20 ans d’engagement pour porter la voix de l’Océan et engager les politiques

Depuis 20 ans, le plaidoyer de la Fondation Tara Océan se mobilise pour créer un dialogue entre la science produite à bord et dans les laboratoires partenaires et la société. L’objectif principal de cette mobilisation est d’atteindre les décideurs politiques afin que les résultats scientifiques accélèrent le passage à des actions concrètes et adaptées. La préservation du Vivant est au cœur du plaidoyer Tara, il s'attache à traiter les impacts du changement climatique et de la pollution sur la biodiversité marine.

Après s’être investi à la Fondation France Liberté et à l’ONU (Organisation des Nations unies) sur l’accès au droit à l’eau potable pour tous, André Abreu a rejoint la Fondation Tara Océan en 2011. Il revient sur la naissance du plaidoyer Tara, ses moments clés et le travail quotidien de la Fondation pour engager les politiques toujours plus loin.

Qu’est-ce que le plaidoyer chez Tara ?

Le plaidoyer consiste à traduire et transmettre des connaissances aux politiques, c’est un travail de pédagogie sur le long terme. Il s’agit également de confronter les choix politiques aux connaissances scientifiques et de formuler des recommandations objectives.

La finalité du plaidoyer Tara est de permettre que les lois en France ou les cadres politiques internationaux sur la biodiversité, le climat, la haute mer ou encore le plastique, prennent mieux en compte les menaces qui pèsent sur l’Océan vivant pour que celui-ci soit mieux protégé et préservé.

Au quotidien, l’équipe plaidoyer de la Fondation crée des espaces de dialogue entre deux mondes très différents qui se parlent trop peu, le monde des politiques et le monde des scientifiques. La Fondation s’appuie sur la science produite par les laboratoires partenaires pour développer son plaidoyer mais elle collabore également avec les scientifiques pour qu’ils appuient leurs messages auprès des politiques, c’est une relation réciproque qui tente de porter au plus niveau la voix de l’Océan. 

Le plaidoyer c’est aussi jouer collectif !

Pour porter la voix de l’Océan encore plus loin et fort, la Fondation s’associe à d’autres acteurs en tant que membre fondateur ou partenaire de collectifs français et internationaux sur le climat, la biodiversité et la pollution plastique. 

Un plaidoyer est un travail collectif, il est difficile de porter certains sujets seuls. Dans le cadre du suivi des traités, il faut s’associer et créer des alliances avec la société civile puis des acteurs clés politiques. Le but est de définir puis porter des demandes communes, en bloc, auprès des négociateurs afin qu’elles soient inscrites dans des documents finaux validés par un processus en 3 étapes : négociations, signature et ratifications. En ce qui concerne l’exploitation minière des fonds marins, la Fondation s’est associée à une coalition d’ONG ayant identifié la France, le Chili et le Costa Rica comme des pays stratégiques pouvant porter des ambitions fortes contre l’exploitation des fonds marins. Notre rôle est d’organiser des rencontres, de mobiliser tous les acteurs pour faire avancer les débats avec les décideurs et pour que le sujet puisse être porté jusqu’aux institutions onusiennes”, explique André. 

Le travail de plaidoyer est un processus long, un traité à l’ONU peut se négocier pendant plus de 10 ans. Il faut construire une relation de confiance avec les politiques, ce qui impose une planification sur le long terme. C’est ce que la Fondation fait depuis plusieurs années sur les enjeux de la haute mer comme sur le plastique. 

In 2020, the President of the National Assembly and 45 deputies were welcomed aboard the schooner Tara. They called for protection of the Ocean by promoting a proposed resolution for the conservation and sustainable use of the high seas.
© Plateforme Océan et Climat

En 2020, le Président de l’Assemblée Nationale, accompagné de 45 députés, a été accueilli à bord de la goélette scientifique Tara pour appeler à la protection de l’Océan à travers la promotion de la Proposition de résolution pour la conservation et l’utilisation durable de la Haute mer.

Des fondateurs engagés pour un Océan préservé

L’intuition originale d’Agnès Troublé dite agnès b., déjà bien engagée sur les enjeux de société, et d’Étienne Bourgois, les fondateurs de la Fondation Tara Océan, était que les explorations de la goélette éponyme contribuent et alimentent le débat public jusqu’à l’engagement politique pour l’Océan et sa préservation. “Etienne dit souvent qu’il n’y a pas que le bateau et la science, qu’il faut aller sur les enjeux. La structuration d’un pôle plaidoyer à la Fondation et notre présence à l’ONU vient à la fois de cette intuition des fondateurs et de la participation au Grenelle de la mer. Depuis, de l’eau a coulé sous la coque de Tara et notre travail de plaidoyer s’est structuré autour de 3 grandes thématiques : la biodiversité, le climat et la pollution plastique”, explique André. 

© Léonard Bourgois

De gauche à droite, Romain Troublé (Directeur général de la Fondation), Agnès Troublé dite agnès b. (Styliste, fondatrice et mécène de Tara), Ban Ki-moon (Secrétaire Général des Nations unies), Etienne Bourgois (Président de la Fondation et Directeur général d’agnès b.), et Eric Karsenti (Directeur de recherche EMBL / CNRS, directeur scientifique de l’expédition Tara Oceans).

Une mobilisation continue pour faire reconnaître l’importance de l’Océan au niveau international

2012 – Tara mobilisée au pavillon bleu à Rio+20

La rencontre avec Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU, lors de l’escale de Tara à New-York en janvier 2012 et notamment sa venue à bord durant deux heures sur l’Hudson River marque le début du travail de plaidoyer Tara auprès de l’ONU. Ban Ki-moon portera ensuite avec force l’importance de l’Océan lors de ses déplacements et interventions. En juin 2012, lors de la Conférence Rio+20, la Fondation a porté le pavillon bleu qui est devenu un lieu de la mobilisation des ONG pour l’Océan.

Aujourd’hui, du fait des problématiques induites par la pollution plastique et le changement climatique, l’enjeu Océan est davantage pris en compte dans les discussions politiques et médiatiques. Mais il ne faut pas oublier que jusqu’à 2010, la question de l’Océan dans les enceintes du pouvoir était loin d’occuper le devant de la scène, voire même les coulisses.

Lors de la première Conférence de la Terre à Rio, même s’il y avait Cousteau à l’époque qui était un grand porte-parole de l’Océan, le développement durable était “vert”, c’est à dire que quand on parlait développement durable, pour la plupart des gens on parlait de la forêt.
André Abreu

Pendant de nombreuses années, le plaidoyer environnemental a surtout été axé sur les écosystèmes terrestres, l’Amazonie, les forêts tropicales, la déforestation. A l’inverse, le plaidoyer pour l’Océan était structuré par niche : pêcheries, baleines, récifs coralliens. Il n’était que très rarement intégré dans les décisions et feuilles de route globales pour la planète. Par exemple, il n’y avait pas d’objectifs dédiés à l’Océan dans les Objectifs du millénaire de l’ONU (ODM) définis peu avant le tournant du XXe siècle. Il a fallu attendre la Conférence Rio+20 et les Objectifs de Développement Durable (ODD) qui en découlèrent pour que des objectifs spécifiques à l’Océan soient reconnus, et encore, à la dernière minute. C’est aussi à ce moment-là que l’idée d’amorcer des négociations sur la biodiversité en haute mer a émergé et que la mobilisation pour un texte sur l’Océan global avec une logique de développement durable a commencé. 

2014 – Tara obtient le statut d’observateur à l’ONU ! 

Grâce à ce statut consultatif, la Fondation a accès aux informations, aux réunions plénières et aux différentes sessions de travail lors des négociations internationales. Il permet de prendre la parole, proposer des évènements de travail (side events), diffuser des documents de recommandations (policy briefs) et aussi d’engager le dialogue dans les coulisses pour que les questions importantes avancent. 

D’après André, “sans les ONG et les experts indépendants, les décideurs avancent beaucoup moins vite, voire n’avancent pas du tout. Nous sommes un peu l’œil de la société dans ces enceintes très fermées et malheureusement encore trop peu transparentes où, en revanche, les intérêts du monde économique sont très bien représentés, comme nous avons pu le constater récemment à la COP 28 du Climat en ce qui concerne les grandes compagnies pétrolières ! Dans ces instances, la Fondation construit une vision pour l’Océan, plaide pour que la haute mer soit une responsabilité commune, pour que le passage de la science à la politique soit plus structuré et que la pollution plastique, par exemple, soit un enjeu international majeur.”

2015 – Tara au cœur de la mobilisation lors de la COP21

Avec la création de la Plateforme Océan et Climat en 2013, dont la Fondation est l’un des tout premiers membres fondateurs, les ONG se sont regroupées pour travailler sur les liens entre le Climat et la biodiversité marine. Grâce à leur forte mobilisation lors de la COP21, un message commun unique porté en force et en coopération avec les États insulaires et la France, l’Océan est cité pour la première fois dans un traité onusien climatique. C’est également à cette occasion que les phénomènes constatés dans l’Océan sont utilisés comme un argument essentiel pour démontrer la gravité de la crise climatique. 

Credit: Terry Ouzara
Crédit : Terry Ouzara

Grâce aux résultats scientifiques des laboratoires partenaires des expéditions Tara, la Fondation a pu mettre en évidence que l’Océan s’acidifie, qu’il perd de l’oxygène, que la hausse de températures des eaux de surface a un impact sur la biodiversité marine. Ces résultats ont été importants à cette période et ont permis au fur et à mesure de porter l’Océan lors des grandes discussions climatiques. “L’expédition Tara Oceans a notamment démontré les effets de la température sur les migrations d’organismes et qu’une hausse des températures pouvait largement impacter les processus naturels de l’Océan”, explique André Abreu

© Fondation Tara Océan

Pollution plastique : 10 ans d’accompagnement des acteurs vers une démarche d’économie circulaire

Pionnière sur ce fléau dès 2009 au fil des expéditions, c’est avec l’expédition Tara Méditerranée en 2014 que la Fondation met le cap sur la thématique des plastiques en mer. À partir du constat qu’en mer on se retrouve bien impuissant, que les solutions sont à terre, le plaidoyer Tara s’est structuré autour du concept d’économie circulaire. L’ambition de cette pensée est de mimer le fonctionnement de la nature, notamment sur les aspects d’économie de moyens et d’absence de préjudices pour le Vivant. Un concept qui se traduit par la stratégie des « 3R » : Réduire, Réutiliser, Recycler. Ces trois principes ont une valeur hiérarchique, mais également complémentaire. Recycler n’est donc pas suffisant : pour tendre vers l’objectif de circularité, il convient d’un côté de supprimer chaque objet en plastique ne remplissant pas un usage sociétal essentiel (suremballages, échantillons, gadgets, etc.) et de l’autre de repenser ceux qui ont une utilité irremplaçable. Il s’agit également de réduire leur toxicité, allonger leur durée de vie, qu’ils soient facilement réparables, collectables et recyclables en fin de vie. Cette vision riche de l’économie circulaire est celle défendue par la Fondation. 

Quelques dates clés de l’engagement Tara sur le plastique : 

Initiative commune de la Fondation, d’Initiatives pour l’Avenir des Grands Fleuves et de la Compagnie Nationale du Rhône, la Charte Mon territoire s’engage : rivières et fleuves sans plastique, océan protégé, vise à rassembler les décideurs locaux et à favoriser les actions. Elle est aujourd’hui signée par plus de 113 collectivités signataires représentant 324 communes. La Fondation produira quelques mois plus tard un guide méthodologique à l’attention des collectivités, explorant les obligations et les possibilités d’actions sur les territoires.

L’émergence de l’enjeu plastique en mer a été comme un coup de projecteur sur l’Océan, offrant l’image impactante d’un phénomène de pollution venant de nos cuisines. Il a permis d’éveiller le plus grand nombre à la complexité de cette problématique, à l’urgence à agir, y compris au quotidien. Thème porteur auprès des entreprises, des politiques comme des citoyens il est, pour la Fondation, une porte ouverte pour vulgariser le concept de One Health (une santé globale) : faire comprendre l’interpénétration des thématiques plastiques, toxiques, climatiques et socio-économiques et donc de poser la nécessité éthique et fonctionnelle de renouer avec le Vivant, de construire une nouvelle ontologie.

Les projets de coopération avec le Sud, une nouvelle impulsion de travail de plaidoyer avec les scientifiques

En 2015, la Fondation devient la première fondation d’utilité publique pour l’Océan. Le premier projet en partenariat avec le Fonds français pour l’environnement mondial est lancé pour développer des activités de coopération scientifique et de plaidoyer avec l’Afrique et l’Amérique Latine. Depuis, un second projet, nommé Plankt’Eco, a vu le jour en 2023. Ces deux projets ont permis à la Fondation de structurer un nouveau volet de son plaidoyer avec les pays du sud mais aussi avec les scientifiques. 

Vers le développement d’outils de gestion et de suivi du milieu marin 

Pour les 20 ans à venir, le plaidoyer Tara cherchera à mieux intégrer la science dans des processus de gestion durable de l’Océan. Elle a pour ambition de porter auprès des politiques et avec les scientifiques de nouveaux outils de suivi, de prédiction et des indicateurs de santé de l’Océan plus holistiques, intégrant des données de l’écosystème marin dans son ensemble. Cette ambition est déjà en cours avec le projet Plankt’Eco dont les scientifiques partenaires développent actuellement deux outils innovants pour la définition de zones à protéger et la prédiction des stocks de poissons. 

Ce passage de la recherche à l’action politique répond à un besoin de plus en plus urgent dans un monde qui change vite. Apporter des données et outils scientifiques dans les processus de décision politique est aussi difficile que passionnant.
André Abreu

Le plaidoyer Tara tourné vers l’avenir !

Pour les 20 prochaines années, le plaidoyer de la Fondation se concentrera sur la prise en compte du vivant océanique au travers des grandes problématiques qui l’affectent et en cherchant à mieux le préserver. Elle s’impliquera notamment sur les thématiques : 

  1. Haute mer : L’objectif est de concrétiser la protection de cet écosystème et de renforcer la notion de responsabilité commune avec une entrée en vigueur du traité en 2025. L’objectif est également de protéger ou, à minima, surveiller 100% de la haute mer. La mise en place d’aires marines protégées (AMP) en haute mer ou hybrides (à cheval entre la haute mer et les zones économiques exclusives) avec un statut de protection forte et pas seulement de régions d’intérêt pour la science est un enjeu pour la Fondation. “Il faut mettre des limites aux activités anthropiques, des pêcheries et à la pollution en haute mer”, explique André Abreu.
  1. Biodiversité : L’objectif est d’enrayer le déclin de la biodiversité. D’une part, le plaidoyer Tara s’intégrera dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et de l’objectif international qui vise à protéger 30% de l’Océan d’ici 2030, avec une vision par décennie (40×40 – 50×50). D’autre part, avec l’expédition TREC/Tara Europa, le plaidoyer de la Fondation travaillera sur les enjeux de pollutions chimiques en définissant des familles de polluants.
  1. Polaire : Il existe un grand défi avec le renouvellement du Traité de l’Antarctique en 2047. En effet, le Traité de Madrid est l’une des plus belles victoires pour l’environnement. Il a permis de bannir l’activité économique sur ce territoire. Il est essentiel de renouveler ce statut dans les prochaines années afin d’éviter l’open ressource. Ainsi, la Fondation commencera à travailler sur ce sujet et construire une stratégie de plaidoyer en 2030 avec pour objectif d’obtenir un accord en 2040.
  1. Plastique : L’Océan est une victime majeure des pollutions plastiques. Le défi est de faire aboutir un traité international ambitieux qui prenne en compte et traite leurs dimensions climatiques, toxiques, écosystémiques et de solidarité Nord-Sud. Cela passe par l’adoption d’objectifs de réduction drastiques non seulement des volumes mis en marché mais également des polymères et additifs les plus nocifs

La Fondation reste plus que jamais mobilisée pour l’Océan d’aujourd’hui et de demain, notre “life support system” comme aime le décrire Dr Sylvia Earle. 

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