Pollution plastique dans l’Océan : Quels sont les leviers d’action de la Fondation Tara Océan ?

Des pôles à l'Équateur, les échantillons Tara ont tous un élément commun: la présence de plastique. Partout, la biodiversité marine cohabite désormais avec des particules plastiques invisibles à l'œil nu, se confondant avec les organismes planctoniques que nous tentons de comprendre. Cette problématique est donc désormais au cœur des missions de la Fondation Tara Océan. Citoyens, politiques et industriels : tous sont à mobiliser pour parvenir collectivement à des solutions à la hauteur de l’enjeu.

Qu’est-ce que le plastique ?

Le plastique n’est pas un matériau unique. Il en existe des milliers aux propriétés visuelles, mécaniques et techniques très variées. Cette diversité de propriétés physiques s’explique de deux manières. D’abord par la diversité initiale de polymères plastiques comme le polypropylène (PP), le polystyrène (PS), le polychlorure de vinyle (PVC) ou encore le polyéthylène (PET). Puis, par les centaines d’additifs chimiques ajoutés à ces polymères pour leur conférer leurs propriétés techniques finales (transparence, souplesse, imperméabilité, etc…). La combinaison de ces polymères et adjuvants permet d’obtenir au final une quantité de plastiques presque infinie.

Infographie sur les types de plastique par la Fondation Tara Océan
Exposition « Plastique en mer les solutions sont à terre » © Fondation Tara Océan

Quels sont les avantages de la matière plastique ? 

La majorité des polymères initiaux utilisés pour la production de plastique sont aujourd’hui issus de la transformation du pétrole et leurs coûts de production sont particulièrement faibles. Ce prix avantageux combiné à la diversité de propriétés qu’ils peuvent offrir ont permis aux plastiques de supplanter massivement le verre, le bois, le verre et même les fibres textiles dans la plupart des usages. De surcroît, cette domination du plastique sur le marché est accentuée par un système de consommation poussant à l’usage unique et la réduction des coûts.

Quelles sont les problématiques causées par les plastiques ? 

Cette diversité infinie de plastiques et les difficultés de collectes sélectives rendent la grande majorité des plastiques impossibles à recycler aujourd’hui et même dans les vingt années à venir. En France, 73,6 % des plastiques sont enfouis en décharges ou incinérés émettant ainsi des polluants encore mal compris vers l’air, l’eau et les sols. Même les plastiques les plus recyclables, comme le polyéthylène (PET), ne sont que très peu recyclés : actuellement, à peine plus de la moitié des bouteilles d’eau PET est recyclée.

Infographie sur la pollution par les plastiques par la Fondation Tara Océan
Exposition plastique en mer les solutions sont à terre © Fondation Tara Océan

Mais le flux de plastique vers l’Océan n’est pas simplement composé des fuites de déchets non collectés. Exposés aux conditions météorologiques comme la pluie, le vent, la grêle, ou aux seuls rayons du soleil, les objets plastiques libèrent par usure des particules microplastiques. Cette usure, minime à l’échelle de l’objet ou de l’installation seule, représente au final un flux gigantesque à l’échelle de l’ensemble des installations plastiques aujourd’hui en place. Ainsi, à chaque intempérie, l’eau de ruissellement se charge en microplastiques provenant des terrains de sports synthétiques, des aires de jeux, des gommes de pneus laissés sur les routes aux passages des véhicules, des peintures de voitures ou encore des toits en polycarbonate ondulé ; et les transportent dans les sols ou les cours d’eau qui terminent leur course dans l’Océan.

Pourquoi la pollution plastique est-elle problématique pour l’Océan ?

Tous les plastiques n’ont pas le même impact pour les écosystèmes marins. Il existe autant de niveaux de toxicités que de plastiques. Néanmoins, tous sont nocifs.

Les impacts les plus visibles sont ceux des macroplastiques que les poissons, les tortues, les oiseaux et les mammifères marins peuvent ingérer ou dans lesquels ils se retrouvent piégés. Mais cette pollution ne représente qu’une part infime du flux plastique qui arrive dans l’Océan. L’immense majorité arrive sous forme de microplastiques mesurant entre cinq millimètres et quelques centaines de nanomètres, voire de nanoplastiques, plus petits qu’un micromètre. Ce flux invisible expose les écosystèmes marins à une nouvelle toxicité, que nous continuons de découvrir. Car les plastiques à l’état microscopique ont des impacts bien différents sur les organismes. Certains plastiques ayant été jugés peu problématiques à l’état macroscopique, sont aujourd’hui l’objet d’études révélant des effets dramatiques une fois considérés à l’état de microplastiques. C’est le cas, par exemple, du polystyrène.

Une pollution visible dès le premier maillon de la chaîne alimentaire 

Les effets des plastiques sont observables à toutes les échelles des écosystèmes marins. La présence de certains microplastiques dans l’eau provoque un stress des microalgues constituant le premier échelon de la chaîne alimentaire. Face à ce stress, elles consomment leurs réserves d’énergie qu’elles avaient emmagasinées afin de maintenir leur fonctionnement cellulaire. En consommant ces réserves, elles appauvrissent leur caractère nutritif pour le zooplancton ou les poissons qui les consomment : en ingérant la même quantité de microalgues, l’apport en énergie pour leurs prédateurs est nettement inférieur. Ainsi, la présence de microplastiques dans l’eau menace la structure de l’ensemble de l’écosystème, et à terme les ressources halieutiques dont dépendent des milliards de personnes sur Terre.

Un accroissement du phénomène de bioaccumulation des microplastiques

Les microplastiques pénètrent dans les chaînes alimentaires dès leurs premiers échelons. En passant d’un organisme à l’autre et parce que ceux-ci ne sont pas capables d’éliminer les plastiques qu’ils ingèrent, on observe un phénomène de concentration des microplastiques dans les tissus, c’est ce qu’on appelle la bioaccumulation. Une fois dans l’organisme, les impacts de ces plastiques sont multiples et dépendent à la fois du monomère, des additifs, de la taille de la particule plastique et de l’organisme contaminé. Ils peuvent engendrer la baisse de la fécondité, l’altération de la croissance ou des effets de perturbateur endocrinien, voire de cancérogénicité.

Les plastiques sont un problème, de par leur toxicité intrinsèque, mais également car ils agissent comme des éponges à polluants en fixant certains composés comme les pesticides. Lorsqu’ils pénètrent dans les organismes, ils font donc également pénétrer l’ensemble des molécules qu’ils ont fixées.

Des déchets plastiques qui permettent la migration des espèces 

Les plastiques dérivent avec les courants et certaines espèces en profitent pour dériver avec eux. En se déplaçant sur ces véritables radeaux microscopiques, ils parcourent des distances bien supérieures et peuvent représenter un caractère invasif dans les régions qu’ils atteignent. Ces espèces menacent alors l’équilibre d’écosystèmes en place depuis des milliers d’années.

Crabe dérivant sur un fragment microplastique
Crabe dérivant sur un fragment microplastique © Jonathan Lancelot / Fondation Tara Océan

Cependant, le principal problème des plastiques, c’est avant tout l’ampleur du gisement et du flux qui termine dans l’Océan. Chaque minute, c’est l’équivalent d’un camion poubelle rempli de déchets plastiques qui se déverse dans l’Océan. La durée de vie de ces plastiques peut atteindre des centaines d’années. On assiste donc à un phénomène d’augmentation perpétuelle des concentrations de particules plastiques. Ainsi, même les plastiques les moins problématiques s’accumulent et leurs effets sur les écosystèmes sont notables.

Comment Tara étudie-t-elle la pollution par les microplastiques ?

La recherche de Tara sur la pollution plastique a débuté en 2014 lors de la mission Tara Méditerranée. Les équipes scientifiques se sont intéressées aux interactions entre les particules plastiques et le plancton méditerranéen. Cette mer est une des plus polluées au monde car sa géographie très fermée en fait un important bassin d’accumulation. Et ce constat se retrouve dans les premières observations : sur les 2 000 échantillons prélevés, tous contenaient des fragments plastiques. Ces échantillons ont permis une caractérisation des plastiques retrouvés ainsi qu’une quantification des concentrations présentes dans l’eau. Par endroit, les concentrations en microplastiques de surface étaient même identiques à celles du zooplancton. Les poissons de cette région se nourrissent donc à 50 % de plastiques.

Cette thématique d’étude s’est poursuivie en 2019, lors d’une mission entièrement dédiée à l’étude des pollutions plastiques : la Mission microplastiques 2019. En partenariat avec 19 laboratoires partenaires, la goélette a parcouru les quatre façades maritimes européennes et remonté neuf des principaux fleuves d’Europe. Les objectifs de cette mission étaient multiples : 

Encore une fois, aucun échantillon ne fut épargné par les plastiques. Mais le premier enseignement de cette campagne est lié au processus de fragmentation des plastiques en microplastiques bien plus en amont des fleuves qu’on ne le pensait.

Échantillonnage de microplastiques sur l’Ebre
Échantillonnage de microplastiques sur l’Ebre © François Aurat / Fondation Tara Océan

Cette approche s’intéressant à l’interaction entre les sources de pollution à terre et l’Océan se prolonge durant la mission actuelle, la Mission microbiomes, durant laquelle l’Amazonie et quatre fleuves africains font l’objet de protocoles similaires. Ces données viendront améliorer nos connaissances de l’impact des pollutions plastiques sur le microbiome marin.

Enfin, la production de connaissances se fait également par l’opération de sciences participatives Plastique à la loupe qui propose aux collégiens et lycéens de contribuer à l’état des lieux de la pollution plastique sur les plages et les berges de la France. En appliquant un protocole fourni par des chercheurs collaborant avec la Fondation Tara Océan depuis plusieurs années sur l’étude des microplastiques, les élèves produisent une base d’échantillons et de résultats mobilisables pour la publication d’articles scientifiques. À l’instar des échantillons prélevés lors des missions de la goélette, cette base de données est publique et accessible à tous.

Quelles actions la Fondation mène-t-elle pour agir face aux pollutions plastiques ?

La compréhension des effets des pollutions plastiques sur les écosystèmes marins est un préalable nécessaire à la prise d’actions. Ce besoin d’actions, la Fondation le communique à l’ensemble des parties prenantes de cet enjeu plastique : citoyens, décideurs politiques et industriels.

Sensibiliser le grand public

La Fondation partage tout d’abord cette science lors des escales de la goélette et partout en France tout au long de l’année. À cette fin, les équipes de la Culture Océan ont développé différents outils de sensibilisation pour les petits et les grands : 

Ces supports sont déployés lors des nombreux événements en lien avec l’Océan et dans les structures partageant la culture scientifique.

Congrès IUCN - Sensibilisation à l'Océan
Stand de sensibilisation au Congrès mondial de la Nature de l’UICN © Christine Criscuolo

Mobiliser les politiques et les industriels

Les principaux leviers d’actions sur le fléau plastique se situent entre les mains des politiques et des industriels. Ainsi, la Fondation travaille également activement à la production de contenus pour convertir les connaissances scientifiques produites sur la goélette en réalités de terrain.

Ce travail de continuité de la science et de dialogue avec les professionnels, qu’ils soient politiques ou industriels, c’est ce qu’on appelle le plaidoyer. Pour la question de la pollution par les plastiques, ce travail se réalise tout d’abord à une échelle locale : celle des maires des communes françaises. 

Suite à la Mission microplastiques et aux premiers constats démontrant une décomposition des plastiques en microplastiques dès leur passage dans les eaux des fleuves, la Fondation Tara Océan, aux côtés de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) et Initiatives pour l’Avenir des Grands Fleuves (IAGF) ont proposés aux maires de France la signature d’une Charte Fleuve Sans Plastique pour que ceux-ci s’engagent à mettre en œuvre des actions concrètes en faveur de la réduction de la pollution plastique. La Fondation et ses partenaires travaillent activement à l’accompagnement et à l’outillage de ces collectivités signataires. En ce sens, un guide de bonnes pratiques pour lutter contre les pollutions plastiques leur a été dédié en novembre 2021. Il leur expose les actions légalement possibles de mettre en place au regard de leurs compétences.

Complémentairement à cette Charte, la Fondation Tara Océan s’adresse également aux industriels en suivant le Pacte Emballage Plastique. Ce groupe de travail initié par le gouvernement permet d’engager une réflexion autour de la réduction de l’utilisation des plastiques les plus problématiques car plus toxiques ou non recyclables. L’expertise de la Fondation vient donc apporter à ces professionnels des connaissances scientifiques de terrain, complémentaires de leurs connaissances sur les réalités de l’industrie des plastiques, de leur production ou de leurs possibilités de recyclage. La perspective d’une suppression totale des plastiques dans nos sociétés, à court et moyen terme, est illusoire, ce travail d’accompagnement des industriels est donc nécessaire pour cibler collectivement une sortie rapide des plastiques les plus problématiques.

La Fondation Tara Océan est également attentive aux opportunités que le calendrier politique peut lui offrir. Ce fut le cas avec le projet de loi Climat au cours duquel la Fondation a soumis un amendement visant à interdire le polystyrène des emballages à horizon 2025. Si cet amendement ne fut retenu dans la version finalement adoptée de la loi, il fut possible de le rédiger et de le soumettre avant tout grâce aux solides connaissances scientifiques des missions Tara, qui permettent de prioriser les enjeux en tenant compte à la fois des impacts des plastiques sur la biodiversité, de leur abondance dans le milieu naturel et des domaines d’utilisation du plastique concerné. 

Ainsi le polystyrène, troisième plastique le plus représenté dans nos prélèvements, est surreprésenté dans le milieu naturel par rapport à sa production. Ses propriétés physiques facilitent sa dégradation tardive dans l’Océan, provoquant une gamme extrêmement large d’impacts sur l’écosystème.

Le plastique est une problématique à l’échelle mondiale. Les missions de Tara, sur l’ensemble des mers du globe, le prouvent. C’est donc l’échelle internationale qui se profile comme continuité pour ce plaidoyer plastique. Les dernières semaines ont envoyé un premier signal positif : le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a adopté, lors de la cinquième session de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement à Nairobi, une résolution pour un traité international sur la pollution par les plastiques. Cette résolution donne le coup d’envoi de négociations longues et complexes, mais la volonté d’un caractère juridiquement contraignant, l’inclusion d’un comité scientifique, l’intégration des différentes parties de la société civile et la présence d’un reporting régulier sur l’application de ce Traité sont des bases laissant présager d’un Traité ambitieux. La Fondation Tara Océan travaillera en ce sens afin que cette résolution se concrétise en un texte final à la hauteur des espoirs générés.

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