Pollution de l’environnement par les microplastiques : l’exemple des larmes de sirène

Les espaces aquatiques sont soumis à différentes pressions environnementales venant des activités humaines, telles que l'agriculture, l'industrie et les rejets domestiques… La prolifération massive de microalgues et de bactéries dans le milieu aquatique, conséquences de ces pressions anthropiques, a un impact sur les écosystèmes côtiers et les populations locales. En ayant une meilleure compréhension des pollutions existantes et de leur origine, des temps d’échanges avec les parties prenantes concernées, tels que les Tara Europa Lab, permettent d’identifier des pistes d'améliorations.

Larmes de sirène
Larmes de sirène

Comment le plastique impacte-t-il l’environnement ? 

Selon l’ADEME, l’Agence de la transition écologique, le plastique est le troisième matériau le plus produit dans le monde, représentant un demi-milliard de tonnes, derrière le ciment et l’acier. 

La production globale de plastique a connu une augmentation exponentielle depuis les années 1950. Elle a doublé entre 2000 et 2019, passant de 234 millions de tonnes à 460 millions en 2019. Cette production devrait encore, a minima, tripler d’ici 2060, si aucun changement n’est opéré. 

Ces projections d’augmentation présentent d’importantes variabilités entre les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et les pays en développement. Néanmoins, il faut noter que les premiers devraient largement rester les principaux contributeurs à la pollution plastique globale. Ainsi, chaque habitant des pays de l’OCDE consommera, 238 kg de plastiques en 2060, contre 77 kg pour les habitants des pays non membres OCDE.

Lors de la production 

Cette augmentation est extrêmement problématique, car il est désormais prouvé que ces matériaux impactent le Vivant à tous les stades, de leur production à leur élimination en passant par leurs usages. Cela débute, en effet, dès leur production : produit à 99% à partir de ressources fossiles extraites du sous-sol, leur production participe à hauteur de 3 à 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Autant que l’intégralité du secteur de l’aviation ! Et avec l’augmentation prévue de leur production, elle devrait monter à 15% des émissions dès 2050.

Lors du transport

Une fois extrait, le plastique parcourt la Terre sous forme de granulés. Ici encore, les impacts sont immenses. Régulièrement, des conteneurs contenant ces granulés tombent des bateaux et terminent sur les plages. On les appelle alors larmes de sirène. La France a connu un épisode de la sorte en janvier 2023, alors que les plages du Finistère se sont retrouvées submergées par les microbilles.

Lors de leur utilisation

Vient ensuite la phase à laquelle nous sommes confrontés dans nos vies quotidiennes, celle de l’usage. Les plastiques sont en en fait une grande famille de matériaux qui comptabilisent aujourd’hui au moins 30 000 matériaux distincts. Ce sont donc également plus de 30 000 impacts différents, encore très majoritairement inconnus. Néanmoins, nous connaissons déjà les effets de plusieurs d’entre elles – perturbations endocriniennes, du développement ou encore de la reproduction – et les régulations limitant notre exposition à ces matières toxiques arrivent au fur et à mesure que nous parvenons à prouver leurs impacts sur notre santé.

Plusieurs plastiques sont directement produits à l’échelle microscopique et ne sont pas pensés pour être collectés, comme par exemple dans les   cosmétiques. Quant aux macro-plastiques, exposés à la pluie, aux frottements ou à la simple usure du temps, ils libèrent des micro ou nano particules. Multiplié par les millions de tonnes de plastiques actuellement utilisés, c’est un flux continu de plastiques qui fuite vers l’environnement.

Par les déchets

Enfin, vient l’impact auquel nous sommes le plus sensibilisés : celui des déchets plastiques. Nous utilisons les plastiques en telle quantité que même si une infime partie étaient mal collectée, cela représenterait des quantités gigantesques. Ainsi, par exemple, si seulement 1% des bouteilles plastiques vendues en France finissait dans la nature, cela en représenterait encore 80 millions. Et les systèmes de collecte et de tri sont loin d’atteindre cette performance. En fait, on en collecte qu’un peu plus d’une sur deux, et la bouteille est de loin l’objet le mieux collecté. Ces déchets terminent dans l’environnement et impactent la biodiversité à toutes les échelles. 

Les macro-plastiques peuvent être avalés par la faune et provoquer leur étouffement. Les micro et nano-plastiques contaminent quant à eux les sols, les eaux, pénètrent dans l’ensemble des êtres vivants pour lesquels ils peuvent être fortement toxiques.

Quels sont les impacts de la pollution plastique dans l’Océan ? 

L’Océan est le réceptacle final de ces pollutions. La pollution de l’Océan par les plastiques n’épargne aujourd’hui plus aucune zone du globe. Ses conséquences les plus visibles, oiseaux et faune marine qui meurent étouffés par les macro-déchets plastiques, doivent à elles seules nous inciter à agir. 

Malheureusement les dégâts causés sur la biodiversité par les plastiques ne se limitent pas là et le fractionnement des macro-déchets en microplastiques occasionne de nombreuses autres conséquences: 

Enfin en contribuant significativement au réchauffement climatique le plastique participe aux impacts associés, élévation de la température globale des eaux, submersion des écosystèmes côtiers, etc.

Microplastiques : de quoi parle-t-on ? 

Plus petits que des grains de riz (de 0.2 à 5 mm de diamètre) les microplastiques sont omniprésents dans l’Océan, ils sont des milliards à flotter à sa surface ! Ils constituent un groupe très hétérogène, variant en taille, forme, couleur, composition chimique, densité et autres caractéristiques.

Ces fragments sont très stables et peuvent parfois persister jusqu’à 1 000 ans dans le milieu marin. On distingue deux grandes catégories de microplastiques : les microplastiques primaires et les microplastiques secondaires :

Echantillon plastique
Echantillon ©Noelie Pansiot – Fondation Tara Ocean

Qu’est-ce que les larmes de sirène ? 

Malgré leur joli nom, les larmes de sirène sont loin de sortir d’un conte de fées. Elles correspondent à l’une des formes sous laquelle la matière plastique est produite et transportée par les entreprises de la pétro-chimie. Elles sont livrées aux plasturgistes pour qu’ils les transforment en objet final ou en une partie d’un objet. Il s’agit donc d’un microplastique primaire.

C’est lors des différentes étapes de transport et de manutention que peuvent se produire des pertes. Celles qui polluent régulièrement les côtes bretonnes viennent probablement  de containers maritimes perdus en mer. Mais les pertes peuvent également avoir lieu lors des transports routiers ou sur les sites de stockage et transformation.

Une pollution marine par les microplastiques

Ces larmes de sirène sont l’une des principales sources de pollution de l’Océan par les micro-plastiques primaires. La loi Agec – Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire – adoptée par le Parlement le 10 février 2020 prévoit des mesures de prévention pour les fuites de ces granulés de plastique industriels. Mais malheureusement le décret d’application pris par le gouvernement le 16 avril 2021 introduit un si grand nombre d’exceptions à ces mesures (granulés de dimensions inférieures à 1 cm, sites accueillant un minimum de 5 tonnes, absence de mesures spécifiques au transport, auto-contrôles, …) qu’il en réduit fortement la portée.

La pollution plastique est aujourd’hui omniprésente dans l’Océan, elle se mêle aux micro-organismes, interagit avec la biodiversité  La  nettoyer est donc non seulement impossible mais présente un risque écologique. La pollution est devenue indissociable de la vie marine, et “nettoyer l’Océan de ses plastiques” signifierait le vider de la vie qui s’y mêle…

Il y a donc urgence à considérer ces granulés de plastique industriels pour ce qu’ils sont ; des produits dangereux pour l’environnement et la santé et dont la fabrication, le transport, le stockage et la transformation doivent être accompagnés de mesures de sécurité et de contrôle opérés par des agents indépendants. 

De plus, aussi pertinents soient les textes réglementaires, aussi importants soient les efforts pour les minimiser, ces fuites dans l’environnement sont des accidents inéluctables. Jamais nous ne pourrons éviter toute perte de conteneur en mer, tout accident routier, toute erreur de stockage. Or, avec une production de plastique multipliée par 300 depuis 1950 et qui devrait encore l’être par 3 d’ici 2060, les accidents ne peuvent, statistiquement, que se multiplier, quels que soient les efforts consentis par ailleurs. 

Focus sur l’expédition Tara Microplastiques (2019)

La goélette scientifique Tara a parcouru les quatre façades maritimes européennes et prélevé des échantillons dans neuf des principaux fleuves d’Europe sur une période de six mois, de mai à novembre 2019. Il s’agissait de la première mission dédiée à la pollution plastique des fleuves réalisée à l’échelle européenne. Elle a été initiée par la Fondation Tara Océan, en partenariat avec 19 laboratoires de recherche et coordonnée scientifiquement par le CNRS. 

Biologistes marins, écotoxicologues, océanographes, modélisateurs, chimistes et physiciens composaient cette équipe interdisciplinaire collectivement engagée dans cette vaste enquête européenne. Ses objectifs : identifier les sources de pollution, comprendre la fragmentation des microplastiques dans les fleuves, prédire leur dispersion vers l’Océan, comprendre leurs impacts sur la biodiversité marine et leurs effets sur la chaîne alimentaire. 

Marins et scientifiques à bord de Tara ont rapporté 2 700 échantillons situés entre terre et mer. Tamise, Elbe, Rhin, Seine, Èbre, Rhône, Tibre, Garonne, Loire, les échantillons et les données ont été récoltés au large des estuaires, à leur embouchure, en aval et en amont de la première grande ville à forte population située sur les fleuves.

Les premières observations au cours de la Mission microplastiques 2019 ont bien confirmé l’ampleur de la pollution plastique avec la présence de microplastiques dans tous les prélèvements, mais également le constat d’une fragmentation du plastique bien plus en amont des fleuves qu’on ne le pensait. De nombreuses analyses sont en cours et les premiers résultats paraîtront prochainement. 

La science sur le plastique en milieux fluvial et marin est jeune. Face à l’ampleur du phénomène, les scientifiques se mobilisent et la connaissance progresse rapidement, mettant sans cesse mieux en lumière la complexité des impacts sur les écosystèmes et par conséquent sur notre santé humaine. 

Parce que cette pollution, une fois dans l’environnement, est à la fois invisible, incontrôlable et indissociable de la faune dans les fleuves et l’Océan, il est urgent et crucial d’agir en amont de la chaîne de production et de leur fuite, à terre, vers l’environnement. L’origine terrestre des pollutions marines, estimée à 80 %, acte définitivement le fait que les solutions sont à terre.

Prélèvement dans le Rhône
Prélèvements sur le Rhône, Jean-François Ghiglione ©Samuel Bollendorff – Fondation Tara Ocean

Comment freiner le fléau de la pollution plastique ?

La bonne solution ? Plastiques en mer, les solutions sont à terre

L’urgence est bien de réduire. Réduire drastiquement la production de plastique, notamment les plastiques éphémères (emballages à usage unique, objets à courte durée de vie, objets à fort potentiel de fuite dans l’environnement, etc.) ainsi que les plus toxiques  pour l’environnement et la santé (plastiques styréniques, chlorés, contenant des additifs toxiques, …). Mais également accroître la durée d’usage des produits en plastique, développer des solutions alternatives comme la vente en vrac ou l’usage d’emballages consignés, améliorer les dispositifs de collecte et la transparence des filières de recyclage sont parmi les solutions les plus efficaces. 

La Fondation Tara Océan est fortement impliquée dans les négociations pour un traité international contre la pollution plastique. Le 21 avril prochain aura lieu la quatrième session des négociations en faveur de ce traité. Cette pollution par le plastique dans l’Océan a des conséquences certaines sur la santé de la biodiversité marine, sur les écosystèmes aquatiques et par conséquent sur notre santé et celle de la planète. L’objectif de cette mobilisation est d’établir un texte contraignant qui priorise la réduction des volumes de production du plastique et de sa toxicité.

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