Tara Arctic (2006-2008), la dérive transpolaire
[Retour sur les résultats des expéditions scientifiques de Tara]. Grâce à sa mythique goélette Tara, un bateau océanographique hors normes, la Fondation Tara Océan mène depuis 21 ans d’ambitieuses expéditions à travers l’Océan mondial. Dès 2006, elle entame une première dérive transpolaire qui apporte des résultats essentiels sur la situation de la glace en Arctique. Puis en 2009, elle part à la découverte du peuple invisible de l’Océan, les micro-organismes aussi appelés plancton. En 2016, les récifs coralliens sont au cœur de l’expédition. Entre 2014 et 2019, c’est le plastique et les effets sur l’environnement de cette pollution chimique qui sont étudiés. Découvrez les principaux résultats des expéditions de Tara dans cette série d’articles. Ce mois-ci, Tara Arctic...
Propos recueillis à Lorient le 5 octobre 2024.
20 ans d’expéditions au service de la recherche fondamentale
Depuis plus de 20 ans, la Fondation Tara Océan embarque des scientifiques internationaux sur la goélette Tara. L’ambition est de mieux comprendre l’Océan à travers le temps et les expéditions. Peu de missions océanographiques s’intéressent, comme Tara, à un écosystème spécifique sur plusieurs mois, voire plusieurs années à l’échelle globale avec les mêmes protocoles standardisés.
Pour chaque expédition, un collectif de scientifiques interdisciplinaires est mis en place et une trentaine de laboratoires d’une dizaine de pays sont impliqués. Toutes les données récoltées lors des expéditions et analysées ensuite principalement en France sont mises à la disposition de la communauté scientifique internationale en open source afin que toutes les équipes de recherche de la planète puissent exploiter ce trésor d’informations. Les recherches menées grâce à ces données débouchent sur de nouvelles connaissances et contribuent à l’amélioration de la gouvernance de l’Océan.
Tara à la rencontre du pôle Nord : la dérive transpolaire
En 2005, le programme de recherche de la Commission Européenne propose de financer un programme d’étude sur les phénomènes climatiques extrêmes pouvant affecter l’Europe à l’avenir. Le Projet Damoclès proposé par 55 laboratoires remporte l’appel d’offre en proposant d’étudier l’influence future de l’Arctique sur le climat européen.
Jean-Claude Gascard, Directeur de Recherche au CNRS basé à la Sorbonne est le directeur et le porteur du projet. C’est suite à des échanges entre lui et Etienne Bourgois que l’expédition Tara Arctic se lance. S’ensuivra une dérive transpolaire de 500 jours où la goélette Tara prendra la même trajectoire que son seul prédécesseur, le FRAM de Fridtjof Nansen en 1893.
Autour de la goélette en dérive avec la banquise, un camp scientifique se met rapidement en place pour déployer toute une série d’instruments et capteurs tels que :
- une station météo,
- un ballon atmosphérique (pour mesurer la température)
- des balises autonomes, des radiomètres (pour mesurer l’albedo),
- un sismomètre.
Un recul important de la glace d’été au pôle Nord
Rapidement après l’expédition, des premiers résultats montrent que le recul de la surface de banquise de l’été 2007 est très important (de 8 km2 à 4 km2). C’est un véritable record qui sera confirmé en 2012 si bien que si cette trajectoire s’était poursuivie, il n’y aurait aujourd’hui déjà plus de banquise en fin d’été en Arctique.
Avant 2007, le volume de la banquise Arctique fluctuait entre 15 000 km3 et 30 000 km3 du fait des fluctuations saisonnières. Mais les chercheurs ont constaté qu’entre 2007 et 2012, le volume de la banquise ne fluctuait plus qu’entre 5 000 km3 en septembre et 25 000 km3 en mars.
D’après ce constat, les prévisions envisageaient une chute très importante de la quantité de glace dans les années suivantes mais finalement, ce volume de glace semble s’être stabilisé depuis 2012 sur un nouveau point d’équilibre. Les prévisions émises en 2007 se sont donc révélées inexactes.
Le processus de dégradation a ralenti et stabilisé la fonte des glaces de mer en Arctique au cours des 12 dernières années (depuis 2012). Les causes et conséquences de ce phénomène sont encore en train d’être étudiées : » Les modèles n’ont pas encore apporté de réponses claires et différentes hypothèses sont encore en train d’être testées « , confie Jean-Claude Gascard.
Le paradoxe de l’Arctique
Malgré la perte de glace évidente, les scientifiques ont constaté que la superficie des glaces saisonnières (jeunes glaces) a augmenté et que les glaces âgées ont diminué. Ce paradoxe peut s’expliquer par le changement de régime du cycle saisonnier des glaces de mer arctiques, soit une forte amplitude des glaces saisonnières qui couvrent désormais un domaine de 10 millions de km2 (soit 4 millions de km2 de plus).
Près de 10 000 gigatonnes des ‘vieilles glaces’ ont disparu (perte nette) en Arctique pendant la transition du XXème au XXIème siècle. Ces jeunes glaces sont plus minces et plus mobiles. “ Il est important d’assurer une continuité des observations sur le long terme, c’est pourquoi nous attendons avec grand intérêt la mise en œuvre de la station polaire Tara Polar Station ” conclut Jean-Claude Gascard.
Il est important de poursuivre le suivi scientifique au pôle Nord pour pouvoir anticiper les changements à venir. L’Arctique est essentiel à l’équilibre de notre planète, et surtout à celui de notre hémisphère Nord, c’est pourquoi la Fondation lance, dans le cadre de la Stratégie française pour les pôles, un nouveau navire océanographique d’un genre nouveau dédié à la recherche en dérive polaire. Il partira pour sa première expédition en été 2026.