Pourquoi la recherche scientifique est-elle essentielle en Antarctique?

Recouvert de glace, le continent Antarctique est situé dans la partie extrême du pôle Sud. Il est bordé par l’océan Austral et les mers de Ross et de Weddell. À plus de 700 kilomètres du continent américain, la péninsule Antarctique est une zone isolée.

Position de la goélette Tara en Antarctique
Position de Tara (point orange) le 27.01.2022 : 62.967° S, 60.702° W – 193° @ 0.7 kn (track) – 176° @ 21.3 kn (wind) / 2.4 °C (air) / 1.9 °C (water). Outil : https://tara.nullschool.net/?microbiomes

À la découverte du continent Antarctique

1- Géographie et climat

Quelle est la superficie de l’Antarctique ?

L’Antarctique est recouvert à plus de 98% par les glaces. Dans cette zone du globe, différents types de glaces coexistent : la calotte glaciaire et la banquise

La majeure partie de la glace mondiale est contenue dans le continent Antarctique. La formation et la disparition des glaces rendent le continent difficile d’accès. Il n’est ainsi accessible que pendant 2 à 3 mois en période estivale. De plus, la saisonnalité des glaces joue un rôle important sur l’écosystème affectant la circulation océanique globale, les échanges thermiques entre l’Océan et l’atmosphère et la biodiversité. 

Glacier en Antarctique 2022
Glacier en Antarctique 2022 ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan

Quel est le climat en Antarctique ?

Le climat de l’Antarctique est caractérisé par un froid intense et sec, avec peu de précipitations et une grande aridité. L’Antarctique est le lieu le plus froid sur Terre car c’est un continent peu ensoleillé, isolé et recouvert de glace. 

Sur la côte, les températures maximales se situent entre 5 et 15 °C alors qu’à l’intérieur du continent les minimales fluctuent entre -80 et -90 °C. C’est sur ce continent que la température naturelle la plus basse de la planète a été enregistrée le 10 août 2010, avec -93,2°C (source : institut polaire). Au mois de décembre dernier, un pic de « chaleur » s’est produit avec des températures supérieures aux moyennes saisonnières avoisinant 15 à 20 °C (https://climatereanalyzer.org/). Cette anomalie de température confirme le besoin de poursuivre le suivi scientifique dans cette zone reculée de notre planète.

2- Une biodiversité polaire particulière

L’Antarctique est un réel refuge pour la faune marine. Dans cette région polaire, la faune a dû s’adapter à des conditions extrêmes. 

Quelle est la biodiversité présente sur le continent Antarctique et dans l’océan Austral ?

L’océan Austral entoure le continent Antarctique au sud des bassins océaniques : Atlantique, Pacifique et Indien. C’est l’océan le plus isolé des activités humaines sur Terre. Il représente un écosystème diversifié avec plus de 9 000 espèces identifiées (Atlas biogéographique de l’océan Austral de De Broyer et al., 2014). Bien que de nombreuses campagnes scientifiques tentent depuis le XVIIIe siècle de décrire cet environnement, des zones difficiles d’accès restent inexplorées (comme les grandes profondeurs par exemple).

L’océan Austral est riche en biomasse (ensemble de la matière organique d’origine végétale ou animale) grâce à des eaux chargées en nutriments et en oxygène. La banquise représente un habitat pour de nombreuses espèces (algues, bactéries, protistes, invertébrés, etc…) qui ont su s’adapter aux températures extrêmes et à la forte salinité pour pouvoir se développer dans la glace. La biomasse est riche en phytoplancton et particulièrement en diatomées qui contribuent à 25 % de la production primaire (production de matière organique végétale ou biomasse, issue de la photosynthèse) en Antarctique (Arrigo et Thomas, 2004). Ces microalgues représentent une source protéique importante pour les invertébrés comme le krill à la fin de l’hiver quand la nourriture dans la colonne d’eau est rare. La banquise est donc un réservoir saisonnier de nutriments et de microalgues. De ce fait, une diminution de l’épaisseur de la banquise peut avoir des conséquences importantes sur la biomasse de krill.

Le krill est abondant en Antarctique et il est à la base de la chaîne alimentaire de nombreuses espèces. Il sert de nourriture aux poissons, baleines, phoques, orques ou léopards de mer et oiseaux présents dans cette zone.

Les manchots, animaux iconiques de ce continent, sont adaptés aux températures extrêmes. Quatre espèces vivent en Antarctique : les manchots à jugulaire (Pygoscelis antarcticus, les manchots papous (Pygoscelis papua), les manchots Adélie (Pygoscelis adeliae) et les manchots empereurs (Aptenodytes forsteri). 

Manchots papous en Antarctique devant Tara
Manchots papous ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan
Manchot à jugulaire et son petit en Antarctique
Manchots à jugulaire à droite ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan

Ils ont pour habitude de se regrouper en colonies pour se tenir chaud et se reproduire. Les manchots papous choisissent de s’installer sur des roches rocailleuses à la différence des manchots Adélie qui préfèrent la glace. L’épaisseur de la glace peut influencer le comportement des animaux. En effet, si elle est trop épaisse, les manchots peuvent avoir des difficultés à accéder à la banquise. Des questionnements se posent quant au phénomène inverse, quel sera l’impact d’une diminution de l’épaisseur de la banquise ? 

Colonie de manchots en Antarctique
Colonie de manchots ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan
Colonie de manchots en Antarctique
Colonie de manchots ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan

Les phoques “léopards de mer » sont des prédateurs redoutables en Antarctique, avoisinant les 500 kilogrammes. Ils peuvent se nourrir d’une vingtaine de manchots par jour…

En conclusion, la banquise est essentielle, car c’est un habitat et une source d’alimentation pour de nombreuses espèces. La variation de son épaisseur peut être à l’origine de diverses perturbations dans cet écosystème polaire. 

En quoi la biodiversité en Antarctique est-elle unique et pourquoi est-ce important de l’étudier ?

Dans cet environnement polaire aux conditions extrêmes, les macro- et micro-organismes ont dû s’adapter à différents facteurs pour survivre : 

L’adaptation à ces différents paramètres du milieu a permis de développer une biodiversité singulière et spécifique en Antarctique. Cette biodiversité rend de nombreux services écosystémiques sur Terre. Il est donc essentiel de l’étudier pour la comprendre afin de mieux la préserver et d’assurer qu’elle continue de remplir ses fonctions.

Glacier en Antarctique 2022
Antarctique 2022 ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan

Un laboratoire de glace 

La France est un des pays phares dans la recherche scientifique en Antarctique. C’est le seul pays européen à conserver 2 stations permanentes sur ces terres polaires. La recherche française fait aurorité sur les thématiques polaires, et se place au 5e rang mondial en termes de publications scientifiques sur l’Antarctique.

Pourquoi étudie-t-on l’Antarctique au cours de la mission Microbiomes ?

À l’entrée du passage de Drake, séparant définitivement l’Antarctique de l’Amérique du Sud, le courant circumpolaire antarctique s’est mis en place dans l’océan Austral. Progressivement, les microorganismes en Antarctique ont été isolés des autres espèces présentes sur le globe. Actuellement, les scientifiques ne peuvent pas comparer le microbiome des eaux tempérées avec le microbiome polaire car ce sont deux écosystèmes bien distincts. Tara a donc échantillonné les eaux de l’Antarctique en ce début d’année 2022 pour tenter de mieux comprendre le microbiome.

Instrument de navigation sur Tara
Instrument de navigation ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan
Tara dans le passage du Drake 2022
Tara dans le passage de Drake ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan

Pourquoi nous intéressons-nous particulièrement à la mer de Weddell ?

La mer de Weddell est un écosystème intéressant car c’est l’une des rares régions océaniques où des eaux profondes se forment (plongée des eaux de surface vers les profondeurs). De ce fait, elle joue un rôle majeur dans la régulation de l’absorption de chaleur et de CO2

De plus, la mer de Weddell abrite une importante biodiversité qui rend de nombreux services écosystémiques, tous soutenus par le plancton. Comme l‘activité microbienne dans cette zone est importante, elle joue un rôle essentiel dans le cycle du carbone, en participant au transfert du carbone vers les couches plus profondes, loin de l’atmosphère. 

Quel est le programme scientifique de cette expédition ?

Le programme scientifique a pour objectif d’étudier l’effet des variations environnementales dans les mers de l’Antarctique sur la structure et la fonction des communautés microbiennes marines.

Le protocole scientifique qui a été établi se base sur un échantillonnage des masses d’eau sur différents sites :

Iceberg en Antarctique 2022
Iceberg en Antarctique 2022 ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan

L’intérêt est de comparer ces échantillonnages entre eux mais également avec des travaux antérieurs et futures réalisés par des scientifiques sur Polastern, un navire océanographique allemand dédié à la recherche polaire.

La deuxième partie du programme est dédiée à l’étude d’un iceberg baptisé «Tasmania» qui mesure 22 m de haut et 0.6 km2 de superficie. Elle est menée sur plusieurs jours, en collaboration avec des scientifiques du British Antarctic Survey. L’objectif est de mesurer l’impact que l’eau douce des icebergs sur l’eau de mer.

Mission Microbiomes

Pourquoi étudier un iceberg ? 

Les carottes de glaces représentent le seul outil pour accéder aux archives du passé en milieu polaire. Elles permettent de reconstruire des historiques de l’état de santé des glaces et d’établir des prévisions sur :

Les scientifiques à bord de Tara ont collecté des échantillons dans 10 à 1000 mètres de profondeur de glace pour explorer et comprendre les changements survenus au cours du temps.

La goélette Tara en Antarctique
Tara en Antarctique – février 2022 ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan

Comment s’adapte la science à des conditions climatiques extrêmes ? 

Les principaux défis à relever en Antarctique sont d’ordre météorologique : l’état de la mer, l’intensité des vents et les basses températures imposent des contraintes pratiques pour les scientifiques lors des opérations techniques. L’état de la banquise peut également limiter les opérations. Cette année la glace étant très faible ce facteur n’a pas été limitant.

En quoi l’Antarctique est un marqueur du changement climatique ?

Actuellement, la mer de Weddell subit diverses pressions simultanées liées au changement climatique :

Ces modifications peuvent avoir des conséquences sur l’ensemble du fonctionnement de l’écosystème en mer de Weddell.

De plus, la fonte des glaces génrée par le réchauffement climatique menace de plus en plus la banquise et les icebergs (blocs de glace d’eau douce détachés de glaciers ou de la calotte, dérivant librement en haute mer). La dynamique de ces écosystèmes polaires peut être affectée au cours du temps. 

D’autre part, le réchauffement peut exclure progressivement certaines espèces adaptées aux régions polaires

Mission Microbiomes

Quels sont les enjeux géopolitiques en Antarctique ? 

Continent de paix et de science, l’Antarctique est découpé entre 7 États dits “possessionnés”, c’est-à-dire ayant des revendications territoriales en Antarctique : l’Australie, l’Argentine, le Chili, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et la France. 

On trouve sur le continent quelques 80 bases de recherche scientifique, de diverses nationalités : celles des États « possessionnés », mais aussi chinoises, coréennes, russes, etc… 

L’Antarctique a longtemps été le plus grand succès de coopération internationale pour la  conservation de l’environnement marin. Le Protocole de Madrid, adopté en octobre 1991 dans le cadre du Traité Antarctique de 1959, donne à cette région le statut de “réserve naturelle consacrée à la paix et la science”. En 2009 puis en 2016, l’adoption des Aires marines protégées (AMP) du plateau Sud des îles Orcades du Sud et de la mer de Ross créait les toutes premières AMP internationales et le plus grand sanctuaire marin au monde.

Ces AMP ont été adoptées par la CCAMLR, un organe de gouvernance internationale introduit en 1982 réunissant 37 pays signataires dont 26 États membres avec droit de vote et 11 États adhérents sans droit de vote. Elle vise notamment à prendre des mesures pour faciliter la recherche et la coopération scientifique, assurer l’exercice des droits d’inspection et de la juridiction en Antarctique et enfin, protéger et conserver la faune et la flore de la zone.

Or, depuis ces avancées majeures il y a désormais plus de 5 ans, la CCAMLR s’est à son tour enlisée dans les méandres de la diplomatie internationale. Le réchauffement climatique, la pression de la pêche et le développement du tourisme dans la région menacent grandement la stabilité de l’écosystème antarctique, véritable thermostat du climat global. À ces défis actuels vient également se superposer la perspective de levée d’interdiction d’exploitation des ressources minières à l’horizon 2048, faisant ainsi lentement basculer l’Antarctique de sanctuaire à potentielle terre d’exploitation.

Face à ces enjeux, une minorité d’États bloque chaque année les trois propositions d’AMP présentées aux négociations de la CCAMLR pour assurer la conservation de la biodiversité antarctique : deux sont portées par l’Australie et l’Union Européenne et situées dans l’Est de l’Océan Austral ainsi qu’en mer de Weddell, la troisième est poussée par le Chili et l’Argentine sur la façade Ouest de la péninsule Antarctique. La Chine et la Russie, deux pays pourtant dépossédés de tout territoire dans la région, parviennent ainsi à empêcher le consensus requis à l’adoption d’une de ces AMP alors même qu’elles ont toutes été approuvées par le comité scientifique de la CCAMLR. 

Aujourd’hui, face à ce blocage, les efforts de sensibilisation du grand public et les négociations diplomatiques sont fondamentaux pour concrétiser ces propositions. La France, à travers son Office pour la Biodiversité (OFB), reste un des pays les plus actifs dans ces négociations pour les AMPs Antarctiques, à côté de l’Australie, du Chili, de l’Argentine et de l’Allemagne. 

Malgré quelques pays bien engagés, l’importance de ces écosystèmes pour la régulation du climat et la vie sur Terre est globale et nécessite que les États relancent l’élan collectif de coopération à l’origine du Traité Antarctique et du protocole de Madrid. Alors que l’on commence à peine à percevoir son fonctionnement, les études de Tara sur le microbiome antarctique lors de la Mission microbiomes viendront contribuer à l’effort international pour la conservation de l’Océan Austral. L’urgence est à convertir les échecs récents de la CCAMLR en futurs succès vers la résilience au changement climatique.

L’Antarctique est en quelque sorte un miroir des phénomènes qui affectent l’Océan. L’observation et la collecte de données permettent aux scientifiques de proposer des modèles d’évolution du climat et d’alerter sur les changements à venir. La goélette Tara, anciennement Antarctica, a été conçue pour étudier les régions polaires. En 2022, la mission Microbiomes est la 5e expédition menée en Antarctique par la Fondation Tara Océan. Et maintenant ? Laissons le temps à la science de nous dévoiler ces nouveaux résultats.

Manchots sur un iceberg en Antarctique
Manchots sur un iceberg ©Marin LE ROUX-polaRYSE – Fondation Tara Océan
Tara Polar Station

Tara Polar Station

Étudier l’Arctique, sentinelle du climat

Moon Pool

Construction de Tara Polar Station

Suivi du chantier

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