En quête d’un bloom de coccolithophores au large de l’Argentine par Flora Vincent
Flora Vincent, chercheuse au Weizmann Institute of Science en Israël, a embarqué à bord de la goélette Tara en décembre 2021 sur la Mission Microbiomes. Elle a été cheffe scientifique au cours de la campagne océanographique “Gayoso” en Argentine qui avait pour objectif de mieux caractériser les blooms de coccolithophores.
Son parcours pour devenir chercheuse
Une enfance au contact de l’Océan
Flora est née dans le sud de la France. Elle a passé beaucoup de temps durant ses vacances scolaires à découvrir la Méditerranée. À l’âge de 8 ans, elle s’est passionnée pour la plongée sous-marine et elle a eu un réel déclic : “Je pouvais passer des heures sous l’eau à observer des poissons, des algues ou bien à essayer de comprendre le comportement du poulpe ! Très tôt, ma curiosité a été stimulée.”. Sa curiosité et sa soif d’apprentissage ont développé son envie de devenir chercheuse.
Une scolarité tournée vers la science
Après l’obtention d’un bac S spécialité biologie, Flora a rejoint une classe préparatoire BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) à Marseille pour pouvoir, par la suite intégrer l’école d’ingénieur en agronomie AgroParisTech à Paris. Pour son master, elle a choisi un parcours “recherche” à l’université Paris Descartes au centre de recherches interdisciplinaires. Dans le but de devenir chercheuse, Flora a réalisé un doctorat à l’École normale supérieure auprès de Chris Bowler, directeur de recherche au CNRS. C’est au cours de cette dernière expérience qu’a commencée son aventure avec Tara.
Finalement, selon Flora, “l’envie de devenir chercheuse vient essentiellement de notre faculté à être curieux et de vouloir rejoindre une grande communauté de scientifiques qui travaillent ensemble pour répondre à des questions ambitieuses”.
Son métier : la recherche scientifique
Comprendre les interactions entre les microorganismes marins
Elle travaille principalement sur des thématiques de recherche autour du microbiome marin : “Je m’intéresse à une communauté invisible et plus particulièrement aux protistes. Ils ne sont pas visibles à l’œil nu, mais représentent une diversité et une richesse impressionnante. Les protistes ne sont ni des bactéries, ni des virus, ils forment une troisième grande famille de microorganismes marins sous-estimés”.
Au cours de son doctorat, Flora a commencé à s’intéresser à cette majorité invisible dont on ne sait pas grand-chose et dont notre savoir est assez biaisé. Elle a axé sa recherche et ses questionnements sur les interactions qui existent entre ces micro-organismes marins :
- Comment ces divers organismes interagissent-ils entre eux ?
- Comment ces interactions impactent-elles le développement du plancton ?
- Quelle est l’influence de l’environnement sur toutes ces interactions ?
En réalité, il existe une multitude de comportements chez les micro-organismes :
- Certains virus infectent des protistes et les tuent ;
- Certaines bactéries aident d’autres protistes à grandir ou au contraire provoquent leur mort ;
- Parfois, les protistes peuvent se manger entre eux ;
- Ils sont aussi capables de vivre en symbiose, c’est-à-dire que deux organismes ne survivent que parce qu’ils sont ensemble…
En effet, il existe un important tissu d’interactions dans cette communauté marine microscopique, c’est ce que l’on appelle le réseau social du plancton. La recherche s’efforce de percer ses mystères, mais reste encore beaucoup à révéler. D’une certaine façon, ces interactions sont le ciment de l’écosystème et peuvent avoir des conséquences à de grandes échelles écologiques.
Par conséquent, c’est avant tout grâce à ces interactions que l’Océan fonctionne bien. Flora a décidé de s’intéresser à ce réseau d’interactions au sein du plancton : “Ce qui m’intéresse entre autres aujourd’hui c’est de comprendre comment ce réseau va répondre au changement climatique.”.
À l’origine de la découverte d’une nouvelle forme d’interaction symbiotique
Lors de son doctorat, Flora a travaillé sur des données récoltées à bord de la goélette. Grâce à son analyse, elle a décrit une nouvelle forme d’interaction entre des microorganismes, une diatomée et un tintinnide qui pose beaucoup de questions sur l’évolution et les conséquences de la symbiose À partir du mois de septembre, Flora va ouvrir son propre laboratoire et commencera à explorer comment de telles interactions impactent le développement des microorganismes marins.
Fête de la Science 2021
L’émotion de la découverte par Flora Vincent
Son expérience scientifique à bord de Tara
Ses missions en tant que cheffe scientifique
Flora a embarqué la première fois sur Tara lors de la mission Tara Pacific (2016-2018) où elle a participé à la collecte d’échantillons de plancton. En décembre 2021, elle a rejoint l’équipe scientifique de la Mission Microbiomes en tant que cheffe scientifique. Cette expédition océanographique nommée “Gayoso”, avait pour objectif d’étudier un bloom de coccolithophores, une prolifération massive de micro-algues : “En amont, mon rôle était de préparer cette expédition scientifique en me posant les bonnes questions : quels étaient nos questionnements scientifiques ? Comment allions-nous échantillonner sur le bateau ? Quelle organisation d’équipe souhaitions-nous mettre en place pour cette étude et comment allions-nous nous organiser ? J’étais beaucoup plus impliquée dans l’élaboration de l’expédition, dans son déroulé, sur place et par la suite dans l’analyse des données que lors de mon premier embarquement sur Tara Pacific.”.
À bord la cheffe scientifique s’est assurée que tout le monde puisse travailler dans les meilleures conditions possibles (temps d’échanges et de détente, repas commun, repos…) et pour Flora le plus important était de travailler dans la bonne humeur : “Je suis convaincue que quelqu’un de bonne humeur et en bonne santé est quelqu’un qui travaille bien. Nous avons eu des périodes où nous avons échantillonné 7 jours d’affilés, c’est un rythme important, il faut s’avoir se ménager et s’assurer que l’équipe reste en bonne santé et en sécurité, car la sécurité passe avant tout sur un bateau.” Son rôle était aussi de s’assurer de la bonne communication entre les marins et l’équipe scientifique : “Les marins sont très réceptifs au travail scientifique et ils ont envie d’en savoir plus. Une bonne interaction entre la science et la navigation contribue à la réussite d’une étude.”.
Expédition “Gayoso”
Interview de Flora Vincent
L’étude d’un Bloom de coccolithophores
Lors de cette mission, Tara a étudié un Bloom de coccolithophores entre Buenos Aires et Ushuaïa (Argentine). Cette efflorescence massive d’algues microscopiques a lieu tous les ans, au mois de décembre, au large de la côte argentine. À cette période de l’année, les conditions environnementales sont bonnes : température, ensoleillement et quantité de sels nutritifs dans l’eau. Ce sont ces conditions favorables qui permettent la multiplication massive des microorganismes. Différents types de microalgues peuvent créer des blooms. La mission “Gayoso” s’est intéressée au bloom de coccolithophores.
Qu’est-ce qu’un coccolithophore ?
Il s’agit d’un organisme unicellulaire photosynthétique, capable de produire de l’oxygène et d’absorber du dioxyde de carbone grâce à l’énergie du soleil. Il est essentiel d’étudier ces microorganismes, car ils sont capables de faire de la photosynthèse et qu’ils sont à la base de la chaîne alimentaire.
En les observant au microscope, on découvre des boules, très esthétiques. Ils sont entourés d’une coque en calcaire, composée de petites écailles, et formée grâce au carbonate de calcium (comparable à la craie). Ces micro-algues sont invisibles à l’œil nu sauf lors de floraison massive dans l’Océan. Lors de ce phénomène saisonnier, elles ont la capacité de modifier la couleur de l’eau. Grâce à cette coloration, les scientifiques peuvent détecter la présence de ces micro-organismes sur des images satellitaires et partir à leur recherche pour les échantillonner.
Le temps de la recherche est long, les résultats attendront
L’étude “Gayoso” avait pour objectif de partir à la recherche d’un bloom de coccolithophores. Les scientifiques ont trouvé une zone dans laquelle la concentration en microalgues paraissait abondante et ils ont pu échantillonner le bloom. Mission accomplie ! Mais en réalité la recherche ne s’arrête pas à l’échantillonnage. Le challenge le plus important est l’analyse des données récoltées. “La partie de récolte sur Tara, c’est stimulant, mais en réalité, je saurai si j’ai trouvé ce qu’on est venu chercher dans les mois à venir… Cependant, d’un point de vue humain ce que je suis venu chercher sur Tara, c’était une expérience scientifique et humaine et ça, c’est toujours au rendez-vous donc pour ça je suis extrêmement contente.”. Dans quelques mois, Flora et l’équipe scientifique, vont analyser ces échantillons, ils sauront s’ils ont adopté la bonne stratégie de prélèvement en Argentine.
Être scientifique (et faire de la recherche) est un métier de longue haleine. “Même si on est passionné, ce n’est pas facile tous les jours, il faut être très patient, il y a beaucoup d’obstacles et d’étapes différentes. Le processus scientifique est long et lent : analyser des données, publier des papiers scientifiques, rendre la recherche accessible… Je pense que revenir à bord de Tara nous rappelle pourquoi on fait tout ça et c’est un temps où l’on recharge nos batteries. Là, j’ai repris des forces et je sais que je suis repartie pour une bonne année et demie.”
Une journée type à bord de Tara : une journée dense
Le réveil de l’équipe scientifique est assez matinal. 5h15 : ils sont déjà sur le pont pour débuter rapidement les échantillonnages. La journée est rythmée par la science et les repas, ces derniers se révèlent importants pour structurer le quotidien des marins et des scientifiques à bord de Tara. Le matin, l’échantillonnage est intense, puis vient l’heure du déjeuner qui rassemble l’équipage. Une heure de repos après le repas (ou de sieste) permet à tous de se reposer, car le travail sur un bateau et en extérieur est fatiguant : “Moi, je ne fais jamais de sieste en temps normal, ce n’est vraiment pas mon habitude. Mais c’est vrai que sur le bateau, j’y prends goût et je vois le bénéfice !” raconte Flora.
En début d’après-midi, le travail de prélèvement reprend jusqu’à 18-19h pour pouvoir dîner tous ensemble ; “On essayait aussi de garder une petite heure pour un temps d’échange entre tous les scientifiques. Il y a toujours des marins, souvent le capitaine et deux ou trois autres marins qui sont intéressés. C’est un moment où on pouvait discuter de ce qu’on voulait faire et de ce qu’il fallait améliorer dans la journée.” La fin de journée est à la détente, discussions et musique avant le coucher. La nuit, les scientifiques assurent les quarts avec les marins. À bord du bateau, il y a toujours quelque chose à faire. À côté des échantillonnages, il faut aussi faire les tâches ménagères, répondre aux mails et préparer les échantillons (étiquetage pour les tubes du lendemain).
Pendant sa résidence à bord de Tara, Flora s’est plongée dans la lecture de la BD de Team Jolokia : Marins d’audace : “C’est l’histoire d’un équipage en situation de handicap qui a décidé de faire des courses sur des bateaux ultra-rapide. Cela montre bien que tout est possible. J’avais déjà entendu parler de Team Jolokia pendant mon précédent embarquement. Lire cette bande dessinée, c’était très motivant, ça montre qu’il n’y avait aucune limite à ce que l’humain est capable de faire, c’est juste qu’il faut y croire.” Flora
Partie 1
Étude du Bloom de Coccolithophores
Partie 2
Étude du Bloom de Coccolithophores
Son aventure humaine
L’aventure Tara dans les yeux d’une chercheuse
Après plusieurs embarquements sur la goélette, nous sommes curieux de comprendre pourquoi Flora revient-elle à bord. “J’ai le sentiment de participer à quelque chose qui me dépasse. C’était déjà le cas quand j’avais embarqué en 2017 sur Tara Pacific. Ce que j’adore sur Tara, c’est qu’à chaque fois qu’on met le pied sur le bateau, on s’inscrit dans une longue lignée d’autres expéditions qui dure depuis plus de 30 ans. Tara est un bateau qui a une histoire. Mon passage à bord et notre étude sur les coccolithophores, c’est un tout petit morceau de cette grande histoire. Je pense que c’est ça qui me plaît, de faire partie de quelque chose qui a une longue tradition d’expédition scientifique de haut vol avec des projets originaux. C’est s’inscrire dans un héritage scientifique, mais aussi dans un héritage qui évolue en permanence. Sur Tara, on a pu tenter des choses qu’on ne pourrait pas tenter sur d’autres bateaux classiques. C’est un bateau qui s’adapte en permanence, très agile avec un équipage qui est extrêmement curieux et engagé. Il y a ce côté innovant et engagé de Tara qui me plaît beaucoup.”
Un Noël unique au cœur de l’Océan
Flora se rappellera longtemps du Noël qu’elle a passé à bord de la goélette. Samuel Audrain, le capitaine du bateau, a eu l’idée de sortir la rallonge de la table du carré (le centre de vie du bateau) pour le dîner de Noël afin que tout l’équipage puisse être assis autour de la même table. Carole Pire, matelot cuisinière, avait préparé un excellent repas pour cette occasion. Ils se sont offert des cadeaux avec ce qu’ils trouvaient à bord. Loin de tous les commerces, ils ont dû redoubler d’ingéniosité pour créer un moment unique à bord de Tara.
Partie 3
Étude du Bloom de Coccolithophores
Expérience sonore du rituel scientifique
Flora était en résidence sur Tara aux côtés d’Antoine Bertin, un artiste spécialisé dans la sonification : l’émission de données sous forme de signaux acoustiques. Comment utiliser les données, et spécifiquement celles scientifiques autour de nous, pour créer des nouveaux sons ? Comment est-ce que ces sons peuvent en retour aider les scientifiques à voir les choses différemment ?
Antoine a collaboré avec les scientifiques en les aidant à échantillonner et leur a fait découvrir la puissance des sons : “Il m’a fait voir les choses autrement avec son obsession des sons. Il m’a fait réaliser qu’une des machines que j’utilisais sur le bateau produisait un son absolument génial. Et c’est vrai que maintenant, je fais beaucoup plus attention aux sons que produisent les machines que j’utilise. Il a exacerbé mon sens auditif”. Flora et Antoine souhaitent travailler ensemble sur le rituel scientifique pour rapprocher l’art et la science : “Penser en dehors du cadre ne peut qu’apporter quelque chose de bien. Comment le son et la musique peuvent contribuer à augmenter l’expérience scientifique ? Je suis surtout curieuse de voir ce que ça va nous apporter dans les mois à venir.”.
Finalement, comment va l’Océan ?
“Je pense que c’est presque une question métaphysique. L’Océan est menacé par tout un tas de phénomènes dont l’humain est en partie responsable, que ce soit le réchauffement des eaux, la montée du niveau de la mer, l’acidification de l’Océan, la pollution, les microplastiques et la surpêche. L’Océan ne va pas très bien. Mais je pense que ce qui est encore plus important, c’est de se rendre compte que nous, l’espèce humaine, serons les premiers à payer le prix de ces excès. Les espèces marines s’adaptent, elles migrent. Certaines espèces disparaissent, d’autres réapparaissent. Évidemment, ces bouleversements vont avoir des impacts (stocks de pêche, réfugiés climatiques). Aujourd’hui, il est important d’expliquer que c’est l’ensemble des espèces marines qui sont touchées. Nous dépendons de ces écosystèmes, donc si nous ne changeons pas nos habitudes, nous serons affectés. L’Homme doit prendre conscience de ce qui se passe. Je suis une optimiste de nature, même s’il n’y a pas beaucoup de raisons de l’être quand on voit l’état de nos écosystèmes… Mais il n’est jamais trop tard pour changer et avec Tara nous continuons de faire avancer les choses, en faisant de la science, en prenant les bonnes décisions et en essayant de mobiliser le maximum de monde”. Flora Vincent
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