2003-2023 : 20 ans de mécénat en faveur de la Fondation Tara Océan

Qu’ils soient renommés ou anonymes, tous se sont engagés, depuis deux, cinq ou bientôt deux décennies, en faveur de Tara et de la Fondation Tara Océan, en faisant acte de générosité. Nous voulions comprendre pourquoi. Mieux cerner leur démarche et leurs motivations en leur donnant la parole.

Agnès Troublé, dite agnès b : 20 ans de philanthropie

Bientôt vingt ans que la créatrice Agnès Troublé, dite agnès b. – marque que la styliste a lancé en 1975 – demeure associée à un nom tenant en quatre lettres, voguant sur l’Océan autour de tous les continents : Tara. C’est en 2003 qu’Agnès Troublé et son fils, Étienne Bourgois, directeur général du groupe agnès b. depuis 1986, décident d’acquérir le grand voilier Seamaster auprès de Lady Pippa Blake, épouse de feu Peter Blake, le flamboyant skipper néo-zélandais, tué à bord deux ans plus tôt par des pirates, au Brésil, sur un bras du fleuve Amazone. De ce drame et du trauma naîtront un salut. Seamaster – qui se trouve être en outre l’ancien Antarctica de l’explorateur Jean-Louis Étienne –, devient alors Tara

Vision humaniste et renaissance

« En 2003, on a décidé d’acquérir ce bateau, Étienne et moi, afin de tenter de poursuivre l’aventure débutée par Peter Blake à bord : mener des recherches écologiques avec des scientifiques. Nous voulions agir en faveur de l’environnement avec d’autres parrains. »

Agnes.b
©La Fab., inauguration, (c) Jean Picon – Say Who, février 2020

Et la styliste, esprit humaniste – dans le droit fil d’une tradition française –, d’expliquer pourquoi le voilier fut ainsi nommé. « Nous l’avons baptisé Tara en mémoire de mon père, Ado Troublé. Enfant, il m’avait transmis la passion de la voile. Et surtout, il avait lu Autant en emporte le vent – Tara est le nom de la ferme dans le film. Pour lui, Tara, c’était également la renaissance après la guerre. » La sensibilité pour l’environnement et l’océan, pour la nature des choses aussi dans leur plus évidente simplicité, la filiation, la transmission des valeurs, la construction d’un projet collectif : tout était déjà écrit. 

Si on peut donner, alors on donne !
Agnès Troublé 

Le programme Tara naît donc en 2003, et Agnès Troublé en est, au tout début, la mécène fondatrice. Sa démarche est alors d’autant plus courageuse qu’elle est seule – ou quasi seule. Elle porte sur ses épaules un voilier de 138 tonnes, long de 36 mètres, large de 10 mètres, au haut mât de 27 mètres, géré, déjà, par une équipe de marins et d’experts scientifiques très motivés. Qu’importe les difficultés, elle y croit. Dès le début, l’engagement pour la cause écologique qu’elle défend, intrinsèquement, est à la mesure de sa générosité – laquelle ne souffre en parallèle d’aucun besoin de publicité, à part celle, a minima, de la signature agnès b. apposée ici et là sur la coque, les mâts et les grandes voiles de Tara. Certes important, l’écho que les médias donneront du projet lui importent moins. Dans l’esprit d’Agnès Troublé, aider ne peut être, en effet, un vain mot. Elle n’a de cesse de répéter, de vive voix, le mot «partage». Partager; encore et toujours, dès lors qu’on le peut. « Je me revois enfant, moi, la petite Versaillaise, éduquée dans la foi chrétienne, confie-t-elle. On m’a appris dès mon plus jeune âge à partager. Quand il n’y avait à manger qu’un plat de pâtes, on partageait le plat de pâtes. Vous savez, il m’est arrivé de vivre sans argent. Je sais ce que c’est de ne pas en avoir. Mais si on peut partager et donner, alors on partage et on donne ! Aimons-nous les uns les autres ! » Agnès Troublé est née en 1941 pendant la seconde Guerre mondiale. Il y a des moments que l’on n’oublie pas. 

Tara, c’est ma participation personnelle à la lutte pour l’écologie !
Agnès Troublé 

Donner, Agnès Troublé sait donc ce que c’est. Elle ira jusqu’à investir personnellement, près d’un million d’euros par an pour soutenir les expéditions de Tara.

Œuvre de Guillaume Bounaud : photographie des voiles Agnes b
© Guillaume Bounaud

Merci aux « Amis de Tara ! »

Action et décision qu’elle justifie, avec ses mots, sans fausse pudeur ni détour. « Bien sûr, je remercie les groupes qui sont venus à nos côtés, pour travailler avec Tara, même si je reste son soutien majeur. Tara a désormais beaucoup d’amis. Et c’est tant mieux. Et merci aux amis de Tara ! Oui, cela fait vingt ans cette année que je soutiens Tara. Et je le fais personnellement. Cette contribution, c’est la mienne, pas celle de la maison agnès b. Ce bateau, c’est vraiment ma participation à la lutte pour l’écologie – et je le précise de façon désintéressée car ce n’est pas forcément Tara qu’il faut soutenir. Il faut aussi payer ses impôts et aider sa nation. Car les riches se sont enrichis, encore et encore, au cours des trois dernières années de Covid – comme s’ils n’étaient pas assez riches ! Donc, je le dis et le répète : il faut absolument que les riches partagent. C’est une évidence. Certains sont généreux, d’autres non. Moi, je travaille à environ 65% pour l’État français. Il faut que d’autres contribuent de cette façon, comme moi. Qu’ils paient leurs impôts – au lieu de payer des avocats pour ne pas en payer ! » Agnès Troublé espère encore que davantage de noms, dans l’idéal relativement puissants, apporteront leur soutien aux futures expéditions Tara. « Pour les entreprises, ajoute-t-elle, il y a tellement à faire. D’ailleurs, je le disais déjà en 2003 : « J’aimerais bien que d’autres gens riches, oui, des ultra-riches, disons le mot, participent au projet Tara. Qu’ils partagent donc et viennent donc à nos côtés ! À bon entendeur ! » Aujourd’hui, depuis son bureau parisien, rue Dieu, le président de la Fondation Tara Océan, Étienne Bourgois, renchérit et résume parfaitement la situation, en quelques mots : « Nous ne pouvons plus rester contemplatifs. »

La lucidité en action

Avec le franc-parler qu’on lui connait, Agnès Troublé, devenue productrice de cinéma, collectionneuse d’art contemporain ou réalisatrice, constate malgré tout qu’en matière de philanthropie, la partie est loin d’être gagnée. Elle s’inquiète. « Nous allons être sur Terre de plus en plus nombreux et sans partage, cela ne fonctionnera pas. Il faut maintenant que certains grands dirigeants renoncent à leurs salaires gigantesques et répartissent mieux les richesses. Or, par rapport au réchauffement climatique, je trouve que l’égoïsme est énorme. Les dépenses militaires dans le monde atteignent 2200 milliards de dollars US par an ! 2200 milliards consacrés chaque année aux armes, à un moment où le GIEC tire la sonnette d’alarme ! Alors qu’on connait les risques que court la planète et qu’on joue avec le feu. Pour ma part, avec le recul, je me dis aujourd’hui que ce n’est vraiment pas un hasard si Étienne et moi avons acheté ce bateau en 2003. Parce que j’ai surtout l’impression d’avoir été toujours écologiste, en fait, de nature ! Désormais, je constate que la jeunesse se sent bien plus concernée et se bat pour l’écologie et c’est tant mieux ! Mais vous savez, cette nature dont je parle, c’est ma nature. Dans ma vie, il n’y a pas non plus que Tara. Je ne suis pas concernée que par Tara. On est aussi tous bouleversés par la guerre en Ukraine, évidemment. J’ai créé un cœur pour l’Ukraine comme je l’avais fait pour Sarajevo en 1992. C’est le drapeau de l’Ukraine sur fond noir, avec le bleu en haut et le jaune en bas. Les gens l’achètent et les profits vont à Kiev. » Agnès Troublé est d’abord une femme de son temps : la bienveillance alliée à la lucidité en action. 

Le temps des responsabilités

En 2012, Agnès Troublé, Étienne Bourgois et Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Océan depuis les débuts de l’aventure, reçoivent à bord de Tara, dans la baie de New York, sur Hudson River, celui qui est alors le secrétaire général de l’ONU, le Coréen Ban Ki-Moon. Ce dernier montera de nouveau à bord de la goélette à quai, au pied du Pont Alexandre III, à Paris, en 2015, lors de la COP 21.

Tara à New York
© Céline Bellanger

Depuis des années déjà, est venu, pour Tara et son équipe, le temps des responsabilités. La dérive arctique menée entre 2006 et 2007 a eu un retentissement considérable. La goélette est restée prise dans les glaces 507 jours et ses directeurs scientifiques ont ramené un trésor de guerre. De même qu’entre 2009 et 2013, l’expédition Tara Oceans portant sur l’étude de la biomasse planctonique mondiale, a dévoilé des millions de données jusque-là inconnues. Les résultats sont à ce point inespérés que Science lui consacre, en mai 2015, un numéro spécial. Ce sera bientôt au tour de Nature et de la revue Cell. Tara était à ses débuts un projet très idéaliste : la Fondation Tara Océan est désormais vue, grâce à tous ses mécènes et partenaires, privés ou institutionnels – Agnès Troublé étant désormais bien plus entourée –, comme un laboratoire flottant et garde-fou de très haut niveau au service de la protection de l’océan, capable d’étudier et de comprendre l’impact du changement climatique et des crises écologiques sur les mers. L’objectif final étant bien sûr celui de la prise de conscience sur les dangers menaçant l’humanité et son environnement. Pour y parvenir, le but des expéditions de Tara implique aussi, à grande échelle, un partage des résultats. 

Publication des résultats scientifiques dans la revue "Science".

Depuis bientôt vingt ans, le mécénat déployé en faveur de la Fondation Tara Océan rassemble des acteurs privés et publics parmi lesquels des philanthropes plus discrets. C’est le cas de Lucie Maurel, vice-présidente du conseil de surveillance d’un groupe de services financiers. Elle soutient Tara « par conviction », dit-elle, avec ses deniers personnels, la passion de la mer, chevillée au cœur et au corps. Lucie Maurel explique sa démarche avec des mots simples. « Très honnêtement, je suis une fourmi. Ma contribution, c’est une goutte d’eau. Mais peut-être que si d’autres font comme moi, que l’on additionne chaque goutte d’eau, et que ces gouttes d’eau deviennent innombrables, alors peut-être que l’on peut bâtir un océan ? Je ne suis pas donneuse de leçons et chacun est libre d’agir avec son cœur et de faire ce qu’il veut. Mais le fait est : on est forcément tous concernés par l’état de notre planète. L’Océan, la mer, et en l’occurrence la Méditerranée, sont en moi, dans mon cœur, car je suis Marseillaise. La mer, et cette mer-là, qui est à protéger, c’est mon écosystème. J’ai passé du temps en Bretagne, à la Trinité ; j’ai vécu les débuts de la course au large, avec les gens de la voile, de l’océan et de grands navigateurs. Aussi ai-je été inoculée au projet Tara très tôt, au tout début de l’aventure. J’ai navigué lors de régates classiques en Méditerranée. Et c’est ainsi que j’ai connu Romain Troublé. Tara, c’est cela, une grande famille. Une saga extraordinaire. J’ai vraiment rejoint Tara par amour de la voile et des marins. Ils m’ont tellement apporté. Je suis aussi allée au Groenland avec la navigatrice Isabelle Autissier et c’est là que j’ai vraiment pris la mesure des choses. On ne se rend jamais compte à quel point l’océan est un poumon essentiel de la planète. J’ai aussi trois enfants et ils sont très investis sur cette cause. Nos enfants sont nos maîtres et les miens ont accentué ma prise de conscience. C’est maintenant qu’il faut agir. Car plus tard, il sera peut-être trop tard ! C’est la femme, la mère de famille, et aussi l’enfant que j’ai été qui vous parle. C’est aussi la cheffe d’entreprise, désormais présidente du comité de développement durable d’un groupe de services financiers, active sur ces enjeux essentiels dans différents boards de groupes de services et de groupes industriels. Pour moi, être aux côtés de Tara et de Romain Troublé, qui n’est pas un écolo au sens partisan du terme, c’est soutenir une expérience scientifique de haut niveau portée par des hommes déterminés, de bien et de passion. » 

C’est maintenant qu’il faut agir. Car plus tard, il sera peut-être trop tard !
Lucie Maurel

Tara sait rassembler tous les publics

Aux yeux de Lucie Maurel, « sensibilisation » est peut-être le mot définissant le mieux son action philanthropique. Pour la donatrice, les États doivent en effet davantage prendre à bras le corps deux grands sujets d’actualité : la fracture sociale et l’environnement. « On vit aussi dans un tel monde de fake news et de désinformation, dit-elle. On ne fait plus la part des choses et n’importe quoi se dit sur la toile. Des gens s’improvisent journalistes alors que c’est un vrai métier. Il faut donc rendre absolument la parole aux scientifiques. Le GIEC vient d’annoncer que dans trois ans, tout va devenir plus compliqué et personne ne le croit. La question est donc de savoir comment réhabiliter la parole scientifique, laquelle n’est pas toujours portée par des professionnels. Or, la Fondation Tara Océan est entourée de professionnels. Que ce soit en termes de science que de communication – car il faut aussi savoir parler à tous les publics. Tara est un projet qui, justement, sait rassembler ces publics. Elle fait monter des jeunes et des artistes à bord qui côtoient les marins, et se trouvent ainsi reliés à la nature, à l’Océan. Tara emmène ses propres enfants dans son sillage. Le tout, sans aucun ego à bord et c’est cela qui est beau. » 

Si vous aussi, vous souhaitez soutenir les missions de la Fondation Tara Océan :

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