Donner une voix à la majorité invisible de l’Océan : le microbiome marin
Un article paru dans Nature Microbiology le 30 juin 2022 présente l’importance de comprendre les communautés microbiennes afin d’améliorer notre connaissance du rôle de l’Océan et de mieux le protéger.
Le microbiome marin, clé de la vie sur Terre
Qu’est-ce que le microbiome ?
Pour certains chercheurs, le terme microbiome se rapportait jusqu’ici uniquement à la zone de vie des micro-organismes1, pour d’autres à leurs génomes. Jusqu’à ce qu’en juin 2020, des dizaines de spécialistes à travers le monde publient enfin une définition claire de ce fameux microbiome : une communauté microbienne évoluant au sein d’un habitat bien défini, le terme se référant autant aux microorganismes qu’à cet habitat.
Qu’est-ce que le microbiome océanique ?
« Cela recoupe une bonne partie du plancton, soit tous les organismes dérivant au gré des courants, sauf qu’il faut en exclure les petits animaux constitués de plusieurs cellules », explique Chris Bowler, co-directeur de la mission Microbiomes, directeur scientifique du consortium Tara Océan et également directeur du comité scientifique de la Fondation Tara Océan. « Pour résumer, le microbiome océanique représente toute la vie unicellulaire des océans ainsi que les virus. »
On trouve des micro-organismes presque partout, prospérant en haute mer, dans les récifs coralliens, les estuaires, les mangroves, les glaces polaires, les tranchées en eaux profondes, sur et sous les rochers, dans les estomacs, sur les branchies, les nageoires, les griffes et même les plastiques…..
Ils peuplent des litres d’eau de mer par milliards et, bien que minuscules, ils présentent une diversité génétique et morphologique étonnante.
Un peuple microscopique méconnu
Le microbiome océanique qui est composé d’organismes microscopiques, pour la majorité invisibles à l’œil nu, est largement méconnu bien qu’il constitue plus de ⅔ de la biomasse de l’Océan.
Extrait de la publication
Notre compréhension des écosystèmes marins à la surface (0 à 200 m) de l’Océan dépasse de loin celle des écosystèmes plus profonds qui constituent la majeure partie du volume de l’Océan. La majorité des micro-organismes océaniques restent non caractérisés.
Source : Priorities for ocean microbiome research
Un très grand nombre de microbes2, dont des bactéries, des archées, des champignons, des micro-algues, des protistes, et des virus marins, se partagent l’espace et la nourriture, tout en forgeant des relations complexes entre eux et avec leur environnement.
Extrait de la publication
Le microbiome océanique est estimé à 4 gigatonnes de carbone (l’unité utilisée pour calculer la biomasse), soit quatre fois la biomasse globale de tous les insectes sur Terre.
Source : Priorities for ocean microbiome research
Tout au long de leur vie, ces organismes vont jouer un rôle essentiel pour l’Océan et notre planète en participant à l’équilibre des cycles naturels (nutriments, oxygène, dioxyde de carbone). Premier maillon de la chaîne alimentaire, ils nourrissent quotidiennement, à l’autre bout, une bonne partie de l’humanité. Le microbiome marin est également un rouage essentiel de la grande machine climatique. Il produit autant d’oxygène et absorbe plus de dioxyde de carbone que toutes les forêts du monde.
Des facteurs perturbateurs pour les communautés microbiennes
«On peut tout à fait faire le lien avec le microbiome humain, ces milliards de micro-organismes qui vivent notamment dans notre intestin. Ce microbiome est crucial pour notre santé, jouant sur la digestion, la résistance aux pathogènes, et même notre bien-être psychologique ! Sans lui, nous ne pourrions tout simplement pas survivre. Il en est de même pour l’Océan : son microbiome lui est absolument indispensable.» précise Chris Bowler.
À l’instar des microbiomes qui nous entourent, le bon fonctionnement du microbiome océanique dépend de la diversité et de l’abondance des communautés microbiennes.
Les menaces auxquelles nous sommes actuellement confrontés, telles que le changement climatique, la fonte de la glace dans les régions polaires, l’acidification de l’Océan, la dégradation des côtes, la surpêche et la pollution par les plastiques ou les contaminants, peuvent également affecter le microbiome marin en compromettant :
- sa productivité,
- la quantité d’oxygène qu’il produit,
- les quantités de carbone qu’il transporte vers les profondeurs de l’Océan.
Des avancées scientifiques notables ces dernières années
Les premières observations de micro-organismes marins datent des années 1600. Mais c’est grâce aux progrès de la recherche sur le microbiome océanique ces dernières décennies que la relation entre la santé de l’Océan et l’état de son microbiome devient plus claire.
Des expéditions de recherche autour du monde, comme la mission Tara Oceans et la mission Microbiomes, ont permis de faire des prélèvements des micro-organismes à différents endroits dans tous les océans du monde. Des équipes internationales et multidisciplinaires ont alors observé leur anatomie, exploré leurs écosystèmes, séquencé leurs génomes et dressé des inventaires de leurs gènes, protéines et structures moléculaires.
La diversité taxonomique et fonctionnelle du microbiome océanique mondial a été révélée par les récents progrès technologiques en matière d’échantillonnage, de séquençage de l’ADN et de bio-informatique.
Extrait de la publication
Le nombre total de gènes procaryotes identifiés dans l’Océan est similaire à celui de l’intestin humain. Cependant, la proportion de gènes aux fonctions inconnues, par rapport aux fonctions connues, chez les procaryotes océaniques est plus de cinq fois plus élevée que dans le microbiome intestinal humain.
Source : Priorities for ocean microbiome research
Ces avancées aident les scientifiques à :
- mieux comprendre le rôle du microbiome océanique dans les différents cycles naturels, des nutriments et de l’énergie,
- prévoir l’évolution de ces populations microscopiques à grande échelle,
- explorer l’étonnante diversité génétique de ces organismes,
- identifier les organismes et gènes qui peuvent avoir des applications, en biomédecine, bioremédiation, industriel.
Les travaux de recherche ont pu mettre en lumière des symbioses surprenantes, une génétique étonnante et une évolution extraordinaire.
De grands défis restent à relever
À l’heure actuelle, il est souvent difficile de dire qui sont les acteurs microbiens les plus importants dans des processus tels que les cycles des nutriments. Il est difficile de prévoir l’impact de menaces telles que le changement climatique et l’acidification de l’Océan sur les populations microbiennes, leur résilience, leur capacité d’adaptation et d’évolution, ou leur efficacité à nourrir le réseau alimentaire…
Notre compréhension du microbiome doit aller au-delà de l’identification des différentes espèces, il faut aussi comprendre leurs écosystèmes.
On ne sait pas encore où se situent les points de basculement de la composition du microbiome. Ni pourquoi le microbiome de l’Océan est si diversifié. Les chercheurs n’ont pas non plus une idée précise de la valeur du microbiome océanique pour l’humanité, ne reconnaissent pas pleinement les services qu’il rend, ni les dommages qu’il prévient.
Mais cela fait de la science du microbiome océanique l’un des domaines de recherche les plus passionnants aujourd’hui. D’innombrables micro-organismes et de gènes attendent d’être découverts. Il y a de nombreuses énigmes fascinantes à résoudre concernant la façon dont leurs populations augmentent et diminuent en fonction des saisons, des courants, des nutriments, de la salinité, de la température, de la profondeur, du temps et du climat. Il y a tant à gagner à étudier leurs interactions complexes entre elles et avec des plantes et des animaux plus grands comme les poissons, et à comprendre ces systèmes complexes dans leur ensemble.
Alors que des équipes de chercheurs du monde entier continuent de découvrir certains des plus grands secrets du microbiome océanique, l’attention se porte de plus en plus sur l’Océan. La Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) est une occasion majeure de développer davantage notre compréhension des microbes océaniques et de sensibiliser le public à l’importance d’étudier l’Océan pour l’humanité. Le microbiome océanique doit être un élément central de cette recherche.
La recherche sur le microbiome océanique n’est pas seulement importante pour acquérir une meilleure compréhension fondamentale des écosystèmes marins. C’est aussi un outil essentiel pour mobiliser des actions plus larges afin de protéger l’Océan mondial.
Vers une meilleure compréhension de ces micro-organismes
La compréhension du microbiome océanique est l’un des domaines de recherche les plus passionnants à l’heure actuelle et de nombreuses questions restent sans réponse pour la science. Une meilleure compréhension du microbiome pourrait soutenir les stratégies visant à relever les défis environnementaux et sociétaux.
Dans le cadre de la Mission Microbiomes, durant près de deux ans (2020 à 2022), la goélette Tara a parcouru 70 000 km en Atlantique Sud, le long des côtes sud-américaines et africaines, jusqu’en Antarctique, pour étudier les services rendus par le microbiome et ses interactions avec le climat et les pollutions.
Poursuivre la recherche sur le microbiome
Alors que des équipes de chercheurs du monde entier continuent de découvrir ses plus grands secrets, des chercheurs de la mission Tara Oceans, du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) et du Centre européen de ressources biologiques marines (EMBRC-ERIC) ont collaboré pour avoir une meilleure compréhension de ce microbiome. Ils ont contribué à définir des propriétés essentielles du microbiome marin, son fonctionnement, sa réaction au changement climatique et, surtout, son impact sur les services vitaux dont nous dépendons.
L’article qui a été publié dans Nature Microbiology, vise à concentrer les efforts collectifs et à s’efforcer de trouver les outils et les moyens nécessaires pour pouvoir s’attaquer à l’une des questions les plus importantes de la biologie marine aujourd’hui.
L’article met en évidence les actions prioritaires à déployer pour améliorer la compréhension et la protection du microbiome :
- Poursuivre la recherche et les observations en milieu marin.
- Promouvoir la “culture océanique” et le rôle essentiel du microbiome.
- Créer un inventaire du microbiome marin en accès libre afin de favoriser l’accessibilité aux données provenant de zones situées au-delà de la juridiction nationale.
- Créer un atlas pour faciliter la recherche à l’échelle des écosystèmes.
- Développer un indice de santé du microbiome pour construire un indice de santé de l’Océan.
- Mettre en place des infrastructures de recherches et des programmes de financement spécifiques pour que la recherche sur le microbiome océanique profite aux sociétés du monde entier, y compris des pays en développement.
- Développer des instruments et des protocoles abordables qui peuvent être utilisés par les marins ou les industries maritimes pour générer des données globales, fiables et à long terme.
- Déployer des innovations durables dans des domaines tels que la médecine, la bio-restauration et la séquestration du carbone
Le document définit également les défis immédiats auxquels nous sommes confrontés et appelle les chercheurs multidisciplinaires, les décideurs politiques, les éducateurs, les entrepreneurs, les scientifiques citoyens et le grand public à contribuer à ce défi majeur.
Cette publication scientifique a été rédigée par la Fondation Tara Océan, le consortium scientifique Tara Océan, EMBL et EMBRC.
1 Micro-organisme : Être vivant microscopique tel que les bactéries, les virus, les champignons unicellulaires (levures), et les protistes.
2 Microbe : Organisme microscopique unicellulaire.
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