Phénomène d’upwelling dans le courant du Benguela avec Emma Rocke, cheffe scientifique à bord de la goélette Tara
Emma Rocke, chercheuse au centre de recherche marine et antarctique sur l'innovation et la durabilité (MARIS), a embarqué à bord de la goélette Tara en mai 2022 au cours de la Mission Microbiomes. Elle a été cheffe scientifique entre Cape Town en Afrique du Sud et Walvis Bay en Namibie. Cette étape avait pour objectif scientifique de mieux comprendre les phénomènes d’upwelling et d’analyser le comportement des micro-organismes lorsque le taux d’oxygène décroît.
Son parcours pour devenir chercheuse
Une enfance en harmonie avec la nature
Emma a grandi dans la campagne canadienne, proche d’un lac où elle passait la plupart de son temps libre à explorer la faune locale. Déjà très jeune, elle se préoccupait de son environnement. En raison du manque d’application des politiques locales et de la surpopulation, la qualité de l’eau de ce lac s’est considérablement dégradée au fil des ans. Emma a voulu en comprendre la cause et ce furent ses premiers pas dans une démarche scientifique… Son premier projet de recherche a donc porté sur les populations de copépodes de ce lac proche de chez elle : “Après cela, j’étais accrochée”.
Son métier : la recherche scientifique
Comprendre l’influence des micro-organismes dans les cycles biologiques
Elle travaille à l’Université de Cape Town au Centre de recherche marine et antarctique sur l’innovation et la durabilité (MARIS). Ses recherches portent sur les microbes marins dans les régions productives, comme le Benguela : “Nous nous intéressons à toues formes de vies, des virus aux protistes. Nous utilisons une combinaison d’approches génomiques, microscopiques et biogéochimiques afin de comprendre comment ces microbes influencent le cycle des nutriments et du carbone dans ces régions. Je m’intéresse également à la façon dont les nutriments sont recyclés par les microbes dans les zones à oxygène minimum.”
À l’origine de la découverte d’un parasite microscopique
Pendant son doctorat (2010-2014), Emma a découvert de nombreuses séquences inconnues (néanmoins fréquentes dans les études génomiques de nos jours) dans des régions à faible teneur en oxygène. Un peu de recherches ont révélé qu’il s’agissait de séquence d’un parasite microscopique. Elle étudie encore aujourd’hui ce sujet passionnant !
Son expérience scientifique à bord de Tara
Ses missions en tant que cheffe scientifique
Le but de l’étape 13 de la mission Microbiomes était d’étudier la région d’upwelling de Benguela. Plusieurs questionnements scientifiques se sont posés en amont :
- Comment le microbiome réagit-il aux différents stades de l’upwelling (bloom, post-bloom, eaux appauvries en nutriments) ?
- Le panache de la rivière Orange : quels sont les effets des microplastiques et du panache sur le microbiome ?
- Le transport aérien depuis le désert de Namibie affecte-t-il la productivité sur le plateau continental namibien ?
- Comment le microbiome recycle-t-il les nutriments dans les zones de minimum d’oxygène le long du plateau namibien ?
“Mon travail à bord de Tara a commencé bien avant que nous quittions le port du Cap. J’ai participé à l’élaboration des permis d’échantillonnage pour l’Afrique du Sud et de la Namibie. Nous avons également passé beaucoup de temps à entrer en contact avec les scientifiques locaux de ces pays, afin de développer une relation pour de futures collaborations. Il est très important que la science issue de cette expédition implique sérieusement les communautés scientifiques locales.”
Une fois à bord, Emma a coordonné le calendrier des stations d’échantillonnage et leurs emplacements avec l’équipage et les scientifiques à bord. Il s’agissait notamment de communiquer toutes les évolutions constatées au cours d’une journée d’échantillonnage, ainsi que de donner un coup de main pour certains protocoles afin que l’échantillonnage se déroule sans heurts (et pas trop longtemps !).
Qu’est-ce qu’un upwelling ?
Une région d’upwelling apparait généralement en raison de vents dominants qui « repoussent » les eaux de surface, permettant aux eaux froides et profondes, riches en nutriments, de remonter à la surface.
Pourquoi est-ce important d’étudier ces phénomènes ?
Ces eaux alimentent la prolifération du phytoplancton, qui fournit lui-même de l’oxygène à l’atmosphère, absorbe le CO2 et produit des matières organiques essentielles pour alimenter le bas de la chaîne alimentaire.
“Nous devons comprendre le rôle que jouent les microbes dans ces systèmes afin de pouvoir élaborer des modèles capables de prédire l’évolution de la situation en fonction des scénarios de changement climatique. Ces systèmes contiennent également des zones à faible teneur en oxygène qui produisent de puissants gaz à effet de serre. Nous devons mieux comprendre les causes de ce phénomène afin de prendre des mesures pour le ralentir.”
Mission Microbiomes
Phénomène d’upwelling
Une journée typique d’échantillonnage à bord de Tara
- 6h : réveil, douche, petit-déjeuner.
- 7h : tous sur le pont pour la première rosette (instrument scientifique à bord).
“Comme nous sommes en hiver en Afrique du Sud en ce moment, cela signifie souvent qu’il fait encore nuit dehors. Nous avons presque toujours eu le droit à un magnifique lever de soleil. La première rosette était toujours très chargée au niveau des protocoles, je donnais donc un coup de main pour certains protocoles, tout en vérifiant avec les autres scientifiques qu’ils étaient bien libres pour déployer notre prochain filet.”
- Jusqu’à 11h30 : les prélèvements se poursuivaient, le filet Manta, le dispositif de capture du plastique (qui doit fonctionner pendant une heure), était déployé afin que chacun puisse faire une pause et déguster son repas.
- 12h30 : repas, “celui-ci était toujours délicieux et comprenait toujours un dessert irrésistible ! ”
- 14h : retour sur le pont pour traiter le “Manta” et le reste des protocoles scientifiques.
- 19h : dîner.
“En plus de la science, nous devions tous nous rappeler de faire notre devoir à bord. Il s’agissait soit de servir le déjeuner ou le dîner, soit de faire la vaisselle, soit de nettoyer. Les jours de station, après le dîner, certains d’entre nous s’attardaient à lire un peu, mais à 20 h 30, tout le monde allait se coucher. La vie à bord était bien remplie et une bonne nuit de sommeil était essentielle !”
Mission accomplie pour l’échantillonnage d’upwelling
Emma est satisfaite, ils ont trouvé des remontées d’eau tout le long de la côte, avec des eaux froides sur le littoral et des eaux plus chaudes vers le large. De nombreuses zones à faible teneur en oxygène ont également été échantillonnées.
La forte productivité dans cette zone a permis le développement important de populations algales : “Ces algues sont très intéressantes, j’ai hâte de les étudier une fois que nos échantillons auront été traités.”
Son aventure humaine
Un premier voyage sur Tara : comme en famille
Son premier voyage sur la goélette lui laisse de bons souvenirs, tant l’atmosphère à bord était accueillante : “Tara a une énergie très spéciale qui lui est propre et qui ne peut être pleinement comprise qu’une fois à bord. J’aime que ce petit bateau permette une interaction entre l’équipe scientifique et l’équipage. Une sorte de famille s’est créée à la fin, ce qui était vraiment spécial.”
De nombreuses rencontres au fil du voyage
Emma a eu la chance de faire de belles rencontres lors de son embarquement sur la goélette Tara. Ils ont croisé des familles de phoques, de dauphins et de baleines. À la fin de l’étape, ils avaient prélevé des échantillons au large où la sonde CTD a révélé un profil d’eau inhabituel – dont une zone à faible teneur en oxygène : “un résultat fascinant – et un peu inquiétant”. Mais à la fin de ce prélèvement, ils ont assisté à un spectacle en plein air : une centaine de globicéphales ! De nombreuses familles, dont des bébés, ont nagé tout près du bateau toute la journée : “C’était magnifique”.
Elle a également apprécié travailler auprès d’une équipe scientifique et d’un équipage motivés à 1000 % pour faire de cette étape un succès, “cela n’aurait pas été possible sans eux”. Enfin, et ce n’est certainement pas le moins important, elle se rappellera des repas et des desserts appétissants dont elle a pu profiter tous les jours à bord !
Un dialogue entre art et science
“Nous avons eu la chance d’avoir comme artiste à bord, une boursière de l’association “Nature, Environment, and Wildlife Filmmaking” NEWF : Kimerudi Motswai ”
Mission Microbiomes
Association NEWF – Cape Town – Afrique du Sud
Kimerudi est photographe et vidéaste à Cape Town :
“C’était intéressant d’avoir quelqu’un avec une perspective non scientifique dans notre groupe. Elle avait toujours des questions – beaucoup d’entre elles nous ont fait réfléchir différemment sur la compréhension et les approches de notre projet.”
Mission Microbiomes
Interview de Kimerudi Motswai, vidéaste et plongeuse – Cape Town
Finalement, comment va l’Océan ?
Selon Emma, à la surface, l’Océan semble « en bonne forme » et plein de vie. Le problème vient de l’invisible, beaucoup de choses ne sont pas visibles à l’œil nu dans cet écosystème complexe : “95 % des espèces océaniques, y compris la plupart des microbes, n’ont pas encore été découvertes.”
“La réponse à cette question est donc que nous ne savons pas. Ce qui nous semble sain pourrait être en train de mourir en profondeur ou à d’autres niveaux de la chaîne alimentaire. Nous devons à la fois protéger et étudier soigneusement l’Océan pour pouvoir le découvrir.”
La goélette Tara échantillonne la côte ouest-africaine durant 5 mois
Troisième volet de la mission Microbiomes :
Au cœur des structures océaniques dynamiques
Rémi Laxenaire, chef scientifique à bord de la goélette Tara