylos.
Il y a cinq ans, sa division Briquets a commencé à accélérer sa transformation en faveur du développement durable et s’est engagée dans une démarche nouvelle, fondée sur des données scientifiques. « Quand nous avons entamé ces réflexions sur les nouvelles voies à explorer pour accélérer notre transformation, nous avons dû faire face au manque de connaissance scientifique applicable à nos produits, explique François Clément-Grandcourt, Directeur général de la division briquets chez BIC (lire l’entretien ci-joint). Nous avons donc décidé de mettre en place un programme scientifique sur mesure, nommé BIC SEA, pour concevoir un plan de développement durable, à long terme, sans céder aux idées reçues et en s’appuyant sur des faits avérés. C’est dans ce contexte que nous avons rencontré la Fondation Tara Océan. »
Le groupe BIC le reconnaît a posteriori : ses échanges avec la Fondation Tara Océan l’ont aidé dans ses réflexions et à se poser les bonnes questions. « L’approche de Tara, sa détermination et ses impulsions, ajoute François Clément-Grandcourt, ont été un moteur pour notre propre programme de recherche ! »
Interview de François Clément-Grandcourt, Directeur général de la division briquets chez BIC
Nous agissons dans une optique de partage de nos apprentissages avec des représentants de Tara et avec le monde scientifique !
François Clément-Grandcourt
Vous soutenez de multiples projets au sein de votre fondation d’entreprise. En quoi votre mécénat à l’égard de la Fondation Tara Océan est-il peut-être différent des autres, plus particulier et pour ainsi dire unique ?
BIC soutient surtout de nombreuses initiatives en matière d’éducation afin d’entretenir un intérêt continu pour l’apprentissage chez les élèves de tout âge. Nous sommes convaincus que l’éducation est essentielle pour favoriser le développement du libre arbitre et de l’autonomie, mais aussi la confiance en soi et l’expression de soi à travers des activités créatives. Le cinquième pilier de notre programme de développement durable intitulé « Writing The Future Together » permet de favoriser l’accès à des opportunités d’apprentissage inclusives et équitables, conformément à l’objectif de développement durable n°4 des Nations Unies. Cette ambition est aussi une promesse. En 2018, BIC s’est engagé à améliorer les conditions d’apprentissage de 250 millions d’enfants à travers le monde d’ici 2025. Fin 2022, nos efforts avaient permis de toucher 187 millions d’enfants. Il s’agit d’une aide très concrète afin de leur offrir un accès à un meilleur avenir. De ce fait, notre soutien à la Fondation Tara s’inscrit non seulement dans notre engagement sur l’éducation, mais aussi dans notre engagement en matière de développement durable – deux piliers essentiels en vue d’assurer un bon avenir pour tous.
Comment votre mécénat à l’égard de la Fondation Tara Océan se traduit-il en interne ? En faites-vous par exemple la « promotion » auprès de vos employés et partenaires ?
Le travail de Tara est un sujet qui inspire effectivement nos équipes. Notre engagement en termes de développement durable est un sujet très important pour nos collaborateurs. Nous avons mis en place un vaste programme d’information et de formations en interne et accessible à tous. Dans le cadre de ce programme, nous avons déjà pu organiser plusieurs conférences avec des représentants d’organisations engagées dans le développement durable, dont Tara, évidemment. Le but est de faire grandir nos équipes sur le sujet du développement durable – un sujet fondamental et complexe. Cela a été un plaisir de faire découvrir à nos équipes le travail et les missions de la Fondation Tara Océan. Ces moments furent des événements, en interne, très suivis et fortement appréciés.
Qu’est-ce que votre soutien apporté à Tara amène à vos employés ? Un accès privilégié aux connaissances relatives à l’océan ? À une communauté de scientifiques ? La possibilité de suivre de plus près les aventures de Tara et le futur projet de la Station Polaire Tara ?
Ce qui est intéressant avec le travail de Tara est qu’il couvre justement toutes ces facettes. Pour nous, être aux côtés de Tara est extrêmement enrichissant. L’approche de Tara, sa détermination, ses impulsions ont été un moteur pour notre propre programme de recherche. Cela nous donne aussi la possibilité d’expliquer à une ONG comment nous abordons le sujet du développement durable en tant qu’entreprise car les décisions que nous prenons aujourd’hui et les investissements que nous faisons ont un impact industriel fort et nous engagent pour les vingt ou trente prochaines années. Aussi est-il important de prendre nos décisions sur la base de faits probants, afin d’être sûr d’avancer sur le bon chemin. D’avoir la possibilité de suivre de près les missions de Tara est aussi passionnant.
Accroître les devoirs et les responsabilités de chacun à l’égard de l’océan et de la planète, réduire la pollution des plastiques et des microplastiques dans l’océan, sensibiliser l’opinion publique, sont donc des vœux chers au groupe BIC. Quels sont vos efforts en ce sens ?
François Clément-Grandcourt : Notre engagement auprès de Tara est justement né de notre volonté de réduire notre impact sur l’environnement. Pour cela, il fallait d’abord comprendre l’impact réel de nos produits, en passant par la science, afin de pouvoir agir en fonction et trouver des vraies solutions qui aient du sens dans la durée. Nous agissons dans une optique de partage de nos apprentissages avec des représentants de Tara et avec le monde scientifique. Nous espérons que notre façon d’aborder le développement durable, en adoptant une approche scientifique, peut aussi faire des émules et inspirer d’autres entreprises. Le développement durable est un enjeu majeur et c’est en travaillant ensemble que nous pourrons faire une vraie différence.