Au cœur des structures océaniques dynamiques : portrait de Rémi Laxenaire, chef scientifique à bord de la goélette Tara

Rémi Laxenaire, chercheur à l’Université de la Réunion en collaboration avec l’Ecole Normale Supérieure, a embarqué à bord de la goélette Tara en février 2022 au cours de la Mission Microbiomes. Il a été chef scientifique durant la transatlantique entre Punta Arenas au Chili et Cape Town en Afrique du Sud. Cette étape avait pour objectif scientifique de mieux comprendre l’impact des tourbillons océaniques sur l’évolution des populations planctoniques.

Rémi Laxenaire, chef scientifique au cours de la mission Microbiomes
Rémi Laxenaire, chef scientifique au cours de la mission Microbiomes à Cape Town lors de la fin du leg 12 ©Maéva Bardy

Son parcours pour devenir chercheur

Une découverte de l’Océan sur l’île de la Réunion

Ayant grandi à l’île de la Réunion, Rémi a depuis son enfance, un lien particulier avec l’Océan. Grâce à ses plongées sous-marines et sorties en voilier, il a pu découvrir et explorer le bassin Occidental de l’Océan Indien. Ces expériences lui ont confirmé son envie d’orienter ses études vers l’Océan.  

Un parcours scientifique atypique alliant la théorie et la technique

Après l’obtention de son baccalauréat, Remi est parti au Québec pour suivre des études en biologie marine à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Son appétence pour l’apprentissage technique le ramène en France, à Cherbourg où il suit un parcours à l’Institut national des sciences et techniques de la mer (Cnam-Intechmer) qui forme des techniciens supérieurs sur les mesures en mer. Ce bagage technique en poche, Rémi a souhaité poursuivre un cursus plus théorique à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) de Brest afin de se former à la physique de l’Océan. 


Grâce à cette double casquette, il a pu orienter ses expériences professionnelles autour de différentes campagnes d’observations en mer. Pour poursuivre son objectif de devenir chercheur, Rémi a réalisé une thèse, au Laboratoire de Météorologie Dynamique entre l’École Polytechnique et l’École Normale Supérieure, sur le transport de chaleur entre l’Océan Indien et Atlantique par les tourbillons des Aiguilles. Il est actuellement jeune chercheur en contrat au Centre national d’études spatiales (CNES) sur la valorisation des données satellites et des mesures en mer. D’après Rémi, “ ce n’est pas seulement l’envie d’être chercheur qui a été mon moteur, mais plutôt l’envie de découvrir et d’étudier le milieu marin qui m’a amené à faire de la recherche.”

Son métier : chercheur

La physique de l’Océan et les tourbillons océaniques

Passionné par les tourbillons océaniques, des structures arrondies qui tournent plus vite autour de leur centre qu’elles ne se déplacent, il s’est tout naturellement spécialisé dans cette thématique dès son stage de master. Il a poursuivi sa recherche au cours de sa thèse et travaille encore aujourd’hui sur cette thématique : “J’ai une nette appétence pour les travaux multidisciplinaires où s’entremêlent les différentes composantes du milieu océanique (et plus généralement du système terre).”

Au fur à mesure de ses expériences, il s’attache à diversifier ses connaissances, comme avec l’apprentissage de la caractérisation des processus physiques à moyenne et petites échelles dans l’Océan et leurs interactions avec les autres axes de recherche. Son objectif est de tendre vers une vision pluridisciplinaire de sa thématique de recherche.

Visualisation en temps réel des mesures hydrographiques enregistrées par la rosette dans l’eau
Visualisation en temps réel des mesures hydrographiques enregistrées par la rosette dans l’eau ©Maéva Bardy

À l’origine d’une visualisation de la vie des tourbillons

Au cours d’une carrière de chercheur, il est possible d’être amené à faire des découvertes scientifiques. Celle qui tient le plus à cœur à Rémi est une vision novatrice des tourbillons océaniques. Il a ainsi longuement travaillé afin de décrire la vie des tourbillons océaniques sous forme de réseaux de structures qui interagissent ensemble plutôt que des structures isolées.

Figure issue d'un article scientifique de Rémi Laxenaire
Figure issue d’un article scientifique (doi : 10.1029/2018JC014426)

Cette figure montre les trajectoires (panneau supérieur) et la chronologie (panneau inférieur) d’anneaux des Aiguilles isolés (appelés segments dans la figure) qui interagissent ensemble via la fusion et la séparation pour former un réseau de 7 branches. Les croix noires indiquent quand ce réseau a été échantillonné par des appareils de mesure sous-marins appelés flotteurs Argo ©Laxenaire et al., 2019

Son expérience scientifique à bord de Tara

Son rôle dans la mission Tara Microbiomes

Avant d’être chef scientifique d’un leg sur la goélette Tara, Rémi a participé au succès de nombreux legs de la mission Microbiomes en mettant en place un outil d’aide à la décision qui présente des informations sur l’état de l’Océan au cours du temps. Cet outil centralise et partage des images satellites ainsi que des paramètres calculés telles que la position des tourbillons océaniques. L’avantage d’un tel outil est sa disponibilité à tous les acteurs de la mission, aussi bien à terre qu’en mer. Les chercheurs peuvent ainsi échanger à partir des mêmes images satellites afin d’adapter l’échantillonnage à bord de Tara en temps réel. 

Rémi a rejoint la goélette pour une mission de 50 jours dans les 40° rugissants et 50° hurlants entre la Patagonie (Chili, Punta Arenas) et l’extrémité sud de l’Afrique (Afrique du Sud, Cape Town). L’objectif de cette mission était d’étudier le lien existant entre des structures dynamiques (principalement les tourbillons et fronts océaniques) et les communautés biologiques planctoniques. 

L’Océan étant un environnement qui évolue rapidement, ces structures dynamiques sont éphémères. Rémi devait donc adapter en temps réel à bord de Tara : “J’avais pour rôle d’analyser en temps réel les images satellites ainsi que les mesures observées à bord de la goélette afin de définir au fur et à mesure le plan d’échantillonnage. Ainsi, à travers des réunions avec les scientifiques embarqués et en concertation avec les marins, nous définissions ensemble ce que nous allions faire dans les prochains jours.”

Une journée type à bord de Tara : avec ou sans échantillonnage ?

À bord du bateau, les journées sont rythmées par les temps d’échantillonnage et/ou d’analyse, les activités partagées avec les autres membres de l’équipage et les rendez-vous à heures fixes (déjeuner et souper). Chacun participe à la vie à bord en effectuant, quotidiennement, l’une des tâches suivantes : nettoyer les lieux de vies, mettre la table et faire le service pour les repas ou nettoyer la vaisselle.

Généralement, les journées sont bien remplies et les tâches ne manquent pas. Il faut :

Une journée de prélèvements où le bateau est à l’arrêt pour pouvoir mettre les instruments à l’eau est organisée en amont avec un plan d’échantillonnage et un ordre d’opération. Mais d’après Rémi, “Il s’est avéré rare de suivre ce plan à la lettre car, par nature, les journées d’échantillonnage sont faites d’imprévus. Il faut pouvoir s’adapter en fonction de l’état de la mer, des problèmes techniques qui peuvent survenir mais également des observations en temps réel comme, par exemple, la présence d’une masse d’eau non suspectée observée lors de la mise à l’eau d’un instrument.”

Mise à l’eau de la rosette équipée de bouteilles Niskin
Mise à l’eau de la rosette équipée de bouteilles Niskin, pour piéger l’eau à différentes profondeurs, et de nombreux instruments qui mesurent les propriétés hydrographiques et optiques.©Maéva Bardy

Des résultats prometteurs !

Finalement, après 50 jours de mission, trois tourbillons et deux fronts océaniques ont été méticuleusement échantillonnés (et des dizaines de chaque ont croisé le chemin de Tara) ce qui enthousiasme les scientifiques sur la suite des événements ! “Nous attendons impatiemment les analyses en laboratoires des prélèvements biologiques mais nous pouvons déjà dire que les résultats promettent d’être passionnants.”, confie Rémi.

Son aventure humaine

Proximité et collaboration entre les marins, les scientifiques et l’Océan 

Je souhaiterais réembarquer sur Tara dès que cela s’avèrera de nouveau possible. Il faut bien dire qu’il fait partie des bateaux de recherches océanographiques mythiques que je suis depuis que j’ai commencé mes études en océanographie.
Rémi Laxenaire

Partir en mission à bord de la goélette est une aventure scientifique mais aussi une aventure humaine ! Sur ce bateau de 36m de long et 10m de large, nous sommes loin des standards des bateaux océanographiques. Cette certaine proximité entre les personnes embarquées et le milieu marin permet une synergie de travail, de vie et de navigation : “En particulier, je suis encore ému à l’idée que nous nous synchronisions tous pour monter ces grandes voiles alors que nous étions isolés entre l’Océan Atlantique et l’Océan Austral.”

Les scientifiques collaborent étroitement et quotidiennement avec les marins. Sur Tara, Rémi a été impressionné par “la passion et les connaissances scientifiques que transmettent les marins. Nous étions vraiment 12 à travailler d’arrache-pied dans la même direction pour faire de cette mission un succès scientifique et que notre présence sur ce bateau ait un sens.”

Les meilleurs souvenirs de Rémi

Ce sont certainement les moments en équipe qui resteront les meilleurs souvenirs de cette mission : “Nous étions fous de joie d’avoir des mesures indiquant que nous étions bien dans le cœur d’un tourbillon ou que nous mesurions un front océanique très intense. C’était une vraie joie car nous devions définir nos objectifs à partir d’images satellites sans jamais avoir l’assurance de les trouver où nous les cherchions.”

Pour ce jeune chef de mission, la découverte de la Géorgie du Sud et sa faune particulière lui laisseront de belles images en tête. Mais sa rencontre avec une baleine à bosse en pleine séance de préparatif pour l’échantillonnage des métaux traces lui rappelle un moment suspendu où il a réalisé que l’animal tournait autour du bateau au bruit de son souffle…

Rémi revient grandi en tant que scientifique de ce voyage. Cette expérience de chef scientifique, en tant que jeune chercheur, lui a permis de prendre des responsabilités. Il remercie les responsables de cette mission Microbiomes pour leur confiance ainsi que l’équipe avec laquelle il a travaillé pour leur motivation et leur soutien au cours de cette mission. En effet, la mission d’un chef scientifique est aussi de prendre, par moments, des décisions “audacieuses” pour avancer et réaliser au mieux les échantillonnages initialement prévus. 

Pendant que le bateau se repositionnait sur un nouveau point, je suis allé prendre l’air au niveau du cockpit où je me suis retrouvé à regarder la mer en me disant que j’étais particulièrement là où je devais être.
Rémi Laxenaire
Nageoire caudale de baleine
6 décembre 38° SUD 55° OUEST : Nageoire caudale d’une baleine à bosse, prise à la bordure du plateau continental au large de l’Argentine ©Marin LE ROUX-polaRYSE

Finalement, comment va l’Océan ?

“Au cours de cette mission, et bien que nous fussions parmi les régions du monde les plus éloignées des côtes, nous avons « péché » des morceaux de plastiques… Ce qui est bouleversant ! Dans ces moments, je ne peux pas m’empêcher de me remémorer une vision que j’ai eue lors de ma première grande campagne en mer, nommée BobEco, alors que j’avais 23 ans. Nous étions dans le Golfe de Gascogne sur le N/O Pourquoi Pas ? de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer), où pour chercher des coraux profonds, nous faisions plonger un robot sous-marin télécommandé (le ROV Victor 6000). Ce ROV a filmé de nombreux déchets (jusqu’à la taille d’un caddie et d’un pneu) dans les canyons sous-marins et ce jusqu’à plus de 1000 m. Ainsi, à l’échelle d’un humain sur un bateau, l’impact scandaleux de l’Homme sur l’Océan est visible par les déchets de ces derniers. 

De plus, bien que n’étant pas climatologue, l’impact dramatique de l’activité humaine sur l’Océan est quelque chose que je peux observer en analysant, par exemple, des images satellites de température de l’eau où une augmentation à l’échelle globale est clairement visible.

Pour comprendre au mieux l’ampleur ce de phénomène, il me semble important que chaque citoyen se penche sur les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il existe des résumés produits pour les politiques et d’excellents articles de médiation scientifique dans des journaux grand public. Le travail de ces scientifiques met clairement en évidence les changements des propriétés physiques/chimiques de l’Océan et l’impact que cela a sur les communautés biologiques et les sociétés humaines. Ainsi, au vu des changements importants et rapides qui s’opèrent dans ce milieu, l’Océan va mal.”

Personnellement, j’ai passé 2 mois sur un bateau mythique, dans un milieu incroyable, avec des personnes exceptionnelles : c’est clairement une expérience de vie inoubliable.
Rémi Laxenaire
La goélette Tara
La goélette Tara ©Maéva Bardy

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