Tara, un voilier océanographique mythique qui évolue au fil des missions scientifiques et des chantiers navals
Fin d’année 2022, la goélette Tara a été sortie de l’eau pour rejoindre le chantier naval de Lorient, son port d’attache. Après deux ans de mission intense, la goélette en avait bien besoin ! Profitons de cet arrêt technique entre deux missions pour retracer l’historique des chantiers de ce voilier océanographique. Découvrez comment Tara a évolué au fil des missions scientifiques et s’est adaptée aux différents besoins (scientifiques et maritimes).
Historique des chantiers navals de la goélette Tara
La goélette a 33 ans et ça fait 20 ans qu’elle navigue sous le nom de Tara. Avant chaque nouvelle mission, une réflexion est menée pour aménager et adapter les espaces aux besoins de la science et des navigations à venir.
– Tara Arctic 2006-2008
En 2006, la goélette Tara part pour une expédition engagée de 18 mois en dérive avec la banquise aux confins du pôle Nord, à la rencontre du changement climatique. Bien qu’elle avait été conçue pour cette dérive polaire à l’origine par les architectes Olivier Petit, Luc Bouvet et l’ingénieur Michel Franco, nous n’avions jamais eu l’occasion de la tester contre les multiples assauts de la banquise. La première fois fût un moment de vérité…
Un treuil océanographique a été mis en place en amont de cette mission, et il est toujours présent aujourd’hui. Le treuil permet d’immerger des instruments d’échantillonnage comme la rosette par exemple pour effectuer des prélèvements d’eau de mer dans l’Océan jusqu’à 1000 mètres de profondeur. Pour atteindre cette profondeur, un câble de plus de 1000 m est nécessaire qu’il faut stocker à bord… En Arctique, le treuil permettait de prélever des échantillons assez proches du fond.
Afin de pouvoir supporter des conditions de vie extrême, un sauna avait été installé sur le pont de Tara suivant les conseils des nordiques de l’équipage. En effet, installer un point chaud sur un bateau en expédition est ancré dans leur culture. C’est une activité qui rythme les journées et qui permet de sortir de son quotidien. Un sauna sera également installé sur la future Tara Polar Station.
– Tara Oceans 2009-2013
2009 marque le début d’une expédition majeure dédiée à l’étude de la biodiversité du monde planctonique avec pour objectif de révéler le peuple invisible de l’Océan. Une odyssée qui était digne des grandes expéditions planétaires du 19ème siècle à la découverte de la vie, à l’instar de Charles Darwin, mais avec les technologies du 21ᵉ siècle : celle de l’ADN et du microscope.
Pour la mission Tara Oceans, deux laboratoires ont été créés. Le premier, un Wet lab a été installé sur le pont. Dans ce laboratoire, les scientifiques effectuent principalement de la filtration de l’eau qui revient de la rosette. Ils utilisent différents filtres (avec des mailles plus ou moins fines, des matériaux différents) et réalisent divers protocoles afin de filtrer plusieurs éléments : gènes, ARN, protéines, phytoplanctons, planctons, nanoplastiques…
Même si cette installation n’est pas idéale sur le pont du voilier car elle est encombrante, et entrave la bonne visibilité lors des manœuvres ou lors des quarts de navigation, c’est un outil de travail très pratique qui a été conservé pour les autres missions.
Historiquement, il n’y avait pas de laboratoire dans l’espace de vie de Tara. Cependant, ils sont essentiels et facilitent le travail des scientifiques, qui peuvent traiter les échantillons à bord. Le point négatif de ces installations reste la place occupée sur le bateau. Une cabine à bâbord a même dû être supprimée. Tara a une capacité d’accueil de 14 personnes à bord.
Le deuxième laboratoire se situe à l’intérieur, c’est le Dry lab. Ce laboratoire permet de trier les échantillons.
Une table de travail à l’arrière du pont a également été installée pour cette nouvelle mission. Elle a été conservée par la suite, et les marins prévoient de la remplacer cet hiver.
– Tara Pacific 2016-2018
Cette expédition d’envergure inédite avait pour but de mener une campagne scientifique ambitieuse sur les récifs coralliens. Le caractère unique de cette mission vient de son approche « transversale » d’une zone géographique très étendue, en l’occurrence le Pacifique, où se concentre plus de 40 % des récifs coralliens de la planète. Une telle approche n’avait encore jamais été réalisée à cette échelle.
Pour mener à bien cette campagne, les moteurs principaux ainsi que les trois générateurs ont été changés pour des moteurs Cummins de dernière génération (améliorant l’efficacité énergétique de la goélette au passage). Les hélices ont aussi été remplacées à cette occasion.
Avant le début de cette mission, un laboratoire Underway lab a été aménagé. Il y avait donc 2 laboratoires sur Tara lors de cette mission : Wet lab et Underway lab. Dans ce laboratoire, une pompe récupère de l’eau en continu sous le bateau et la fait passer dans un circuit qui comporte jusqu’à 6 instruments en série pour étudier l’eau.
De nombreuses plongées étaient organisées pour étudier les coraux en milieu naturel. Un nouveau semi-rigide Zeppelin équipé d’un moteur hors-bord Suzuki a donc rejoint le pont de Tara, car il était plus adapté à l’activité de plongée. Ils étaient 16 à bord de Tara lors de cette mission avec un fort encadrement de sécurité pour les plongées.
– Mission Microbiomes 2020-2022
Cette dernière mission avait pour objectif d’étudier les services rendus par le microbiome de l’Océan et ses interactions avec le climat et les pollutions.
De nouvelles voiles ont été mises en place sur la goélette pour le lancement de la mission Microbiomes (2020), et les haubans des mâts ont été aussi changés (haubans : câbles fixés de part et d’autre du mât, le maintenant rectiligne et dans le plan longitudinal).
Du côté scientifique, un Sorting lab a été aménagé à la place de l’ancien Dry lab. Il y a maintenant 3 laboratoires sur Tara : Wet lab, Underway lab et Sorting lab. Ce laboratoire permet de “trier” les échantillons et de faire un inventaire des espèces présentes ainsi que des pollutions. Il est composé de :
- Flowcam : le flowcam réalise une imagerie du plancton. Lorsqu’on passe un échantillon qui provient d’un filet dans le flowcam, il va faire des photos de tous les organismes présents dans l’échantillon. Cela permet de réaliser rapidement des inventaires des espèces présentes par région.
- Loupes : grâce aux loupes, les scientifiques réalisent un tri à la main du plastique.
- Instruments de filtration de tout ce qui provient des filets
Un laboratoire flottant bien entretenu
Que ce soit en escale ou en mer, les marins entretiennent la goélette en continu :
- Les marins au pont changent fréquemment les cordages (les bouts), démontent les poulies ainsi que les winchs qui servent à tirer sur les cordages, hisser les voiles et à contrôler les voilures lors des manipulations de l’équipage.
- Le mécanicien en salle des machines s’occupe quotidiennement de l’entretien.
Pour Samuel, “Tara, c’est une petite équipe, tout le monde met les mains dedans !”. Certes, aucune pièce n’est fabriquée à bord, mais elles sont changées. Les marins achètent ce dont ils ont besoin sur place, le plus souvent à travers les agents maritimes locaux et commandent les pièces manquantes avec le directeur technique ou directement sur internet mais ce n’est pas toujours facile de recevoir les pièces à temps.
Au sein du pôle Opérations, la chargée de logistique, basée à terre, accompagne, prend le relais et prépare les envois. De plus, un directeur technique à terre est dédié au bateau, il étudie les sujets, arbitre les budgets et commande les pièces nécessaires, en plus de préparer les plus grosses réparations des futurs chantiers.
La goélette est en bon état et d’après le capitaine Samuel Audrain. Tous les ans, le bateau est entretenu et un chantier plus important est réalisé entre chaque mission. L’équipage dispose d’un local technique à terre à Lorient pour organiser, trier et pouvoir stocker entre deux chantiers le matériel nécessaire.
Les contrats des marins ont également évolué au fil du temps. Initialement embauchés à la mission, la Fondation fidélise les équipes en proposant des contrats longues durées, gages d’un entretien régulier sur le long terme.
Le budget alloué pour l’entretien permet de garder la goélette en état, il avoisine les 150 000 euros par an. Même si le bateau est plus sain grâce aux nombreux travaux, il vieillit quand même, mais les entretiens sérieux et réguliers maintiennent cette mythique goélette océanographique !
Tara a été construite en aluminium épais. Il n’y a pas de matériel de construction parfait : l’acier rouille – l’aluminium subit l’électrolyse – le bois s’humidifie et finit par pourrir… L’aluminium est un métal qui est remarquable pour sa résistance à la corrosion et sa faible densité.
Tous les 5 ans, le Bureau Veritas fait un audit pour permettre à Tara de naviguer, comme un “contrôle technique”. La taule de la coque est sondée pour analyser l’épaisseur. Cette expertise de l’état de la structure en aluminium a été réalisée cette année et confirme son intégrité.
En parallèle, chaque année, le permis de navigation est renouvelé. Cette autorisation peut être réalisée partout dans le monde en fonction du lieu où est le bateau, elle a déjà été demandée quand Tara était en Nouvelle-Zélande par exemple, bien qu’il soit plus facile de la valider en France. Elle se base sur des critères internationaux. Le permis de navigation est adapté aux types de navigations effectuées par la goélette.
Comme pour tout bateau, Tara est dotée de radeaux, de combinaisons de survie, de balises satellites et de gilets de sauvetage et bien d’autres équipements pour naviguer en sécurité et parer aux éventuels problèmes rencontrés.
Que fait la goélette Tara entre deux missions ?
Il est très important d’effectuer des chantiers à terre, car tout ne peut pas être fait en mer. Une fois en expédition, le rythme à bord ne permet que de maintenir le bateau, voire de résoudre provisoirement les problèmes à court terme. Il existe différents types de chantiers, tout aussi importants :
- Le chantier de maintenance préventive
- Le chantier de maintenance curative
- Le chantier d’adaptation du bateau à la prochaine mission
Comment se déroule un chantier naval ?
Quand les marins sont en mission et en navigation, ils tiennent une liste des améliorations et des réparations qu’ils alimentent au fur et à mesure du voyage pour préparer le prochain chantier.
Par exemple, à la fin de la mission Microbiomes, les safrans couinaient (le safran est une partie du gouvernail d’un bateau qui permet de dévier le flux d’eau sous la coque pour changer la direction). Lors du chantier, les marins ont démonté certaines parties pour en trouver la cause… le bruit avait alors disparu, mais il y avait des soudures à reprendre sur les safrans et des pièces d’usure étaient à changer… Un nouveau problème à gérer qui n’était pas visible lors de la navigation. La règle d’or sur un chantier est donc qu’il ne faut pas ouvrir trop de travaux en même temps et gérer les problèmes un à un.
Du côté de la recherche, les marins ont besoin d’avoir un cahier des charges précis pour mettre en place les instruments afin que tout soit en place lorsque la mission débute. Aujourd’hui, deux personnes travaillent à l’interface des scientifiques et des marins afin de comprendre le besoin, le modéliser et le traduire pour le rendre possible à bord de Tara.
Quelles sont les étapes du chantier 2022-2023 ?
Avec ses 36 mètres de long, 10 mètres de large, la goélette Tara est un bateau exigu où les accès sont parfois difficiles et certaines parties sont très peu accessibles !
Le plus important est de lancer les “gros chantiers” dès le début pour pouvoir avoir assez de temps pour les réaliser. “En cette fin d’année 2022, nous ne sommes pas dans la meilleure période pour être sur le chantier car c’est une période festive agrémentée d’une météo capricieuse… ”, confie Samuel.
Pour le chantier de cette fin d’année, six marins ont été mobilisés et des intervenants extérieurs comme par exemple : quatre soudeurs – une société de nettoyage des cuves – une entreprise spécialisée dans la réparation de voiles… Certaines tâches du chantier sont déléguées à des prestataires extérieurs experts car nous n’avons pas toujours l’expertise à bord.
Les compétences-métiers nécessaires pour réaliser ce type de chantier sont :
- soudeur
- électricien
- hydraulicien
- menuisier
- mécanicien
- voilier
- informaticien
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